À quelques heures du début de la coupe du monde, nous avons rencontré l’international Camerounais Serge Branco qui nous a accordé une interview dans le quel il revient sur l’actualité et son exil Russe. Le champion Olympique de Sidney jette notamment un regard positif sur l’équipe nationale du Cameroun tout en fustigeant la situation actuelle qui prévaut dans notre championnat national. Retour sur un entretien accordé dans un des restaurants Camerounais de Frankfurt (Allemagne).
Camfoot.com: Quel est l’objet de la visite de Serge Branco en Allemagne ? Plus particulièrement dans la ville de Frankfurt ?
Serge Branco: C’est vrai que j’ai joué ici pendant trois bonnes années. J’ai aimé la ville de Frankfurt. Il est aussi vrai que j’ai également résidé à Stuttgart avant de m’envoler pour l’Angleterre. Maintenant j’évolue en Russie et il fallait décider avec ma famille où m’installer. Et comme dans cette ville les choses se sont bien passées, les gens m’ont beaucoup aimé et que la ville me plaît bien, j’ai décidé d’avoir le pied sur terre ici en m’achetant une maison pour installer ma famille.
Camfoot.com: Et comment ça se passe pour vous en Russie ? D’après le classement d’avant trêve, votre club n’est pas trop mal placé ?
Serge Branco: Ça se passe très bien, dans la mesure où nous sommes dans un des meilleurs clubs de la Russie et on joue le titre. Le club s’est donné les moyens en achetant des bons joueurs. Au début j’ai très bien commencé, après j’ai eu quelques petits bobos physiques qui m’ont éloignés un peu des stades. La trêve a été la bienvenue ; je me soigne très bien ici à Frankfurt, avec les trois semaines de vacances qu’on a eu. Nous sommes encore à la 10e journée de notre championnat qui a dû s’arrêter pour permettre à l’équipe de Russie de se préparer pour les échéances futures. D’habitude on joue de Mars à Novembre avec une pause hivernale de 3 mois. Pour avoir eu un nouvel entraîneur et pour un stage de préparation de la part de l’équipe nationale Russe, nous avons eu une trêve d’un mois. Les entraînements reprennent lundi prochain (ndlr lundi 06 Juin 2006) et le championnat le 12 juin.
Camfoot.com: Quand on entend généralement parler de la Russie, on ne peut pas s’empêcher de penser à son hiver rude d’un « autre monde ». Pourtant, il y a de plus en plus de footballeurs Camerounais et étrangers qui y vont. C’est dire qu’il fait bon d’évoluer là-bas ?
Serge Branco: C’est vrai qu’il y a toujours des préjugés. Quand j’ai eu la proposition d’y aller, je me suis posé beaucoup de questions. J’avais même repoussé 2 offres bien avant la dernière. Parce que dans mon esprit je pensais aussi comme vous, à savoir il fait froid et c’est un pays violent avec ses gangs mafieux. Et après … financièrement, il y a des propositions qu’on ne refuse pas. Avec tous ces doutes dans la tête, je me suis dit il faut faire des sacrifices, car l’offre était très très importante. Comme je vous ai dit tantôt, j’ai décidé d’installer ma famille en Allemagne car la mentalité ici n’a rien à voir avec le reste de l’Europe. Tout est différent ici. La mentalité se rapprochant plus de l’Afrique. L’adaptation n’a pas été facile, mais j’ai eu la chance d’être bien accueilli. Ça se passe très bien pour moi. Le niveau du championnat Russe est élevé. Beaucoup de gens ont des préjugés parce qu’il ne le connaisse pas. Regardez par exemple les dernières performances. Le CSCA a gagné l’UEFA pour ne citer que ce cas. Contrairement aux pays comme le Qatar ou l’Arabie Saoudite qui ne recrutent que des joueurs âgés, enfin de carrière, en Russie on recrute des jeunes Brésiliens et européens à plus de 20 millions d’euros parfois. Il n y a qu’à regarder le cas Manich et bien d’autres. Maintenant, le problème qui s’y pose reste les infrastructures. Il y a une dizaine d’équipes très riches, et le reste presque pauvres. Exactement comme la vie en Russie où les milliardaires sont aussi nombreux que les pauvres. À part ça, j’aime bien le pays et il me le rend bien. J’ai été par exemple élu la saison dernière troisième meilleur joueur étranger du championnat. Avec une 5e place en 10 journées, j’espère que nous terminerons dans le trio de tête à la fin de la saison. Tous ce que je peux dire à tous ceux qui aimeraient évoluer en Russie c’est qu’il ne faut pas avoir peur du froid, car c’est en hiver et en hier il n y a pas championnat. Il y a 5 ans, la saison se déroulait aussi pendant l’hiver … plus maintenant.
