Né au Cameroun, Ali Gerba a immigré durant son enfance au Québec avec sa famille. Footballeur passionné, il a réussi à vivre de son sport dans un pays où le hockey est roi.
Bonnet sur la tête, survêtement intégral et même une veste supplémentaire, Ali Gerba lutte pour se réchauffer sur le terrain d’entraînement extérieur de son club, l’Impact de Montréal, situé à Saint-Léonard dans le nord de la ville. Le mois d’avril est bien avancé, mais c’est encore un temps d’hiver qui souffle sur le Québec. Le footballeur de 29 ans est le dernier à se retrouver sur la pelouse. Une ultime séance de tirs pour perfectionner des gestes mille fois répétés. La saison vient tout juste de débuter et le joueur veut être au meilleur de sa forme. Il faut dire que l’équipe attend énormément de son numéro 10. La saison précédente, c’est lui qui a mené les Montréalais vers les demi-finales de l’USSF Division 2, la seconde ligue nord-américaine.
De Yaoundé à Montréal
Meilleur buteur de la formation, Ali Gerba est aussi sous les projecteurs car il est considéré comme un enfant du pays. Le footballeur a pourtant inscrit ses premiers buts à des milliers de kilomètres de Montréal, dans les rues de Yaoundé au Cameroun, où il est né en 1981.
«Le plus tôt que je m’en souvienne, dès que j’ai réussi à marcher, j’ai frappé dans un ballon. C’était dans mes racines le foot», raconte Ali avec un sourire de gamin.
Sur le chemin de l’école, dans son quartier ou sur des terrains improvisés, le petit garçon ne vibre que pour le ballon rond. Une époque dont il se souvient avec nostalgie, même si son enfance n’a pas été des plus simples: «Mes parents sont partis étudier au Canada. J’ai donc vécu chez mes oncles et mes tantes. Je ne me plaignais pas. Je ne demandais rien d’autre que de jouer avec mes copains.» Son père obtient un doctorat en communication, tandis que sa mère décroche un Master of Business Administration (MBA). Une fois leur diplôme en poche, ils décident de s’installer définitivement à Montréal et font venir leurs quatre enfants.
Ali est déraciné de sa terre natale à l’âge de 11 ans: «J’étais content de rejoindre mes parents, car je ne les avais pas vus depuis longtemps. Pour moi, ce qui était important c’est d’être en famille. Je savais juste qu’apparemment, ce départ représentait une meilleure vie.» Sans réelle connaissance sur son nouveau pays, le jeune Camerounais découvre avec surprise un tout nouveau climat.
«Mon choc culturel, ça a été la température! Je suis arrivé en plein hiver. Mes oreilles ont gelé la première année!»
Toujours aussi mordu de sport, son premier réflexe est de chercher à l’école des compagnons de jeu: «Je leur disais que je voulais jouer au foot et ils me répondaient « C’est quoi le foot? Tu veux dire le football américain? » C’est là, que j’ai compris qu’ils employaient le terme de soccer.»
Pas facile pour un fan de football de s’épanouir dans un pays où le hockey est pratiqué comme une véritable religion. Mais le jeune migrant résiste à la fièvre de la glace et réussi à trouver un club de «soccer» à Montréal. Tout s’enchaîne très vite. Il intègre l’équipe du Québec, participe au championnat canadien, fait un passage remarqué au Centre national de haute performance puis s’exile encore adolescent vers les Etats-Unis, en Floride, à l’Académie de Tampa Bay. Mais c’est dans sa ville d’adoption qu’il signe son premier contrat professionnel en 2000 sous les couleurs de l’Impact de Montréal.
Le passage européen
Pendant plusieurs années, Ali est trimballé entre plusieurs clubs nord-américains. L’attaquant enfile les maillots des Toronto Lynx, des Pittsburgh Riverhounds, ou encore de Miami Fusion. Mais son regard est tourné vers l’Europe, l’eldorado de tout footballeur qui se respecte. Un rêve qui se réalise en 2005. Direction la Suède et le club de GIF Sundsvall. Avec cette première expérience sur le vieux continent, le niveau du joueur passe au cran supérieur:
«J’ai senti la différence en Europe, car l’implication est beaucoup plus forte. Au Canada, il y a des centres de formation, mais ils ne sont pas aussi bien établis. En Europe, les entraîneurs le vivent comme un vrai travail. J’ai vraiment beaucoup appris.»
