Landry Nguemo, le nouveau milieu défensif des Girondins, aime les études, le derby Celtic-Rangers et tacler pour récupérer le ballon. Il n’aime pas la gloire tape à l’œil et le mal du pays
Girondins de Bordeaux, la semaine dernière lors de sa présentation à la presse, avait été émaillée d’un joli lapsus. Landry Nguemo s’était alors présenté, en une élégante contrepèterie, comme la future « lance de rampement » de l’attaque bordelaise. Qu’on l’ait relevé ne le fâche pas. « Ah, ça, on m’en a beaucoup reparlé… C’était drôle ! » Lorsqu’en tête à tête dans la salle de presse du Haillan, qu’il découvre pour la première fois, on lui rappelle l’anecdote, le Lion indomptable ne mord pas : il rit.
Du nouveau milieu défensif des Girondins de Bordeaux, arrivé de Nancy à l’intersaison, on ne sait pas grand-chose. Sa « fiche » de joueur de football ne nous dit rien de ce qui s’est passé pour lui entre sa naissance au Cameroun en 1985 et ses premières saisons de joueur Pro en Ligue 1 au milieu des années 2000. Autobiographie en accéléré, par Landry Nguemo lui-même : « J’ai commencé tout petit dans un centre de formation à Yaoundé. On n’était pas licenciés, on jouait entre jeunes. Puis je suis allé dans un autre centre de formation, je n’ai jamais joué en club. C’est un recruteur qui m’a repéré. Je suis arrivé en France à 15 ans. »
L’exil est douloureux et la gloire, incertaine
« C’est difficile de quitter sa famille et son pays à cet âge-là. Mais en même temps, on se fait plaisir sur le terrain. On se lève tous les matins pour jouer au football. Exactement comme au Cameroun, mais là, dans le cadre d’un vrai projet, de quelque chose de structuré. » Aujourd’hui encore, il estime que « parler du mal du pays, c’est se faire mal ». Alors, il évite de trop y penser et retourne au Cameroun à (presque) chaque vacances.
Foot le matin, fac l’après-midi
Petit gabarit, surtout pour évoluer en position de « sentinelle », Landry Nguemo a « toujours aimé toucher le ballon et aller le chercher », et donc « toujours été milieu de terrain ». En Lorraine, pendant une décennie, il s’est construit, et pas seulement comme joueur. Il y a décroché le baccalauréat. Filière STT : « C’est tout ce qu’il y avait dans l’école privée où on allait, avec les autres du centre de formation », glisse-t-il. Instruit, posé, l’international est doté d’un vocabulaire riche et précis dans une langue française qu’il n’a pourtant apprise qu’à l’école primaire, comme l’anglais : sa langue maternelle est le bamiléké, qu’on parle dans l’ouest du Cameroun.
D’un père enseignant aujourd’hui à la retraite, il a hérité d’une certaine foi dans l’école. « Quand j’ai eu mon bac, mon père voulait que j’aille en fac. Il insistait. Je l’ai fait, j’ai commencé en licence de sciences économique mais j’ai arrêté au bout de six mois. Je ne m’étais pas inscrit avec le statut de sportif de haut niveau, donc je n’étais dispensé de rien. Le matin je m’entraînais et à midi, j’allais en cours. J’ai fini par craquer, j’étais épuisé. J’ai expliqué à mon père que je ne pouvais pas faire les deux. Mais ce ne sera jamais trop tard pour reprendre les études. »
À la croisée des chemins, il a donc fait le choix du football professionnel, mais sans perdre de vue la fragilité d’une carrière. Prévenu des dangers qui le guettent, il assure ne jamais s’être laissé griser par l’argent et la notoriété. Il choisit ses mots et développe : « Parmi les jeunes Africains, ceux qui jouent au foot sont souvent ceux qui ont tout misé dessus et qui, donc, ne sont pas allés à l’école. Jouer, c’est leur seule façon d’exister. Ils font beaucoup de sacrifices, ils se consacrent au foot pendant des années. Alors, une fois qu’ils ont obtenu ce dont ils rêvaient, un bon contrat, de l’argent, ils s’amusent. Ils sont plus »bling-bling ». Ils ne se rendent pas toujours compte que la fin de carrière approche très vite. Dans beaucoup de cas, l’entourage n’est pas là pour les calmer… »
Un catholique à Glasgow
« Par contre, enchaîne-t-il, ceux qui arrivent à faire des études essaient de raisonner. Ils sont plus posés, ils pensent à investir, ils réfléchissent à ce qui va se passer après. » Il appartient, reconnaît-il, à cette deuxième catégorie. Pas bling-bling. En lutte contre l’éphémère, Landry – « un prénom français », fait-il observer – se construit un palmarès au fil des saisons.
Il a atteint une finale de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) avec sa sélection, et gagné deux Coupes de la Ligue. La française, avec Nancy, puis l’écossaise, sous le légendaire maillot vert et blanc du Celtic. Sans une bisbille entre les deux clubs, il serait peut-être encore à Glasgow. « C’était fort. Très fort. Le public est extraordinaire. Le derby entre Celtic et Rangers, c’est quelque chose que je ne pourrai jamais oublier. C’est inexplicable ! Le Celtic est catholique, le Rangers est protestant, mais ça va au-delà de la religion. Le Celtic est apparemment plus populaire et l’autre, disons, plus bourgeois. C’est une grosse rivalité, mais ça reste toujours correct, j’ai croisé des supporters du Rangers en ville et ça s’est toujours bien passé », raconte avec passion ce catholique de confession.
Il s’enflamme : « J’aurais aimé y rester. Le football y est plus physique. D’ailleurs, à mon retour à Nancy après une saison là-bas, dès le premier match, j’ai tout de suite pris un carton rouge. L’arbitre m’a dit : ‘Tacle trop appuyé ». En Écosse, ça aurait été : »Game on ! », le jeu continue… Là-bas, c’est des bonhommes. Si tu touches un adversaire, tu ne demandes pas pardon. C’est du foot, c’est un jeu de contact ! Ici, on fait plus attention à l’intégrité physique du joueur et c’est bien, mais parfois ça coupe le jeu. »
L’épisode écossais a pris fin en 2010 et le milieu défensif a quitté l’AS Nancy-Lorraine pour les Girondins de Bordeaux sans indemnité de transfert. « Sans faire offense à mon club formateur, les installations ici à Bordeaux sont plus grandes, plus complètes. Je ne suis pas surpris, simplement je constate. »
Et en enfilant le maillot au scapulaire, la semaine passée, le « pro » de 25 ans a retrouvé en lui un peu de l’enfant qu’il était avant de venir en France, ce gamin de Yaoundé qui jouait avec ses copains et rêvait d’une carrière alors improbable. Par la grâce d’un souvenir tenace : « J’étais petit. Il y avait un grand qui aimait bien comment je jouais et qui m’avait offert un maillot de Bordeaux. C’était »mon » maillot, je le mettais tout le temps. Quand je suis arrivé en France, c’est resté dans un coin de ma tête. Et le jour où le président des Girondins m’a appelé, j’y ai aussitôt repensé. J’ai retrouvé la trace de ce gars, il est au Congo. Je veux lui envoyer mon nouveau maillot des Girondins. » L’ancien, il ne sait plus où il est, sinon dans un coin de sa tête et de son cœur.
Par NICOLAS ESPITALIER