Benoît Angbwa, c’est un peu la recrue surprise de l’été dernier : ce jeune Camerounais de 23 ans était un véritable inconnu en France. Pourtant, l’impressionnant défenseur a permis à son Club uruguayen – le National Montevideo – de décrocher deux titres de champion. Très vite, du haut de son mètre quatre vingt, Benoît a fait étalage, lors de ses quelques titularisations au LOSC, d’un bel abattage et d’une vraie régularité.
Benoît Angbwa bonsoir. Vous faites une allergie aux meubles ou vous n’aimez simplement pas les décorations trop chargées ?
« C’est vrai que je suis dans cet appartement depuis 7 mois et qu’il n’y a pas grand-chose. Bon, j’espère que cela changera l’an prochain quand ma copine me rejoindra ici. Peut-être même changerons-nous d’endroit ? Le tout est d’avoir une vie privée dans un lieu agréable. »
C’est vrai qu’il manque peut-être ici d’un brin de fantaisie féminine ! Comment s’appelle votre copine ?
« Manuela. Elle est en ce moment au Cameroun, à Yaoundé. Elle y suit des études de Droit. J’ai déjà pris quelques contacts pour son inscription ici, à Lille. Je crois que les dirigeants du LOSC vont m’aider dans les démarches. On verra bien ce qui se passera. Mais si tout va bien, Manuela sera avec moi lors de la prochaine rentrée académique. »
« Au Cameroun, je ne jouais que pour le plaisir, sans calcul, je prenais la vie comme elle venait. »
Venons-en à vous. La première chose qui frappe l’esprit à l’examen de votre parcours professionnel, ce sont les milliers de kilomètres qui séparent les Clubs par lesquels vous êtes passé. Du Cameroun à la France en passant par l’Uruguay… Vous aimez bouger !
« De façon globale, sincèrement, je suis assez heureux de mon parcours. Je n’ai pas eu de moments difficiles comme certains joueurs. Par exemple, je n’ai pas connu de division 2 au Cameroun, j’ai commencé juste après mon école de formation par la D1 nationale. Deux ans après, j’ai quitté Bafoussam pour le National Montevideo, avant d’arriver en Europe, en France, par la grande porte. Un parcours comme le mien, c’est un souhait pour beaucoup de joueurs dans mon pays ! Je pense donc que je suis un élu du Seigneur. Je ne vais pas entrer dans ce domaine métaphysique… (voyant mon étonnement, Benoît fait une pause et précise) Dans le football, dans le sport, il y a un facteur chance. Et le plus souvent, chez les croyants, la chance, c’est une sorte de bénédiction. Donc sincèrement, vu mon parcours, je ne peux que dire « oui, je suis un élu. » (Pour tout dire, la ferveur et la sincérité de Benoît en ce début d’interview sont touchantes)
Quel regard portiez-vous depuis le Cameroun sur le Championnat français ?
« Vous savez, c’est le Championnat le plus suivi au Cameroun ! Bien sûr, il y a les Championnats italien, anglais, espagnol… Mais c’est la L1 française qui est vraiment appréciée et suivie à la loupe chez nous ! Il y a certainement des raisons historiques à ce lien footbalistique entre le Cameroun et la France. Bon, il y a aussi beaucoup de joueurs africains en France. Ajoutez à cela que le Cameroun est un pays francophone très attaché à la culture française… Et puis la L1, c’est quand même un Championnat passionnant ! »
3 Clubs, 3 pays sur 3 continents différents… À 23 ans, vous devez déjà avoir des tas de souvenirs ?
« Je vais être honnête : à ce jour, les instants les plus intenses de ma carrière ont eu lieu en Uruguay. J’ai été deux fois champion là-bas et je n’avais jamais vécu de telles émotions. Quelque part, j’ai beaucoup appris en Uruguay, j’ai pris conscience de beaucoup de choses sur ce que je voulais faire, voulais être. Bon, ça, c’est pour le côté positif. Il faut dire que ce n’était pas facile tous les jours, j’ai souffert… J’ai connu là-bas des désagréments… (Benoît semble perdu dans ses pensées). »
On peut vous demander lesquels ?
« Tout d’abord, j’ai été victime d’une blessure qui m’a laissé out pendant un bon bout de temps. Tout seul, c’était dur à surmonter… (Il hésite à continuer) J’ai aussi un peu souffert du fait de ma couleur. Alors il m’a fallu un peu de temps pour digérer tout cela… Mais par la suite, tout est rentré dans l’ordre. De toute façon, vivre à l’étranger implique pour tous les expatriés des contraintes, des moments de doutes… »
« Je suis très croyant, c’est vrai. Bon, cela peut paraître banal pour certains, mais mon destin doit tout à Dieu. »
Il est donc plus facile d’être un joueur noir ici, en France, qu’en Amérique du Sud ?
