Aurélien Bayard Chedjou Fongang, vingt-quatre ans, mesurera demain à Liverpool tout le chemin parcouru depuis ses débuts de footballeur à Douala. Avant de connaître les JO de Pékin, la CAN et peut-être la Coupe du Monde dans trois mois, il est passé par l’Espagne, le CFA, le National et les ASSEDIC, entre doutes et ambitions. C’est finalement à Lille qu’il a percé, comme Adil Rami, autre défenseur central au parcours atypique.
Douala (1995-2000) « Le même centre le formation qu’Eto’o »
« J’ai débuté à dix ans à Asporex, un petit club, avant d’être repéré par la Kadji Sports Academy, un centre de formation où sont passés avant moi Eto’o, Makoun ou Kameni. J’y ai joué de treize ans et demi à quinze ans, puis un agent m’a proposé de partir à Villareal. »
Villareal (2000-2003) « C’était le foot ou rien »
« Dur de partir aussi jeune dans un pays où tu ne connais personne, ni la langue, mais je n’avais pas trop le choix. C’était le foot ou rien pour aider ma famille. J’ai eu des problèmes de papier pendant six mois. On m’a fait reculer d’un cran, milieu défensif. On m’appelait Bayard. Il y a eu un changement d’entraîneur au bout de deux ans et je jouais de moins en moins. J’ai dû partir, avec des regrets car je me sentais bien là-bas. »
Pau (2003-2004) « J’étais mal barré »
‘Mon agent m’a trouvé une place à Pau (National 1). J’avais dix-huit ans, j’étais au milieu de trentenaires. J’ai passé des moments difficiles. Je touchais 200 euros par mois, le club me logeais et je mangeais au resto U de la fac de Pau.
Revenir en Afrique ? Non, ça aurait été un échec. J’étais mal barré, je jouais parfois en DH… J’ai fait une semaine d’essai à Bordeaux, sans suite. Puis j’ai eu un contact avec Auxerre, un autre essai, sans le dire à Pau… »
Auxerre (2004-2006) « On s’est foutu de ma gueule »
« Guy Roux était toujours là et on m’a fait signer un contrat amateur d’un an, 1000 euros par mois, c’était pas mal. J’étais logé et nourri au centre et je commençais à voir le bout du tunnel. J’ai joué 33 matchs de CFA milieu défensif ou offensif. Je m’entraînais souvent avec les pros, puis je suis parti en stage de préparation avec eux et Jacques Santini, nommé entraîneur. Mais Guy Roux n’était pas trop chaud pour que je passe pro.
J’ai eu un contact avec Lille via Pascal Plancque (à l’époque responsable de la formation au LOSC), mais j’ai décidé de rester à Auxerre. Puis malheureusement, je me suis blessé (pubalgie) et je sentais que je n’étais plus dans les petits papiers du club. Roux n’était jamais joignable, j’ai fait des essais à Louhans-Cuiseaux, à Amiens, sans suite. Mon téléphone ne sonnait pas. Une semaine avant le début de l’année 2006-2007, Roux m’a dit que je n’avais pas apporté ce qu’on attendait et que je ne passerais pas pro à Auxerre. On s’est foutu de ma gueule. Mais aujourd’hui, je ne lui en veux plus. »
Rouen (juin-décembre 2006) « Un SMS comme SOS »
« Un nouvel agent m’a trouvé Rouen, en CFA, en me disant : ‘Tu te mets le cul au sol, tu casses tout ici et après on voit. ‘ J’ai aimé cette franchise, au moins il ne m’a rien fait miroiter. À mon arrivée, l’effectif était évidemment déjà complet. On me faisait jouer milieu côté droit, ce n’est pas mon poste. J’étais mauvais, sifflé, voire insulté par les supporters. Je me suis retrouvé en DH ou à chauffer le banc. Je n’avais pas de revenu, je galérais avec les ASSEDIC et mon titre de séjour et je logeais dans un hôtel pas terrible, on va dire, en vivant des primes de match. Je doutais, j’ai appelé ma mère en lui disant que j’allais rentrer en Afrique. Elle m’a dit : ‘Pas question.’ J’allais droit dans le mur.
Un jour, j’ai envoyé un SMS à Plancque, mais c’était plutôt un SOS ! Il m,a répondu qu’il allait regarder ce qu’il était possible de faire. Le 4 décembre 2006, j’ai signé six mois en amateurs au LOSC. »
Lille (depuis décembre 2006) « Je savoure plus que les autres »
Je me suis vite rendu compte que je n’étais pas au niveau des jeunes Lillois. Adil (Rami) était là, déjà à tacler de partout. Et moi à la ramasse physiquement. Puis je me suis mis à jouer en CFA, à combler l’écart avec les autres et jean II (Makoun) m’a pris sous son aile. Je me sentais enfin sur le bon chemin, à vingt et un ans. En Avril 2007, j’ai signé pro un an, c’était déjà énorme, mais pas une finalité. Le 1er décembre 2007, premier match comme titulaire en L1, contre l’OM (1-1), avec Jean II à mes côtés. J’étais comme un fou, le maillot est toujours dans le salon de ma mère. Puis ça s’est enchaîné : les matches, les JO de Pékin, la sélection A du Cameroun, la Ligue Europa, la CAN. Je savoure même plus que d’autres. Comme Adil, je reviens de très très loin »
Stéphane Kokler