Arrivé cet été en Turquie, Samuel Eto’o a fait mentir ceux qui l’envoyaient déjà à la retraite. À Antalya, l’attaquant camerounais enfile les buts et s’épanouit à nouveau, après une succession d’expériences ratées en Europe. Mais au pays du croissant et de l’étoile d’argent, « Fils » n’est pas seulement un joueur de football. C’est aussi un homme de combats et en mission.
Par peur, on craignait de ne plus jamais le revoir sur un terrain. Parce que le temps passe beaucoup trop vite, on s’était aussi fait une raison. Mais ce sourire, ce large sourire si singulier qui le caractérise tant depuis des années, Samuel Eto’o l’a retrouvé. Pas sur les pelouses les plus prestigieuses des grands championnats. Pas, non plus lors des soirées enivrantes qui soufflent sur l’Europe et qu’il a autrefois connues. Non, c’est désormais loin des hauts sommets que l’attaquant âgé de trente-quatre ans s’est octroyé une nouvelle vie. À Antalya, petit bout de paradis sur terre situé dans le Sud de la Turquie et l’une des stations balnéaires les plus fréquentées au monde, l’insaisissable Camerounais reverdit. Goûte à nouveau au plaisir de jouer, en toute quiétude. Au point, aujourd’hui, de truster le top des charts de la Süper Lig en étant le meilleur buteur avec onze buts en treize matchs. Parce qu’on l’avait également trop vite oublié, un lion ne cesse jamais de rugir. Et demeure toujours indomptable.
Buteur, capitaine et grand frère
Pourtant, depuis son départ de l’Inter Milan en 2011, on pensait avoir définitivement perdu Samuel Eto’o. Sa carrière semblait s’enliser. Inéluctablement. Son aventure en terre russe, à l’Anji Makhatchkala (2011-2013), s’est révélée être un voyage extrêmement lucratif (20 millions d’euros annuels comme salaire) plutôt qu’une expérience de choix sur le plan sportif. Ses pérégrinations suivantes sur le Vieux Continent l’ont été davantage, sans être escortées du succès espéré. À Chelsea (2013-2014), ses prestations convenables (9 buts en 21 matchs de Premier League et 3 en 9 matchs de C1) ont été éclipsées par ses querelles avec José Mourinho. À Everton (août 2014-janvier 2015), « Fils » n’a pas su trouver sa place (3 buts en 14 matchs de PL). Tout comme à la Sampdoria (janvier-juillet 2015), où son retour en Italie a tourné court en raison d’un comportement de diva et de relations plus que tendues avec Siniša Mihajlović. Malgré ses déconvenues répétées, le Camerounais n’était pas encore rassasié. Et c’est pourquoi, libre de tout contrat, il a répondu favorablement aux appels du pied d’Antalyaspor, club tout juste promu en première division. En plus de lui verser un salaire conséquent (4 millions d’euros), le club turc lui offre une véritable carte postale en guise de cadre de vie.
Dans une Süper Lig où certaines stars distillent leurs dernières bribes de talent (Sneijder, Van Persie, Podolski, Gómez), le vétéran camerounais n’a pas traîné pour faire parler la poudre. Dès son premier match, contre Başakşehir (2-3, 15 août), il a claqué un doublé. Et de quelle manière ! Une chevauchée personnelle et une reprise de volée, sans forcer. Depuis, Eto’o ne cesse de marcher sur l’eau avec six pions claqués lors de ses six dernières sorties et un assist en aile de pigeon contre Galatasaray (3-3, 21 novembre). « Avant de rencontrer Antalyaspor, on avait fait pas mal d’analyses vidéo sur lui, car on sait que ça reste un joueur de grande classe, capable de marquer à tout moment et de gestes inattendus, révèle Olivier Veigneau, latéral gauche évoluant à Kasimpaşa et qui l’a affronté début octobre (0-0). Pendant le match, on l’a bien muselé et il n’a pas marqué. Mais on a pu voir que c’est un joueur qui sent bien les coups, qui se place bien dans le dos de la défense. Le jeu d’Antalya (aligné en 4-4-2 ou 4-2-3-1, ndlr) est centré sur lui. C’est vraiment le joueur qu’ils recherchent en première intention. Et je peux vous dire qu’il a encore ce coup de rein pour faire la différence dans les appels. Puis il a toujours cette arme redoutable : sa frappe. Il frappe fort et c’est précis. Il a gardé cette qualité. » Au-delà de son talent, celui qui a été nommé d’entrée capitaine apporte son expérience et son vécu à un groupe peu habitué à fréquenter des joueurs de ce standing. « Franchement, quand on le regarde, il dégage une telle confiance, confie pour sa part Teddy Chevalier, attaquant de Çaykur Rizespor qui a pu apprécier le phénomène en action en septembre dernier (5-1). Il porte vraiment l’équipe. Toute la rencontre, il gère les joueurs d’Antalya, leur parle, leur donne des conseils. On sent qu’il est là pour aider. Je l’ai vu impliqué et investi dans ce qu’il faisait. »
