Ancien Lion indomptable, il quitte l’arène à la suite d’une blessure dont il a été victime au genou lors de ses premières sélections en équipe nationale. Agé aujourd’hui de 45 ans, 1,85 mètres pour 90 kilogrammes, Sylver Talom fait partie des joueurs de race qui ont écrit les plus belles pages de Racing de Bafoussam, équipe qui le conduira au crépuscule de sa carrière. Sa vie de footballeur, ses déboires, ses plus grands souvenirs et ce qu’il pense du championnat camerounais. Interview à coeur ouvert…
Camfoot.com : Beaucoup de jeunes d’aujourd’hui ne connaissent pas beaucoup Sylver Talom. Pouvez-vous nous parlez de vos premiers pas dans le football ?
Sylver Talom : Le football chez moi est une vocation parce que je l’ai commencé dès le bas âge. Je me rappelle encre que quand on sortait des classes à l’école primaire, on passait toute la soirée à taper dans un ballon de football. Et parfois on oubliait même nos cahiers au stade. Le lendemain c’est quand le maître demandait un cahier par exemple qu’on se rappelait qu’on l’a oublié autour de l’aire de jeu.
Le football c’est un don ; on ne le force pas. En plus de ce don, il faut aussi avoir la volonté. C’est dans Flèche Noire de Douala, une équipe de troisième division, que j’ai commencé ma carrière. C’était dans les années 1983. C’était à l’époque de Feutmba et Tchakounang, mon ancien coéquipier de Racing qui à l’époque jouait dans Stade de Douala.
Camfoot.com : Après Flèche Noire comment se passe la suite de votre carrière ? Quels sont les clubs dans lesquels vous avez évolué ?
Sylver Talom : Après Flèche Noire, avec mon entraîneur feu Bilé qui m’a laissé pour rejoindre le Racing, j’ai été sollicité par Dihep Dikam, une équipe de première division. Jusque là je n’avais pas eu à évoluer en deuxième division. En ce moment là Dihep Dikam n’avait pas une équipe junior. Grâce à ma vivacité et ma corpulence, j’ai été directement intégré en première division.
Camfoot.com : Il se pourrait qu’à l’époque vous étiez un défenseur de race sollicité par beaucoup d’entraîneurs…
Sylver Talom : Avant d’être recherché il y avait d’abord le travail, la vocation et la volonté de jouer au football. Quand je jouais dans Dihep, j’étais pratiquement le benjamin de la première division. De par ma robustesse, quand je donnais mon âge, 16 ans, beaucoup de personnes n’en revenaient pas. Pour finir, je parvenais à m’en sortir devant des grands frères comme Bonaventure Djonkep. Ils sont tellement nombreux que je ne peux pas tous les citer ici.
Camfoot.com : Peut-on dire que c’est votre passage à Dihep qui a conditionné votre recrutement par Racing de Bafoussam ?
Sylver Talom : Après notre descente en deuxième division, c’est le président Fofié de Bamboutos de Mbouda, paix à son âme, qui est allé jusqu’à Douala me chercher pour évoluer dans son club. La même année le Racing de Bafoussam avait également besoin de moi. Mais j’avais préféré le premier arrivé parce que je n’aimais pas décevoir les dirigeants quand ils venaient vers moi. Ce n’est pas moi qui allait chercher le club. Donc après Dihep je me suis retrouvé à Mbouda en deuxième division. Là c’était la première fois pour moi d’évoluer en deuxième division. Sur place, j’ai retrouvé les Makongo, Semme, Djou Dieudonné, Yérima et Ibrahim Ndang Assabe avec qui on a évolué plus tard dans Racing de Bafoussam.
Camfoot.com : Justement que suscite en vous votre séjour au sein de Racing de Bafoussam ?
Sylver Talom : Je me rappelle que le Racing à notre époque c’était le club chéri du grand Mifi et de la province de l’Ouest parce que tout le monde parlait du TPO. Les dirigeants de Racing à l’époque sont aujourd’hui les dirigeants de Sable, Fovu et Bamboutos de Mbouda. Je me souviens d’un grand frère qui a beaucoup œuvré pour le TPO et qui residait à Mbouda, monsieur Tapindjie, parce que le Racing à l’époque était composé de tous les fils de l’Ouest. Ce n’est pas comme aujourd’hui où tout le monde tire la couverture de son côté. C’est ça qui faisait notre force.
Camfoot.com : Vous avez quand même eu à remporter des lauréats dans votre carrière de footballeur…
Sylver Talom : Pendant le premier sacre de Racing comme champion du Cameroun [en 1989, Ndlr], j’étais l’un des trois capitaines. Sans compter les multiples tournois anti-polices où j’ai eu à remporter plusieurs prix individuels comme meilleur défenseur. Aussi j’ai été plusieurs fois malheureux finaliste de la coupe du Cameroun. C’est ça qui me reste aujourd’hui comme souvenirs. Je n’ai pas eu de chance avec l’équipe nationale parce que dès mes premières sélections je me suis fait mal au genou. Et c’est cette blessure qui m’a fait raccroché mes crampons.
Camfoot.com : Qu’est-ce que ça vous fait aujourd’hui de voir le Racing évoluer en ligue provinciale de football de l’Ouest?