Camfoot.com: Juste après votre de départ de Shinnik Yaroslavl pour le Krylia Sovetov, il y a un autre camerounais qui vous a suivi en l’occurrence Benoît Angwa. Comment ça se passe pour vous deux ?
Serge Branco: C’est vrai Benoît a signé après mois au Krylia de Samara qui est le nom de la ville. Il a eu quelques problèmes d’adaptation, car il n’était pas libre. Son club Sud américain ne voulait pas le laisser partir et ç’a pris un peu de temps. Il a fallu que la FIFA vienne trancher le problème pour qu’il rejoigne effectivement l’équipe. D’après ce qu’il m’a laissé entendre, son ancien club ne l’avait plus longtemps versé son salaire. Après des lettres à la FIFA, on lui a fait comprendre qu’il pouvait s’engager ailleurs. Dès qu’il a signé en Russie, son club d’Uruguay s’est opposé et il a fallu que la FIFA vienne encore trancher le litige en sa faveur. Entre temps, il a beaucoup travaillé et il commence à intégrer petit à petit l’équipe. Comme c’est un nouveau championnat et qu’il a fait longtemps sans jouer, l’adaptation n’a pas été facile. Il a des qualités, c’est un très bon joueur, je suis sûr qu’il va s’imposer.
Camfoot.com: Et vos rapports avec d’autres joueurs Camerounais qui évoluent en Russie ?
Serge Branco: Il y a déjà Benoît qui est avec moi, si non pendant les matchs on se rencontre on discute, on se change des maillots. Comme ma famille ne réside pas en Russie, après les matchs et quand j’ai le temps libre, je vais directement en Allemagne. Ce qui fait qu’en dehors des stades et des entraînements, je ne suis pratiquement jamais là et donc pas l’occasion d’approfondir nos rapports. Je suis quand même au courant de ce qui se passe par l’intermédiaire de Benoît.
Camfoot.com: Après le match amical contre la Hollande, bon nombre d’observateurs pensent qu’il y a encore du potentiel chez les Lions indomptables. Quel regard jetez-vous sur l’équipe actuelle ?
Serge Branco: Je suis très fier de cette équipe. J’entends partout dire que l’équipe du Cameroun est finie, que les joueurs sont vieux et qu’il y a parmi qui doivent arrêter etc… Je pense qu’on reste la meilleure équipe en Afrique. Les gars l’ont démontré contre la Hollande. On a de très bons joueurs, des nouveaux qui arrivent et s’imposent. Sincèrement, je suis très content et reste un des supporters de cette équipe. J’entends aujourd’hui dire que c’est le manque d’infrastructures qui ne nous fait pas gagner. Ce qu’ils oublient c’est que sans infrastructures, nous avons eu à gagner. Je n’encourage pas ça, mais je pense qu’il ne faut pas tirer sur des joueurs et que les dirigeants vont aussi faire des efforts pour mettre à la disposition des sportifs un cadre qui permet de mieux développer le football. Nous avons de très grands joueurs en Europe qui sont dans des grands clubs et qui s’imposent, contrairement à d’autres Africains. Nous avons une très bonne équipe et je pense à mon humble avis que les camerounais doivent être tous derrière les Lions. Pas qu’à la moindre défaite, qu’on se mette à tirer sur tout le monde comme si on n’avait jamais rien gagné.
Camfoot.com: Vos projets d’avenir ?
Serge Branco: Mon projet c’est le foot et toujours le foot. C’est ma vie professionnelle, c’est mon club. J’ai eu la chance d’avoir un bon début de carrière et je remercie tous les jours le bon Dieu pour cela. Sans coupe du monde, sans coupe d’Afrique des nations et sans être quotidiennement avec l’équipe nationale, j’ai pu trouver ma route. J’ai eu la chance d’être là au bon moment et où il fallait, à savoir aux jeux olympiques. Avec l’aide de mon agent anglais qui connaît bien l’Allemagne et l’Angleterre, j’ai eu ce que je pouvais espérer. Je suis fier de ça et je continue sur cette lancée. Je donne le meilleur de moi, ce qui m’apporte aussi des opportunités. Il y a des clubs qui me sollicitent toujours et tant que ça dure, je ne peux être que content.