« Oui. Un Camerounais est mieux accueilli en France. Les différences culturelles sont plus marquées en Uruguay. »
Au fond de votre cœur, qu’est-ce que vous gardez de votre enfance au Cameroun ?
(Il sourit comme un enfant à l’énoncé de cette question) : « Vous savez, au Cameroun, on commence à jouer au foot très tôt… On y joue partout, à la moindre occasion… C’est la naïveté de mon enfance que je garde en mémoire. On jouait pour le plaisir, sans arrière-pensées. Et quand un début de reconnaissance arrivait, on n’y prêtait pas attention. À tel point que je ne peux pas vous dire si mes premiers pas dans le foot au Cameroun ont vraiment compté… Oui, je ne jouais que pour le plaisir, sans calcul, je prenais la vie comme elle venait. »
Votre famille est restée là-bas ? La séparation n’est pas trop difficile ?
« J’ai quitté le Cameroun à 19 ans. Cela fait 4 ans que je voyage. Bien sûr que non, ce n’est pas facile d’être coupé de ses proches. Être seul dans un pays, loin de ses racines, ce n’est facile pour personne… Il faut gérer la solitude et les instants où on a besoin de parler alors qu’il n’y a personne près de vous… C’est dur de ne pas pouvoir parler à sa maman, à son frère, à sa sœur… C’est tellement précieux d’être soutenu. Je l’avoue, ma famille, c’est un gros manque. Mais je le gère. »
Ils vont venir vous voir ici, en France ?
(Il grimace) : « Pour le moment, je n’ai pas cette ambition. Je vais faire venir ma maman (Anne-Marie Akamba) dès que possible mais au Cameroun, les familles sont grandes. Chez moi, on est neuf ! Faire déplacer neuf personnes pour une visite en France, il faut avoir de l’argent dans les poches. Mais je vous l’ai dit, je vais faire venir ma maman pour que nous passions du temps ensemble. J’ai hâte de la revoir. »
Ne me dites pas que vous n’avez pas l’argent nécessaire pour faire venir tout le monde ?
« Ce n’est pas la question, même si c’est un vrai investissement de faire bouger neuf personnes ! Ce métier, c’est mon choix, il faut se fixer des limites, savoir ce que l’on veut. Je me sens bien, j’assume cet éloignement que j’ai provoqué. Et puis ma famille ne peut pas forcément se libérer juste pour venir me voir. Mes petits frères sont encore à l’école. Chaque chose en son temps. »
Au Cameroun, Angbwa veut dire « homme de paix »
Votre foi vous aide-t-elle dans les moments de doutes, de solitude, quand votre famille vous manque ? Je vous pose cette question car vous m’avez confié tout à l’heure l’intensité de votre foi en Dieu…
(Aussi surpris qu’heureux d’aborder cet aspect de sa personnalité) : « Oui… Je suis très croyant, c’est vrai. Bon, cela peut paraître banal pour certains, mais mon destin doit tout à Dieu. Je m’en remets à lui. Toute ma famille est très chrétienne et grâce à cette foi, j’ai une autre conception de la vie. Je mûris avec cette force-là. »
Vous avez dû être très touché par la mort du Pape Jean-Paul II ?
« Je n’ai appris sa mort que le dimanche matin, le lendemain. J’ai été très touché, oui, vous avez raison… C’est une perte immense. J’avais suivi l’évolution de l’état de santé du Pape… Il était si malade… Et puis 26 ans de Pontificat… J’ai bien sûr prié pour le repos de son âme. »
Comment vous définissez-vous, humainement ?
« Ce que j’entends de moi et ce que je sais de moi me font dire ceci : je suis quelqu’un qui recherche en priorité la sérénité. D’ailleurs, au Cameroun, Angbwa veut dire « homme de paix ». J’ai cette tendance à vouloir rapprocher les gens, à vouloir faire le plus de bien possible autour de moi. Je n’hésite jamais à rendre service (Benoît est soudain gêné). Voilà, c’est tout, je ne suis pas compliqué. »
Et côté défauts ?
« Je sais que je suis trop méticuleux. »
Ce n’est pas ce qu’on peut appeler un défaut !
« Je m’attarde sur tout. Le moindre détail peut me contrarier et, forcément, cela agace autour de moi. Cela peut aller d’une pièce mal rangée – je n’aime pas le désordre – jusque dans ma vie d’homme. Chaque chose doit être à sa place et si les choses changent, je veux savoir le pourquoi du comment. »
Cela se traduit comment au LOSC ?