Sylver Talom : Quand vous parlez de Racing c’est comme si vous étiez en train de réveiller les morts. Sans vous trompez c’est le Racing qui circule dans mes veines aujourd’hui. Le travail que j’ai aujourd’hui c’est grâce au Racing de Bafoussam qui par ailleurs m’a fait connaître tout Bafoussam. Même si aujourd’hui les gens font la différence entre les différents villages, je vous jure qu’elle reste la mère des équipes à l’Ouest. Je pense que les dirigeants des autres équipes de première division de l’Ouest ne sont pas du tout contents de voir le Racing évoluer en division inférieure.
Camfoot.com : D’après vous, et en tant qu’ancien joueur, y a t-il des pistes pour faire sortir le Racing de sa situation actuelle ?
Sylver Talom : Il fut un moment où le chef Bafoussam, sa Majesté Njitack Ngompé, a fait appel à moi à moins sept journées de la fin du championnat. Il a envoyé des gens me rencontrer et comme nous sommes en pays Bamiléké où il faut honorer à l’appel du chef, j’ai donné un coup de main au Racing. Sur sept matches j’en ai coaché 5 ; pour 1 seule défaite. Pour le reste il y avait beaucoup d’intrigues. Ce que je n’aime pas. Aujourd’hui je n’ai pas la dentition complète, je n’ai pas de clavicule droite et tout cela à cause de Racing.
Camfoot.com : Le championnat de première division aujourd’hui ne mobilise plus assez de monde dans les stades comme par le passé. C’est à dire à votre époque où il y avait toujours le plein d’œuf. Comment réagissez-vous sur le sujet ?
Sylver Talom: Il n’y a pas de comparaison à faire entre le championnat d’aujourd’hui et celui de notre temps parce qu’il y avait d’abord des gars volontaires. On aimait le défi. Quand il y avait par exemple un match devant opposer le Racing à Canon, Tonnerre, Union, Colombe de Sangmelima ou Pwd de Bamenda, sur les 11 joueurs du camp d’en face qui devaient se présenter, il était facile de maîtriser au moins 5 d’entre eux. Quand les joueurs se maîtrisaient entre eux, on savait que le match allait se jouer. Des supporters allaient au stade pas pour voir absolument le match mais par exemple pour un certain duel Talom contre Djonkep. Il y avait d’abord un défi entre nous les joueurs et le match se jouait psychologiquement. On jouait pour faire plaisir au public, à nos encadreurs et dirigeants. Aujourd’hui les gens jouent pour de l’argent. Il n’y a plus de patriotisme. Peut être les lions le font encore mais en championnat de première division, et vous ne pouvez pas le démentir, je ne vois aucun joueur qui sort du lot. Aujourd’hui on malaxe tout pour avoir ce qu’on peut avoir comme football.
Camfoot.com : Le rêve des jeunes footballeurs c’est d’aller évoluer à l’extérieur et c’est peut-être cela qui fait problème…
Sylver Talom: C’est ce que je venais de dire tantôt. Les gars d’aujourd’hui n’aiment pas amortir et jongler le ballon ; mais traverser les frontières. C’est pour cela que notre championnat dort un peu. Je me rappelle avoir joué mon premier match dans Bamboutos de Mbouda à la 4e journée. Cela parce que quand vous arriviez dans une équipe il y avait des titulaires qui ne vous laissaient aucune chance. Et il vous revenait de travailler. Quand j’arrivais dans Bamboutos il y avait des joueurs tels que Tensseu Gérard et Nguidjol qui évoluait à l’équipe nationale espoir. C’est grâce à mon travail que j’ai pu déclasser Nguidjol. Dans le Racing il y avait aussi de grands stoppeurs. Souvent avant le début du match des supporters donnaient le classement parce que les nouveaux avaient peu de chance pour avoir une place. Il fallait beaucoup travailler et travailler dur. Quand un jeune arrive dans un club de nos jours, il ne respecte personne; en oubliant que c’est l’ancien qui pourra lui donner le secret pour jouer et prendre même la relève.
Camfoot.com :Quelle lecture faites-vous de la prestation des Lions indomptables ces dernières années ?
Sylver Talom : Je ne leur reproche pas grand chose. Si les amateurs pouvaient avoir un peu de volonté comme les professionnels, je crois que le championnat camerounais pourrait reprendre sa place d’antan.
Camfoot.com : Est-ce que vous regrettez votre passage en première division ; parce qu’il se dit que comparativement à aujourd’hui il n’y avait pas d’argent dans le football ?
Sylver Talom : En ce qui concerne ma carrière je ne regrette rien. Je suis à la communauté urbaine de Bafoussam aujourd’hui grâce à Racing [il travaille à la police municipale, Ndlr]. Je vis chez moi grâce au football. Beaucoup de mes collègues footballeurs n’ont pas une maison comme la mienne ; encore moins un poste de service où ils gagnent leur pain. Avec le salaire que j’ai, je parviens à encadrer mes enfants. Il ne faut pas tout demander à Dieu. Je me rappelle, pour ne pas citer des noms, mes coéquipiers qui ont joué même la coupe d’Afrique des nations de football et n ‘ont pas une maison comme moi. Je ne me lance pas les fleurs.
Interview réalisée par Blaise Nwafo à Bafoussam