Resté dans le milieu sportif à plusieurs niveaux, Bernard LAMA est un spectateur attentif du football africain et camerounais. La recherche du nouveau sélectionneur national, au centre de toutes les discussions actuellement ne lui est pas indifférente. Le guyanais est candidat au poste laissé vacant par Schäfer.
Camfoot.com: Bonne année Mr Lama. Depuis votre retraite footballistique, comment vous occupez-vous ?
Bernard LAMA: Bonne année à vous. Depuis l’arrêt de ma carrière il y a trois saisons, je me suis beaucoup consacré premièrement à la réalisation d’un centre de formation, mis en place au Sénégal avec mes amis Patrick Vieira et Jimmy Adjovi-Bocco. Ensuite j’ai consacré du temps à la Guyane, mon pays et aux Antilles. J’ai accompli des missions dans les trois départements. De manière ponctuelle, j’ai aussi intervenu dans certains médias en tant que consultant. Il y a eu une télévision japonaise avant la Coupe du Monde 2002, Infosport pendant le même tournoi, puis l’Equipe Tv pendant l’Euro 2004. J’ai aussi eu l’occasion de passer mes diplômes d’entraîneur et d’enrichir ma culture footballistique. Cela m’a permis de travailler avec la télévision CFI pour couvrir la Coupe d’Afrique. Donc au total, j’ai pu travailler de près dans les trois grandes compétitions de football hormis le tournoi football des JO d’Athènes. Ce qui m’a permis d’observer et d’aider les téléspectateurs à appréhender les choses du football !
Camfoot.com: Vous n’êtes donc pas comme certains footballeurs qui après leur carrière quittent complètement le milieu ?
Bernard LAMA: Je ne connais pas beaucoup d’ex-footballeurs qui ne soient pas dans le milieu de manière directe ou indirecte. Cela me paraissait naturel d’y rester, parce que c’est un milieu que j’aime. A partir du moment où on aime quelque chose, c’est difficile de lâcher… En 2003, j’ai managé la sélection de Martinique à la Gold Cup, qui est l’équivalent de la CAN pour les pays de la zone d’Amérique du Nord, d’Amérique centrale et des Caraïbes. Dernièrement, j’ai travaillé avec la Guyane pour le 1er tour qualificatif de la Gold Cup 2005. Mis à part les médias, je suis aussi sur le terrain, mais à un autre stade.
Camfoot.com: Comment s’est passé l’expérience avec la Martinique à la Gold Cup 2003 ?
Bernard LAMA: Globalement les choses se sont bien passées. L’attente n’était pas uniquement liée aux résultats sur le terrain. La mission était aussi de donner un cadre de travail au staff technique : bien répartir les tâches avant, pendant et après la compétition. Il faut savoir que la Martinique est une ligue amateur qui a beaucoup de représentants ici en France, mais qui ne peut pas vraiment en bénéficier étant donné son statut politique. Du fait de la reprise des championnats en juillet 2003, nous n’avons pas pu faire libérer des joueurs comme Piquionne ou Pierre-Fanfan, ou d’autres de D2 et de CFA. On a donc dû aller à la compétition avec une majorité de joueurs amateurs, dans un groupe réunissant le Salvador et les Usa. On a perdu les deux matches 1-0 et 2-0, mais on a montré des choses. Avec l’apport de 3 ou 4 joueurs professionnels, on aurait pu tirer notre épingle du jeu. On a eu une bonne année 2004, des stages à Cuba, organisation en Martinique du congrès de la Confédération Caribéenne de Football. Mon rôle était de faire le bilan, un audit du travail fait au niveau technique, de façon à pouvoir apporter des améliorations. Une mission de développement autant que de management. Cette expérience sera profitable pour la Martinique et pour moi.
Camfoot.com: Suivez-vous les qualifications pour Allemagne/Égypte 2006 ?
