Que ce soit sur le terrain ou en dehors, certains anciens Lions Indomptables ont toujours dénoncé l’ambiance qui entoure le football camerounais. Quand on se rend compte de toutes les surfacturations qui sont associées aux infrastructures de la prochaine CAN2019, on peut s’imaginer qu’en période de vaches maigres, les autorités doivent aller trouver cet argent ailleurs. Achille Emana, l’un des rares courageux, dénonce.
Depuis son départ du Betis Séville en 2011, Achille Emana (35 ans) ne fait plus parler de lui. Pourtant, l’ancienne star du Toulouse FC joue toujours au football. Il a depuis quelques mois posé ses valises à Mumbai où il évolue en Indian Super League. La dernière étape de plusieurs années de voyage qui l’ont vu parcourir le monde pour jouer au Mexique, en Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis, au Japon, ou dans les divisions inférieures du championnat espagnol. En toute logique, c’est entre deux avions que le milieu camerounais revient sur son parcours.
Après tant d’expériences à l’étranger, comment t’es-tu retrouvé à jouer pour Mumbai ?
Comme je me suis retrouvé à jouer dans quasiment tous les clubs où je suis passé : l’entraîneur me voulait vraiment et il m’a donné un coup de téléphone pour me le faire comprendre. J’ai vite réalisé que ça pouvait être une expérience enrichissante pour moi et de ce fait, j’ai voulu essayer. Tout s’est fait super rapidement.
L’Indian League, ce n’est pas un peu ennuyant ?
Ça va peut-être te surprendre, mais je prends beaucoup de plaisir. Je m’amuse et j’avais besoin de ça. Bien évidemment, ce n’est pas le niveau de la Liga ou du championnat de France, mais ici, il y a une vraie volonté d’améliorer et de développer le football.
Que ce soit au niveau de l’organisation de la compétition, ou au sein du club, tout est fait pour nous tirer vers le haut. En plus, j’arrive avec un statut de joueur expérimenté donc ils me donnent pas mal de responsabilités et ça me plaît. Et puis ils ont fait signer pas mal d’anciennes stars. L’autre jour, je me suis retrouvé à jouer contre Robbie Keane. Je n’ai jamais évolué en Premier League et j’ai trouvé ça super de pouvoir côtoyer ce type de joueur à l’autre bout du monde. Ici, ils ne regardent pas l’âge, s’ils considèrent que tu es au niveau, tu joueras.
Comment se passe ta vie de tous les jours en Inde ?
C’est complètement différent de ce que j’ai pu expérimenter auparavant. Il faut être capable de s’adapter à beaucoup de choses. L’une des grandes différences, c’est que quasiment tous les joueurs vivent à l’hôtel.
Mis à part quelques locaux qui ont une maison, on est tous au même endroit sept jours sur sept. Les voyages sont longs, donc on ne peut pas se permettre de perdre de temps. Et puis il y a un gros problème de pollution et de trafic ici. Rien que pour se rendre sur le terrain d’entraînement, ça peut être très pénible. Je vais te donner un exemple : il y a un supermarché pas loin de l’hôtel. Il est supposé être à peine à vingt minutes, mais si tu veux t’y rendre en bus, il te faut plus d’une heure. Du coup, on est beaucoup à être confiné à l’hôtel toute la journée. Je dois avouer que je passe pas mal de temps à regarder des films sur mon téléphone.
Beaucoup de gens qui suivent le foot t’ont perdu de vue en 2011 quand tu as quitté le Betis pour l’Arabie saoudite. À ce moment-là, tu n’as que 29 ans. Pourquoi ce choix ?
Je ne le souhaitais pas. Le Betis non plus d’ailleurs. Rien n’était prévu. Je suis revenu après les vacances d’été et le club m’a fait comprendre qu’il y avait des problèmes financiers. De ce fait, ils devaient vendre beaucoup de joueurs. Je me suis donc retrouvé à jouer en Arabie saoudite.
Puis Dubaï…
Oui. Ça n’a pas vraiment été un endroit que j’ai aimé en matière de football. Les gens vivent la nuit là-bas, j’avais l’impression que le football n’intéressait absolument personne. T’arrives dans les stades, et les tribunes sont vides, c’est très étrange. Je ne m’attendais pas à ça, car j’arrivais d’Arabie saoudite où, contrairement à ce que l’on peut imaginer, les gens sont passionnés par le football et les stades sont toujours pleins.