Toujours aussi voyageur, le Canado-camerounais connaît six équipes différentes en quatre ans. Il évolue en Scandinavie (IFK Göteborg, Odd Grenland, AC Horsens, FC Ingolstadt) et en Angleterre (Milton Keynes Dons). Un manque de constance qui lui a attiré bien des critiques:
«En tant qu’attaquant, j’ai un poste que les gens n’ont pas forcément l’air de comprendre.Tu marques des buts tu es bon, tu n’en marques pas, tu es mauvais. Dans certains clubs, cela a marché, dans d’autres non.»
L’équipe du Canada
Même si le joueur ne perce pas vraiment en Europe, il commence à se faire connaître au sein de l’équipe nationale canadienne. Il participe à de nombreuses reprises à la Coupe d’Or de la Confédération de football régionale, la Concacaf, et devient le deuxième buteur de l’histoire de la formation avec 15 buts en 29 rencontres internationales. Tiraillé entre ses deux identités, Ali a hésité sur la couleur de son maillot. Réaliste sur ses faibles chances de jouer pour le Cameroun, la décision a fini par s’imposer:
«Pour moi, le plus important, c’est de faire des matchs internationaux peu importe pour qui. Avec le Canada, je savais que j’avais beaucoup plus d’opportunités. Au niveau de la formation camerounaise, il y a beaucoup plus de compétitions. Ce n’est pas garanti de jouer.»
Malheureusement, Ali connaît une grande déception avec la sélection de son pays d’adoption. Le Canada est éliminé par le Honduras et le Mexique lors des qualifications pour la Coupe du Monde 2010: «Cela a été une grande frustration. Mais je ne prends pas ma retraite de si tôt, j’ai encore l’opportunité de travailler dur et de participer à la prochaine Coupe du Monde.»
En attendant de pouvoir décrocher un ticket pour le Brésil en 2014, le footballeur est concentré sur l’équipe de Montréal. A la fin de son contrat en Angleterre, Ali est retourné en Amérique du Nord. Après un passage éclair à Toronto, il est depuis la saison 2009-2010 de retour dans sa ville:
«Cela a été une décision mûrement réfléchie. Je voulais de la stabilité pour être proche de mes amis, de ma famille et de ma petite fille. Il n’y a pas que l’argent dans la vie. Il y aussi le bonheur.»
Un engouement pour le soccer
Le joueur a aussi perçu un changement dans l’univers footballistique canadien. Plus de spectateurs dans les gradins, plus d’articles dans les journaux et plus de licenciés dans les clubs, le football est désormais le sport le plus pratiqué dans le pays. Au Québec par exemple, la Fédération de soccer compte pas moins de 200.000 membres contre 90.000 pour celle de hockey. «Les gens commencent à être plus passionnés par le foot que par le hockey. Ils viennent au stade et ils prennent leur équipe à cœur. J’ai connu toute cette ambiance en Europe et je suis heureux de la retrouver chez moi», explique Ali avec fierté.
Cet engouement risque de se renforcer avec la participation dès la saison prochaine de l’Impact de Montréal dans la Major League Soccer (MLS). L’équipe québécoise a été choisie pour rejoindre les rangs de la meilleure ligue d’Amérique du Nord. Ali et ses coéquipiers affronteront en 2012 les New York Red Bulls de Thierry Henry ou encore les Los Angeles Galaxy de David Beckham:
«Le fait de rentrer dans la MLS va attirer plus de gens. Des joueurs de qualité vont venir. Il va y avoir une vraie compétition et des équipes européennes vont vouloir nous affronter.»
Pour Ali, il ne fait aucun doute que le football va finir par dépasser le hockey dans le cœur des Canadiens: «Ce n’est qu’une question de temps. Je veux juste être encore là pour pouvoir raconter « Je vous l’avais bien dit! »»
Stéphanie Trouillard