Dans une entrevue inédite avec notre confrère Doug Gratton de l’hebdomadaire Islingtion Express, Lauren parle pour la première fois des drames et de rêves qui ont ponctué son enfance. Aujourd’hui, ce jeune homme exceptionnel espère retourner l’ascenseur en faveur du sport qui l’a littéralement sauvé!
Tout footballeur semble avoir une histoire. Que ce soit Kolo Touré faisant ses débuts pieds nus dans une bidonville de Côte d’Ivoire, ou Thierry Henry enfilant ses premiers buts dans une banlieue pourrie de Paris, ou encore Ashley Cole utilisant ses talents de racleur pour se sortir de la merde de banlieue de l’Est de Londres.
Mais ces histoires de rédemption footballistiques paraissent bien ordinaires face a celle de Lauren, qui échappe à la brutalité du nouveau régime de Guinée Equatoriale, connaît une enfance pauvre dans les rues du Cameroun et d’Espagne pour aboutir au sommet du football britannique.
Deux fois champion de la Premier League et deux fois vainqueur de la coupe de la ligue anglaise, il a aussi remporté deux coupes d’Afrique des Nations et une médaille d’or Olympique garnissant un palmarès qui parle de lui-même. Est-ce la raison pour laquelle Lauren n’a jamais parlé de son passé avant notre rencontre qui a eu lieu la semaine dernière sur le terrain d’entraînement des Gunners situé près du bourg de Colney à Londres ? Mais aujourd’hui, Lauren a décidé de révéler son fascinant passé.
« C’est une longue histoire, et c’est pour cela que je n’en ai jamais parlé » dit-il l’air incertain. « Ma famille est originaire de la Guinée Equatoriale, une ancienne colonie espagnole, et des tous mes frères et sœurs, il n’y a que moi qui suis né au Cameroun. »
« Ma famille y a immigré parce que mon père, qui était un homme politique connu en Guinée Equatoriale, a dû s’enfuir à cause des exactions et de la brutalité causées par le changement de régime politique. Ma famille est donc passée par le Cameroun et quelque temps après ma naissance nous sommes partis pour l’Espagne. »
« Comme je vous le dis, c’est une histoire longue. Mon père [NDLR : Valentin Etam-Bisan] fut un homme politique au ministère des Affaires étrangères, mais en 1977 lors de l’arrivée du nouvel ordre politique, il a dû s’exiler. »
« Il s’est enfui pour sauver sa vie et celle de sa famille, et c’est pour cela qu’il est parti au Cameroun »
Quand je lui demande si la vie de ses parents était en jeu, Lauren secoue tout simplement la tête en signe d’approbation. Il n’est pas exagéré d’affirmer que Lauren doive vraiment la vie à la décision de fuite de ses parents.
Quand la Guinée Equatoriale a coupé les liens diplomatiques avec l’Espagne, les agriculteurs espagnols mirent fin à leurs activités et les investissements étrangers ont diminué, et on observa un recul sévère de la démographie en Guinée Equatoriale. On estime a entre 25,000 et 80,000 le nombre de personnes assassinées par le gouvernement.
Cependant, ce qui aurait dû être un compte de fée n’était que le prélude à une vie dure. Son père est parti pour l’Espagne alors qu’il n’avait que 3 ans.
Malgré la position de son père, la vie n’est pas faite que d’oranges et de fiestas en Andalousie. [NDLR : grâce à ses bonnes relations, l’ancien directeur des télécommunications a réussi à s’exiler en Espagne et à trouver du travail dans la fonction publique]
Avec une famille de 15 personnes partageant deux modestes studios dans la banlieue andalouse de Montequinto, Lauren se trouvait régulièrement dans le pétrin.
Sa mère et son père étaient déjà séparés, mais cela était loin de constituer le seul souci. La banlieue était malfamée et Lauren et son père avaient peu de choses en commun. Très autoritaire, Mr Etam-Bisan faisait des remontrances qui ont entraîné de nombreux différents violents entre père et fils. Bien que Lauren demeure vague sur la nature de ces différends, il est clair que cela ne concernait pas seulement les cent coups et escapades d’un gamin sur les terrains de football d’une banlieue truffée de malfrats.
Pour Lauren, poursuivre une carrière politique comme son père n’était pas une option.
« J’ai toujours eu une perception différente [de celle de mon père] de la vie » confie Lauren quelque peu embarrassé. « J’étais complètement différent. Dans chaque famille il y a règles et je ne voulais pas m’y soumettre. Je n’en faisais qu’à ma tête et j’ai eu plein de problèmes »
« Après les séances d’entraînement, j’avais l’habitude de sortir, de rester dehors et de ne pas revenir à la maison… [Il rit] Je ne peux pas tout vous raconter. J’étais juste comme la majorité des gamins qui grandissent dans des endroits pauvres et connaissent de grandes difficultés »
Une sonnerie polyphonique résonne et Lauren interrompt l’interview pour ouvrir le sac de douche en cuir dans lequel se trouve son mobile. « Jose ? » répond Lauren. En effet, la vie de Lauren a beaucoup changé.
Contrairement à ces jours de galère passés à vagabonder les rues de Montequinto, il a fait venir des traiteurs chez lui pour le brunch auquel étaient conviés Patrick Viera, Denis Bergkamp et le reste de l’équipe.
Lauren sait qu’il a de la chance et c’est pour cela qu’il est en pourparler avec Patti Boulaye [NDLR : chanteuse et ancienne star de la télévision anglaise qui est réputée pour ses œuvres de charité pour l’Afrique] depuis plus d’un an pour un projet de charité dont les bénéfices serviront à l’édification d’un hôpital au Cameroun. Lauren espère démarrer effectivement le projet vers la fin de l’année 2005.