Bernard LAMA: Je les suis de très près… J’étais, il y a un an, à la Coupe D’Afrique de Tunisie. J’ai vu les meilleures équipes africaines évoluer. Je pense que le niveau s’est nivelé par le haut, les moins bonnes équipes aujourd’hui ne perdent plus aussi facilement qu’avant. L’écart s’est resserré en Afrique entre le haut niveau et la base. Je connais moins le football des clubs, mais cela me parait logique que ce football progresse parce la plupart des joueurs évolue en Europe maintenant. Par contre il y a des choses qui perdurent : l’inorganisation autour des sélections. Il y a toujours cette espèce de folklore que l’on sent dans l’organisation qui est dommageable. On a perdu un peu de la spontanéité africaine, le coté naturel du foot, mais on a gagné en rigueur, en organisation, et à terme je pense que l’Afrique a le potentiel pour remporter la Coupe du monde. Il y a cependant une conjoncture d’éléments qu’il faut mettre en place pour y arriver. Je pense qu’en Allemagne, on y retrouvera les meilleures équipes africaines.
Camfoot.com: Vous pensez à quels pays précisément ?
Bernard LAMA: Si je me fie à ce que j’ai vu en Coupe d’Afrique, pour peu que ces équipes confirment, je pense au Maroc, au Nigeria, au Cameroun, au Sénégal, à l’Afrique du Sud… Ces équipes là devraient pouvoir se retrouver en Allemagne. Il y a la Côte d’ivoire aussi qui est très bien placée et qui n’a pas encore joué de coupe du monde. La Guinée qui a une excellente génération… En définitive, sur les 5, on retrouvera 3 ou 4 équipes que l’on génération déjà et 1 ou 2 surprises, pas plus.
Camfoot.com: Parlant de surprise, dans le groupe du Cameroun les Ivoiriens sont en tête avec 4 points d’avance. La qualification n’est-elle pas compromise ?
Bernard LAMA: Oui, ce sera plus compliqué qu’au début. Il y a 4 points de différence mais maintenant tout est jouable. On l’a démontré avec l’équipe de France. C’est justement ce qui fait la beauté du sport : jusqu’au dernier coup de sifflet final, il y a toujours quelque chose à jouer. C’est vrai que la Côte d’Ivoire est bien partie dans le groupe, elle qui a une excellente génération de joueurs qui est arrivée à maturité et qui n’a jamais disputé la Coupe du Monde. C’est un beau challenge à relever pour les LIONS pour qu’ils redeviennent indomptables déjà, et qu’ils se concentrent sur leur parcours, et qu’ils gagnent tous leurs matches, en espérant que les Eléphants commettent un faux pas. Les choses ne dépendent plus seulement du Cameroun, mais je reste positif à la capacité de la sélection à pouvoir se qualifier.
Camfoot.com: Le Cameroun n’a toujours pas nommé son sélectionneur. Avez-vous des indiscrétions ?
Bernard LAMA: J’ai des nouvelles par l’intermédiaire de votre site Camfoot (rires). Je sais qu’il y a un nouveau ministre des sports qui a été nommé, et que pour prendre ce genre de décision, il faut de la concertation, il faut des échanges. C’est un poste qui nécessite que l’on prenne le temps d’étudier les choses, les candidatures et de faire le tri par la suite. Cela ne m’étonne pas qu’il n’y ait pas encore de sélectionneur à ce jour.
Camfoot.com: Parmi les coachs listés (de Maturrana à Perrin), vu de loin, qui voyez vous comme le meilleur choix pour le Cameroun ?
Bernard LAMA: Ce ne sont que les camerounais qui peuvent le savoir. Ces gens sont des personnes de qualité qui ont un vécu, une expérience. Je crois qu’il faut analyser tout ça. Il faut d’abord savoir ce dont a besoin la sélection camerounaise. Moi je crois qu’on ne recrute pas les gens sur leur palmarès ou sur leur vécu, mais sur ce qu’ils sont capables d’amener pour le futur, dans un contexte particulier. De mon point de vue, le palmarès ne suffit pas forcément pour recruter quelqu’un. Le nom ne suffit pas forcement. Il faut que la qualité prime. Une analyse fine du contexte local doit être faite pour pouvoir nommer quelqu’un qui pourra correspondre à ce contexte local. Je peux difficilement dire qui serait la bonne personne je n’ai pas tous les éléments en main…
Ce que je sais, c’est que le Cameroun a un potentiel de joueurs que peu de pays ont… et ceci depuis plusieurs générations. Dès ses débuts en Coupe du Monde 1982, on a vu des joueurs extraordinaires tels que Kundé, Abega, Milla… J’étais à l’époque mais ce sont des joueurs dont j’ai entendu parler, que j’ai pu voir jouer en même temps. Par la suite, il y a toujours eu un potentiel de joueurs qui s’est renouvelé. Je crois qu’il faut des personnes capables de rassembler tous ces éléments et ayant suffisamment d’expérience pour pouvoir aider les garçons à maintenir un niveau de performance élevé pendant une période donnée. ll y a beaucoup d’entraineurs qui ont assez d’expérience mais qui n’ont pas forcement beaucoup d’expérience de très haut niveau. C’est comme pour les joueurs, il faut qu’il y ait les qualités de base et le vécu de certaines choses de très haut niveau pour pouvoir atteindre le haut niveau et savoir ce qu’il faut pour y arriver…
Camfoot.com: Mais avec votre vécu, ce poste ne pourrait-il pas être un challenge intéressant?