« Là, ça se traduit par plus de sérieux dans mon travail. Dans ce cas précis, ça devient une qualité, c’est vrai. J’écoute tout ce que l’on me dit, je cherche à comprendre, à ne rien laisser au hasard. Je m’applique, je ne lâche rien. »
C’est Claude Puel qui doit être content !
(Haussant les épaules) : « Oui, oui j’espère. »
Quels sont vos loisirs ?
« Bon, là, je vais vous répondre la musique. Je sors très, très peu. J’aime rester dans mon coin, je ne suis pas bavard et la musique m’occupe bien. Mon style de musique ? Je n’ai pas de frontières, pas de limites et j’écoute de tout, même si je privilégie tout ce qui sonne un peu africain. C’est une musique joviale. J’écoute un peu de Hip Hop, j’aime aussi les musiques douces comme les slows. »
Et si vous deviez nous conseiller un album qui vous branche particulièrement ?
« Il y a en ce moment en Afrique un son qui marche bien, c’est le « Coupé Décalé ». C’est un style ivoirien qui fait danser toute l’Afrique. J’en écoute beaucoup en voiture ou avant un match. C’est assez connu comme rythme, vous savez ! Il y a ici à Lille des blancs qui vont danser sur cette musique dans les discothèques africaines : ils adorent ! Au LOSC, il y a 2 ou 3 joueurs qui apprécient aussi cette musique. »
Vous parlez musique entre joueurs ?
« Pas trop. Bon, si un tube sort et qu’il fait vraiment mal, on en parle entre nous, on le chante parfois. Mais ce n’est pas souvent ! »
Vos petits camarades interviewés précédemment pour www.losc.fr sont tous très branchés cinéma. Ce n’est pas votre cas ?
Benoît : « J’aime bien les films d’action. Mais je préfère largement les films qui ont rapport avec la réalité et qui soulèvent des problèmes sociaux, humains, sentimentaux… Derrière chaque histoire, j’aime trouver de quoi réfléchir. Un film d’action comme « Collatéral » avec Tom Cruise et l’acteur noir Jamie Foxx va plus loin que l’action pur, et ça, ça me plaît. La relation entre les deux hommes est intéressante. Il faut qu’il y ait des enseignements à tirer de chaque film. Il y a aussi « Les Larmes du Soleil » avec Bruce Willis. Là, j’ai bien aimé car le film se termine au Cameroun. Le film est censé se dérouler au Nigéria. Il y est question de l’influence de l’armée américaine dans ce coin du monde. On y aborde le génocide (Benoît conclue soudain). Bon, ce film m’a parlé, voilà. »
Le LOSC est composé d’un groupe de jeunes joueurs, tous soudés. Au LOSC, il n’y a aucun gros nom, aucune star. C’est ça, la particularité de cette équipe : on ne peut parler d’elle qu’en parlant de collectif.
Parlons maintenant de vos amis ?
« Je passe beaucoup de temps chez Tony (Sylva). Je vais d’ailleurs le rejoindre ce soir à Marcq-en-Baroeul pour dîner rapidement : je ne vais pas rentrer tard (maxi 21 heures) car il y a match demain. Je vois aussi très souvent Jean II. Ensemble, on se raconte des histoires du pays. Si vous me demandez pourquoi eux, je vous dirais que ce n’est pas une volonté de se mettre à part du groupe, non, mais nous avons le même langage, la même sensibilité. En Afrique, on a une façon bien spécifique de communiquer entre nous. »
Comment définiriez-vous le LOSC aujourd’hui ?
« Sur le plan administratif ? »
Euh… Tiens, oui, pourquoi pas ! Ce n’était pas ce à quoi je pensais mais allez-y, je vous écoute !
« Oui, tout commence par l’administratif, n’est ce pas ? Je crois que le LOSC est dirigé par des gens qui savent vraiment ce qu’ils veulent : ça, c’est vrai, il ne faut pas l’occulter. Ils ont donné à ce Club une organisation solide, aucun reproche à faire. Le LOSC est un Club sain, cela se ressent à tous les niveaux. Je peux vous parler de l’aspect sportif maintenant ? »
Je pense que cela n’aurait rien d’outrageant…
« Le LOSC est composé d’un groupe de jeunes joueurs, tous soudés. Au LOSC, il n’y a aucun gros nom, aucune star. C’est ça, la particularité de cette équipe : on ne peut parler d’elle qu’en parlant de collectif. Et ce collectif, il veut se battre, il a faim. À sa tête, on retrouve un entraîneur ouvert, rigoureux, sérieux à tous les niveaux et qui se met au service des résultats. Pour résumer, il y a au LOSC toutes les bases pour aller très loin. »
Les forums de supporters en parlaient depuis fin décembre 2004, mais le fax officiel n’est arrivé que le 28 janvier au siège du LOSC : vous êtes sélectionné pour porter les couleurs du Cameroun !