Malgré tout, tu as continué à voyager…
Oui. (Il rigole.) C’est marrant parce que maintenant, quand je regarde mon passeport, il y a plein de visas partout. Mais honnêtement, je ne le regrette absolument pas, j’assume mes choix. Dans la vie, il faut parfois apprendre à souffrir et prendre des décisions difficiles si tu veux continuer à faire ce que tu aimes. J’ai acquis de l’expérience, pas seulement sur le terrain, mais aussi en dehors. Puis j’ai expérimenté différents types de football partout dans le monde. En fin de compte, c’est très positif.
Qu’est-ce que tu retiens de ces voyages ?
Qu’il faut être capable de s’adapter partout, ce qui n’est pas évident. Aujourd’hui en Inde par exemple, j’ai cinq heures de décalage horaire avec ma famille qui est en Espagne. Il faut donc être organisé pour arriver à avoir des nouvelles. Quasiment chaque semaine, j’apprends quelque chose de nouveau. Je pensais avoir déjà vu beaucoup de choses en arrivant ici. Mais ce qui me marque depuis mon arrivée à Mumbai, c’est que le pays est tellement grand qu’on prépare les matchs totalement différemment. À chaque fois qu’on se déplace, on part trois jours à l’avance pour pouvoir s’adapter au climat, au temps. Partir trois jours pour un déplacement en championnat, c’est quelque chose que je n’avais jamais fait.
Parmi toutes ces expériences à l’étranger, laquelle as-tu préférée et pourquoi ?
Sans hésiter le Mexique (Cruz Azul et Atlante entre 2013 et 2015, ndlr). On parlait de passion tout à l’heure. Là-bas, le foot est une religion et l’ambiance est exceptionnelle dans tous les stades où tu vas. Je me suis senti revivre. Je sortais de deux années difficiles en Arabie saoudite et à Dubaï. Pouvoir rejouer dans un championnat compétitif, avec autant de passion, c’était le top.
Tu as aussi signé au Japon, au Tokushima Vortis, mais tu n’as pas disputé une seule minute là-bas. Que s’est-il passé ?
Je suis resté six mois là-bas et malheureusement, c’est vrai, je n’ai pas joué.
Je suis arrivé trois semaines après la fin de saison en D2 espagnole. Physiquement, j’étais affûté. J’ai commencé à m’entraîner avec l’équipe, mais à chaque fois que l’heure du match arrivait, le coach ne me convoquait pas. J’ai attendu un peu, puis j’ai fini par demander des explications. On m’a dit que mon physique n’était pas suffisant. Pourtant, à ce moment-là, je peux t’assurer que j’étais plus que bien. J’ai fini par comprendre que le club m’utilisait pour faire du marketing. J’allais aux entraînements, on me demandait d’aller faire des photos, puis c’est à peu près tout. Finalement, j’ai pété un plomb, je leur ai demandé de déchirer mon contrat et je suis rentré chez moi.
Tu arrives à suivre les résultats de Toulouse ?
Difficilement. Quand je rentre chez moi en Espagne, oui sans problème. Mais ici en Inde, c’est quasiment impossible. Ils diffusent la Premier League et la Serie A, c’est tout. Heureusement, je suis le compte Instagram du club, donc j’arrive à avoir des nouvelles.
Ta période toulousaine coïncide-t-elle avec les meilleures années de ta vie ?
De loin. Je dois tout à ce club. Ils m’ont donné énormément. Quand je suis arrivé à Toulouse, on était en National. Et quand j’ai quitté le club, on venait de jouer la Ligue des champions.
Ça a été une aventure humaine que je ne pourrai jamais oublier. Le président Sadran nous couvait comme si on était ses enfants. On a vécu des trucs de fou, mais mon plus grand souvenir, ça restera pour toujours la montée en Ligue 1. À l’époque, personne ne nous attendait, la fête avait été grande. Je revois le président en larmes sur le terrain et dans les vestiaires. De vraies émotions.
Le Cameroun ne s’est pas qualifié pour la Coupe du monde. Entre les Lions indomptables et toi, c’est bien terminé ?
Définitivement. Je ferme les yeux sur cette sélection. Je ne veux plus en entendre parler.
Je ne dirai pas que ça a été une perte de temps pour moi, mais en tout cas, une immense déception. Il y a trop de corruption dans le football camerounais, trop de gens qui se prennent pour les rois et qui font du mal à notre sport. Ça a toujours été un honneur d’être convoqué. Mais bon, il faut que les dirigeants comprennent que quand tu viens jouer, tu laisses ton club pour plusieurs jours. Tu as le voyage à penser. Tu arrives au pays et tu te rends compte que tu dois dormir à l’aéroport. C’est vraiment n’importe quoi. Certaines personnes voient la sélection comme leur patrimoine personnel et ce n’est pas acceptable. Je souhaite continuer à vivre ma vie loin de tout ça.
Propos recueillis par Charles Thiallier