Bernard LAMA: Vous savez, c’est ce que j’ai fait avec la Martinique. C’est quelque chose qui m’intéresse parce que dans tous les clubs où je suis passé j’ai toujours été l’un des leaders, l’un des relais, et parfois le capitaine même. Ce qui m’a toujours plû c’est de manager, et c’est clair qu’en ayant autant de joueurs que le Cameroun en a, c’est clair que c’est un challenge intéressant. Et ce serait un privilège.
Camfoot.com: Pourquoi n’avoir pas postulé ?
Bernard LAMA: Disons que, pour être honnête… [hésitations] Cela a été déjà fait et j’attends maintenant. Je suis capable de faire certaines choses, et celle là en fait partie. Ceci dit je pense bien me débrouiller quand je commande un match, j’arrive à m’en sortir avec des jeunes sur un terrain, parler aux joueurs, diriger des séances d’entraînement. Je sais faire pas mal de choses. Je suis un homme de challenge, capable de relever certains défis.
Camfoot.com: Vous n’avez pas une expérience en tant qu’entraîneur, malgré votre riche carrière de joueur ?
Bernard LAMA: Vous savez, je peux vous citer dix entraîneurs ayant beaucoup d’expérience qui ne sont arrivés à aucun résultat. Je peux également vous citer dix entraîneurs ayant démarré sans aucune expérience et qui ont fait une très belle carrière avec des résultats. Je pense à Didier Deschamps, à Paul Le Guen, à Beckenbauer, à Platini, Rijkaard ou Van Basten qui ont entraîné leurs différentes sélections nationales sans expérience préalable. Il y a aussi Klinsmann ou Stoichkov qui n’ont pas de passé d’entraîneur.
Il ne faut pas confondre les choses : la fonction de sélectionneur n’est pas tout à fait la même que celle d’entraîneur. Sélectionner c’est d’abord être capable de faire des choix, de les assumer, et de faire en sorte que ces choix là soient cohérents, et qu’ils produisent un résultat sur le terrain. Cela englobe le management, l’entraînement, la logistique, la communication et beaucoup d’autres choses. Il ne faut pas juste limiter le rôle simplement aux séances d’entraînement. Aujourd’hui l’entraîneur n’est plus tout seul. Il fonctionne avec un staff composé d’assistants spécialisés dans certains domaines. Ce qui est important c’est d’être capable de manager un staff et un groupe de joueurs.
Camfoot.com: Si d’aventure vous étiez retenu, comment verriez-vous cette tâche de management au niveau des Lions indomptables actuels ?
Bernard LAMA: Je ne peux pas vraiment répondre à cette question sans être complètement impliqué dans la chose. Je ne suis pas un faiseur de miracles. Je n’ai pas d’idées préconçues non plus. Avant de faire quoi que ce soit il faut d’abord faire un bilan, un audit et voir avec quel matériel humain on va travailler, quel projet ou objectif à définir. Il y a des choses de base dans le management, mais je pense que chaque pays, chaque football a ses particularismes. Il faut savoir les respecter, et pour les respecter, il faut pouvoir bien les appréhender.