« Il faut être franc : pour tout sportif, être sélectionné, c’est un rêve ! Quelle joie de représenter les couleurs de son pays ! Ce n’est pas totalement nouveau car j’étais « espoir » dans le temps. Mais arriver à ce stade alors qu’il y avait beaucoup de joueurs sur les rangs, c’est un véritable honneur ! »
Comment avez-vous réagi à cette annonce ?
« J’avais déjà la puce à l’oreille car après le fameux match Lille-Lyon, j’avais discuté avec un représentant du sélectionneur. Mais je m’étais arrêté à cet entretien… Quand j’ai appris ma sélection de source sûre – c’était la veille du match contre Nice – j’ai fait abstraction de la nouvelle. Mais j’étais fou de joie, très ému. »
Vous avez fêté l’événement avec les autres joueurs ?
« J’ai caché la nouvelle le jour-même. Ils ont dû l’apprendre par la presse. Je ne voulais pas perturber une semaine intense où nous enchaînions 3 matchs, si je me souviens bien. La période était alors chargée… Mais maintenant qu’ils le savent, ils sont heureux pour moi. Tous m’ont félicité ! »
Et Claude Puel ?
« Il m’a également félicité, il était content. »
Êtes-vous surpris par le parcours du LOSC ? Le Club est (à nouveau) dans le trio de tête et, même après cette longue série de matchs nuls, les performances du LOSC dépassent tout ce que l’on pouvait imaginer en début de saison. Les 8 buts contre Istres laissent même présager une fin de saison palpitante, goal average oblige…
« Si je suis surpris ? Ma philosophie de la vie me fait répondre non. Parce que je sais que chaque Club avance à armes égales. En tout cas, le LOSC bénéficie d’une belle équipe, d’un système de jeu audacieux, d’un esprit d’équipe sain, solide, de l’envie de gagner. Moi, je suis au LOSC et je CROIS en ce que l’on fait. Je CROIS en notre destinée. Ces résultats qui étonnent tout le monde, nous les méritons. Nous avons la volonté. »
Flash-back : revenons-en à ce match contre le leader, en janvier. Était-ce frustrant de suivre le match contre l’OL depuis les tribunes et de ne pas être au moins sur le banc ?
« Ce n’est pas parce que c’était Lyon en face que j’étais plus frustré de ne pas être sélectionné. Pour un joueur, défendre son Club, c’est un but chaque semaine. Je n’ai pas de préférence, je ne choisis pas l’adversaire. Ce n’est pas gai de ne pas jouer et c’est aussi cruel quand on rencontre Ajaccio que Lyon. Je n’étais pas sélectionné contre Lyon, c’était une réalité, je l’ai accepté. C’est loin maintenant, de toute façon. »
Un mot concernant cette terrible claque infligée à Istres, battu 8 – 0 à Villeneuve d’Ascq. Quel score incroyable !
« Ce n’est pas incroyable. On a été adroit, concentré, on avait travaillé toute la semaine certains gestes techniques, un état d’esprit… Bon, évidemment, cette marge de réussite est importante. Plus que ce que nous pouvions imaginer, c’est clair. Cela ne nous arrivera pas tous les jours ! »
La réaction de l’équipe après ce match au score hors du commun ?
« On savoure la victoire mais on ne s’enflamme pas. On prépare le match qui vient, la fin du Championnat s’annonce serré et il est hors de question de se déconcentrer. »
Le LOSC bénéficie d’une belle équipe, d’un système de jeu audacieux, d’un esprit d’équipe sain, solide, de l’envie de gagner. Moi, je suis au LOSC et je CROIS en ce que l’on fait.
Votre rêve N°1, c’est quoi ?
(Il sursaute littéralement et montre du doigt un objet posé derrière moi sur le canapé) : « Vous pouvez me passer le ballon derrière vous s’il vous plaît ? (Je lui tends une petite balle en cuir marquée JUVE. Il la fait rouler entre ses mains, excité en parlant de son objectif) Moi je vis avec ce ballon toujours à portée de main… C’est mon vœu le plus cher, je me sacrifie, je me fais mal pour y arriver. Chaque jour je prie le Seigneur pour qu’il me donne le courage de travailler assez fort pour rejoindre plus tard la Juventus. Oui, mon rêve, c’est d’atteindre ce but ou en tout cas de devenir si bon que j’aurais le niveau pour les intéresser. Au moins les intéresser… »
Propos recueillis par Alain Delfosse