Mais la rue fait encore partie de la vie de Lauren. Ce jeune homme tranquille et presque timide a eu son lot de mauvaise publicité alors qu’il faisait la une de la presse à sensation cette année après avoir supposément bagarré avec Thierry Henry et Patrick Viera.
Il y a eu des photos montrant Lauren en train d’être séparé de son capitaine pendant une dispute qui a opposé les deux coéquipiers à l’issue de leur match de ligue des champions à Rosenborg.
Lauren ne cherche pas à éviter le sujet : la bagarre a réellement eu lieu, mais il a du mal à expliquer les raisons.
« Les médias ont exagéré les faits » dit-il. « Ces choses sont normales parqu’entre joueurs, vous parlez de ce qui est arrivé pendant le match. Généralement, on parle de telles choses à la maison pendant le repas ; vous êtes francs et vous dites ce que vous pensez à ce moment-là. [NDLR : car vous êtes plus reposés aussi].
« Sur le terrain, vous dites des choses, mais les circonstances et l’atmosphère sont différentes ».
« J’ai du caractère. Et parfois vous avez besoin de dire ce que vous pensez et parfois ils disent ce qu’ils pensent et vous devez vivre avec ! »
Ceux qui ont joué au football comprennent la réalité de ces propos : la plupart des fanatiques s’attendent à un tel engagement de la part des joueurs.
De façon réaliste, les articles affirmant que Lauren est un solitaire au sein des Gunners n’ont aucun sens. Le simple fait qu’il ait amené toute l’équipe à dîner chez lui montre qu’il n’y a pas d’aigreur entre Lauren et ses coéquipiers.
Il affirme même être un ami intime de Vieira, celui-là même avec qui il avait bagarré dans l’autobus de l’équipe. En tout cas, il ne sert à rien de tenter de bagarrer avec Lauren. Malgré son langage fin et mesuré, il a appris à boxer dans sa banlieue aux côtés de Marcos Munoz qui est devenu champion d’Espagne.
Aujourd’hui, Lauren conserve toujours ses gants de boxe chez lui et adore garder la forme de combat de temps en temps.
Sur le terrain aussi, il a parfois des allures de dur à cuire. Le meilleur exemple est son tacle féroce mais limpide sur Van Nistelrooy la semaine dernière lors de la bataille de Old trafford, tacle duquel il émerge et lance une attaque désespérée vers le Reds de Manchester United.
Mais, il faut reconnaître qu’il a dû se battre comme un beau diable pour aboutir à Arsenal, se transformant en guru des arrières droit après avoir fait carrière comme animateur de jeu au milieu de terrain de Real Mallorca et de Sevilla.
Il a eu tellement de succès qu’il est un des rares joueurs qu’Arsène Wenger ne repose jamais. La saison dernière, les seuls matchs qu’il a manqués furent causés par les suspensions et les blessures. Il y a tout juste deux semaines que le Statistics Service Actim l’a voté Meilleur défenseur dans toute la Premier League anglaise.
« Pour moi, les débuts ont été difficiles quand on m’a demandé d’évoluer comme arrière droit. » dit-il. « Mais je savais avant de signer le contrat que j’évoluerais comme arrière droit. Donc ce n’était pas un problème ».
« Tant et aussi longtemps que vous avez du succès, c’est ce qui compte. Plus tard, après 16 années comme professionnel du football, le plus important ce seront vos réalisations. La position que vous occupez sur le terrain ne compte pas, uniquement les trophées que vous avez remportés »
Ce fut la leçon de vie que Lauren a tiré de son enfance.
« Sans cela je n’aurais jamais été un footballeur » dit-il. « Sans ma famille et aussi sans leur situation particulière, j’aurais pris une autre direction, une mauvaise direction. Je regarde souvent en arrière, toujours, en fait tous les jours, pour voir mon parcours car il est vrai j’ai une vie différente aujourd’hui et j’ai changé. Mais mes amis sont toujours les mêmes et je garde cela bien à l’esprit »
C’est une des choses qu’il aimerait dire à son père, qui a tenté de le décourager de la voie du football tout au long de sa jeunesse. Leur relation en a beaucoup souffert.
« Ce n’est pas la meilleure des relations père fils, mais nous sommes toujours en contact. » dit Lauren avec espoir. « Nous avons eu nos différends. Il était très strict avec nous tous et c’est pour cela que nous avions des désagréments ».
Étant issu d’une famille qui a fui la répression politique d’un coup d’état, Lauren sait trop bien que la politique et le football ne font pas bon ménage. Mais rien ne semble l’empêcher de croire au miracle.
Doug gratton, Islingtion Express. – Traduction Camfoot.com
Cinq petites choses que vous ne saviez pas au sujet de Lauren
- Ses parents sont originaires de la Guinée Equatoriale ou son père était un homme politique. Lauren est né au Cameroun après que ses parents eurent demandé l’asile fuyant les massacres orchestrés par le nouveau régime. À l’âge de trois ans, la famille immigre en Espagne bien que sa mère et son père soient déjà divorcés.
- Le meneur de jeu reconverti en arrière droit a appris à survivre comme membre d’une famille de « plus de 20 frères ». Pendant son enfance à Séville, il partageait un modeste appartement avec 15 autres personnes.
- Ce dur à cuire a appris à boxer aux côtés de Marcos Munoz qui plus tard est devenu champion d’Espagne. Lauren garde toujours ses gants de boxe et s’entraîne quand il peut.
- Lauren adore relaxer et s’évader dans la lecture. Son auteur préfèré est Paulo Coelho. Il n’aime pas joue au Playstation.
- Lauren vient tout juste d’être papa pour la première fois et son bébé a trois mois.