Camfoot.com: Vous avez soutenu d’une manière active le Challenge Camerounais (ndlr rassemblement de toute la communauté Camerounaise d’Allemagne) alors même qu’il y a très peu de joueurs dans votre situation qui le font. Quelle a été la motivation principale ?
Serge Branco: En fait, ça me vient du fond du cœur. Il y a des Camerounais résidant ici qui m’ont contacté. Pour être plus clair, ils voulaient un coup de main de ma part. Je sais ce que c’est pour avoir aussi évolué en Allemagne. Je connais les difficultés qu’ont des étudiants pour avoir du matériel d’entraînement ou alors des équipements sportifs. Si j’ai eu la chance d’être pro et d’avoir des bons contacts avec des équipementiers, pourquoi ne pas les aider. Quand j’évoluais à Frankfurt, j’ai été trois ans sous contrat avec Puma qui me fournissait du matériel et de l’argent. Ceci m’a permis très souvent de soutenir par exemple des équipes Camerounaises de Darmstadt. Avec ces bons contacts gardés avec le marketing de Puma, je reçois toujours des équipements qui me permettent d’habiller mon équipe au Cameroun (FC Douala 2e) et de donner la possibilité à ceux qui me contactent de jouer avec des équipements de qualité. Pour revenir au Challenge, je me dis toujours si j’ai cette possibilité, pourquoi ne pas en faire profiter aux compatriotes ? Il y a deux ans à Berlin, je ne pouvais pas être là, mais j’ai fais un geste pour encourager les meilleurs du tournoi de football. Les années passent, l’organisation s’améliore et il y a beaucoup plus de personnes qui y vont. La raison principale pour laquelle je pense qu’il soit nécessaire de les encourager, c’est pour l’image de notre pays et le bien de ceux qui vivent ici. Quand je vois une équipe de camerounais qui se prépare 6 mois à l’avance et que pendant ces 6 mois, pour des raisons financières, elle ne peut pas s’offrir des maillots, ça me fend le coeur… si j’ai des maillots en quantité chez moi, pourquoi ne pas en offrir aux nécessiteux ? Ça me vient vraiment du fond du cœur.
Camfoot.com: Il y a quelques jours à Douala, le championnat de première division n’a pas pu se jouer à cause -d’après plusieurs medias- de la guerre qui oppose le Ministère à la Fédération. Pour vous qui avez été formé à l’école des Brasseries et qui a évolué dans ce championnat, qu’est-ce que ça vous fait d’apprendre qu’on en arrive jusqu’à ce point ?
Serge Branco: J’ai suivi ça à travers votre site qui nous tient au courant de l’actualité au Cameroun. Je trouve ça dommage, car le problème chez nous n’est pas chez les footballeurs, mais plutôt au niveau de ceux qui gèrent le football. Je suis un exemple … vous êtes bien placé pour le savoir (Hésitant) … Si je ne suis plus à l’équipe nationale, c’est à cause d’un problème qui n’a absolument rien à voir avec le foot. À l’époque, le ministre Bidoung avait des gens autour de lui qui pensait décider de qui allait jouer, qui allait être appelé, qui on allait suspendre et radier. Et je pense que ce sont des choses qui portent préjudices. Et je ne cache pas que ça m’a fait très mal jusqu’ici. Ce n’est pas que nous avons des mauvais dirigeants, mais, ils doivent comprendre que les intérêts sportifs doivent passer avant les ambitions personnelles. Je pense à mon avis que c’est la fausse note qui se trouve dans notre foot. Nous avons les joueurs, nous avons toutes les qualités et les moyens nécessaires ; c’est juste un problème d’organisation et de volonté. Pourtant, il y a des hommes capables de bien gérer, que ce soit des anciens footballeurs ou alors des simples administrateurs. Mais, il y a-t-il la volonté de mettre les gens compétents à la place qu’ils méritent ?
Propos recueillis par Sephen SUNOU à Frankfurt