« Le foot n’a pas de mémoire, donc il faut continuer à prouver »
Patron incontournable d’une modeste formation qui se terre dans l’ombre derrière Fenerbahçe, Galatasaray ou encore Beşiktas (Antalyaspor est actuellement 10e du championnat turc), l’international camerounais retrouve une seconde jeunesse. Et semble de nouveau épanoui. « Je prends toujours du plaisir à jouer, se réjouissait l’homme aux trois Ligue des champions, fin octobre, au micro de RMC. Le football n’a pas de mémoire, donc tant que vous avez la chance d’être là, il faut continuer à prouver que vous pouvez toujours faire pour le mieux. J’ai la même envie qu’au premier jour. Plus on se rapproche de la fin, plus on veut profiter de ces petits moments qui nous restent. » Ce crépuscule proche, l’attaquant le vit bien. Grâce notamment à son entraîneur, Yusuf Şimşek, qui a su lui donner la place et l’importance escomptées : « J’ai un très bon entraîneur à Antalya. Il faut regarder cet entraîneur, je pense qu’il va écrire une belle partie de l’histoire du football. » Le technicien n’a également pas manqué d’encenser sa recrue star et de le choyer alors que son père est gravement malade actuellement. « On a dans nos rangs Eto’o qui a été l’un des meilleurs attaquants du monde. À chaque fois qu’il joue pour notre équipe, c’est un énorme atout » , louait le boss des Akrepler, il y a quelques semaines.
Un statut de star au service des autres
La fin de son immense carrière approchant à grands pas, Samuel Eto’o profite aussi de cette aventure turque pour penser à l’après. Car depuis qu’il y a posé ses bagages cet été, il n’endosse pas seulement le costume de joueur professionnel. C’est un homme en mission qui entend profiter de son image et du crédit inconditionnel dont il jouit en Afrique afin de faire entendre des causes qui lui tiennent à cœur. Comme le lancement, il y a peu, de l’initiative « Yellow Whistler Blower FC » visant à récolter des fonds pour venir en aide aux victimes des exactions de l’organisation islamiste et terroriste Boko Haram. « Si vous voyez un peu l’histoire de ma vie, j’essaie de lutter contre l’ignorance. Ce qui se passe dans le Nord Cameroun, ce qui se passe au Nigeria, au Tchad et au Niger, vous voyez qu’on utilise des enfants, parce qu’il est plus facile de manipuler un enfant qu’un adulte, même si certains adultes en font partie. (…) Vous avez pu voir quand l’attentat de Charlie Hebdo s’est produit, nous étions tous attristés, nous avons apporté notre soutien à ce beau continent qu’est l’Europe. Nos chefs d’État se sont déplacés en masse pour être auprès de ces frères de l’autre côté. Mais vous avez pu aussi voir que quand Boko Haram s’est installé dans la sous-région, nous étions seuls, on ne voyait presque personne, regrettait-il dans un entretien accordé à BBC Afrique. Il y a eu des centaines de morts. Si tous ensemble, nous ne nous y mettons pas, il est impossible de lutter contre cette barbarie. Je reste convaincu que l’éducation est l’âme la plus redoutable contre toutes ces choses. Je suis footballeur, mais je refuse d’être ignorant parce que je comprends les choses. Et je refuse de voir mon Afrique, notre Afrique être traitée de la sorte. »
En partenariat avec Oxfam et le Haut-Commissariat aux réfugiés, il a ainsi permis une levée de fonds estimée à environ 912 000 000 francs CFA. Mais l’action de « Fils » ne se circonscrit pas à la lutte contre le terrorisme. Début novembre, il s’est rendu en Sierra Leone et au Ghana dans le cadre d’une campagne de sensibilisation lancée par la FIFA contre Ebola. Au cours du même mois, l’ex-Blaugrana et Nerazzurro a même été accueilli en qualité d’ambassadeur du continent africain à l’ouverture du sommet du G20 qui se tenait à Antalya. Tant d’implication, tant d’apparitions publiques qui laissent suggérer qu’Eto’o est voué à embrasser un destin politique. Un hypothétique avenir qu’il refuse fermement pour le moment : « Non, non je ne touche pas à la politique. Je ne le souhaite même pas. Le peu d’amis qu’il me restera si un jour je décide de faire la politique, qu’ils me fouettent. » Mais avec l’enfant de Douala, l’histoire réserve souvent son lot de surprises. Car rien n’est jamais écrit d’avance.
PAR ROMAIN DUCHÂTEAU