Camfoot.com: Vous êtes peut être « l’atout caché », puisque votre nom n’a jamais été cité dans aucune des listes parues dans les médias…
Bernard LAMA: Je ne sais pas. Je ne me considère pas comme tel. Dans ce que je suis et ce que je fais, il n’ y a rien de caché, et je suis disponible aujourd’hui pour faire certaines choses. J’ai des envies, des projets, des idées, des messages que j’ai envie de faire passer, et il y a plusieurs terrains d’expression pour cela. Il y a le management d’une équipe, et bien d’autres domaines dans le football où je peux exprimer ce que je sais faire. Mais c’est vrai que ce que j’aime c’est le terrain, de voir de belles actions, des beaux matches. Quand on aime cela on a envie de le transmettre. Soit on a la vocation, soit on ne l’a pas. Soit on sait transmettre un acquis, soit on ne le sait pas. Qu’on ait des diplômes, de l’expérience ou pas, s’il y a des entraîneurs qui sont limogés, c’est que malgré leur expérience, leur vécu ou qualités, il se trouve peut être un contexte qui fait que ce ne soit plus la bonne personne au bon endroit. On a tous quelque chose à donner, mais il faut savoir le faire.
Camfoot.com: Quels sont les joueurs de la sélection camerounaise qui vous impressionnent le plus ?
Bernard LAMA: Il est clair qu’un garçon comme Eto’o aujourd’hui explose. Il le mérite, parce que cela fait plusieurs années qu’on entrevoit son potentiel et il n’avait pas encore eu l’opportunité de l’exploiter dans un grand club. Il est arrivé au Barça, avec beaucoup de grands joueurs autour de lui et il montre sa qualité. C’est extraordinaire pour lui et c’est aussi une grande chance pour le Cameroun. C’est une locomotive, un leader offensif. À l’opposé il y a Kameni qui flambe aussi en Espagne, et qui montre son potentiel. Il y a d’autres garçons comme Mbami à Paris. Avant qu’il ne se blesse, il a fait du bon boulot. Il y a une nouvelle génération qui arrive avec des garçons comme Emana. Il y a un potentiel qui est là. Entre les plus âgés ayant déjà un vécu, une expérience et la nouvelle génération montante, il y a peut-être un moment clé du football camerounais qu’il ne faut pas rater. Il ne faut pas rater non plus la possibilité de sélectionner certains joueurs qui ont beaucoup apporté au football camerounais.
Camfoot.com: Quelques-uns ont décliné d’eux mêmes la sélection comme Lauren, ou Mbami plus récemment…
Bernard LAMA: Ce sont de joueurs qui jouent au haut niveau. Quand un joueur ne veut pas venir en sélection non pas parce qu’il n’a pas envie de venir mais à cause de choses qui gênent, je pense qu’il faut faire le point avec le joueur. Je ne sais pas tout ce qui se passe à l’intérieur de la sélection, je ne peux pas en parler. C’est vrai qu’en coupe d’Afrique Tunisie 2004, après avoir discuté avec certains joueurs notamment Patrick Mboma, je sais qu’il a manqué quelque chose, peut être une petite flamme que le groupe n’a pas su trouver, ou plutôt, qu’on n’a pas su faire trouver au groupe pour aller jusqu’au bout et conserver le titre.
Quand on exige de vous des performances de haut niveau, il est normal que le joueur réclame en retour une organisation de haut niveau. C’est du donnant-donnant, et tout le monde en est bénéficiaire à l’arrivée. Moi j’ai toujours été très exigeant vis-à-vis des clubs ou sélections où je suis passé, quant à mes conditions de travail. Lorsque je plongeais sur le terrain, je ne calculais pas et s’il fallait se taper la tête sur le poteau, je le faisais. Cela m’est arrivé de me blesser, de jouer blessé, ça nous est tous arrivé et c’est normal d’exiger en retour de la part des clubs ou fédérations d’avoir des moyens pour avoir des performances de haut niveau. On est pro ou on ne l’est pas. Mais après il y a autre chose : les relations entre les hommes, et des fois il est arrivé qu’on ne sélectionne pas un joueur parce que le contexte ne s’y prête pas. Je conçois également qu’un joueur ne vienne pas en sélection s’il ne s’y sent pas bien.
Camfoot.com: Revenons une dernière fois sur votre carrière. S’il y avait un souvenir que vous aimeriez garder, ce serait lequel ?
Bernard LAMA: C’est un sentiment qui est très diffus… c’est pour cela que je dis souvent que mon meilleur souvenir c’est ma carrière en elle même. En fait je suis un gamin qui a rêvé d’être un footballeur, et qui l’est devenu. Je suis allé au bout de mon ambition. Il n’ y a rien de mieux qui puisse arriver à un homme que de rêver de quelque chose et de l’accomplir. C’est pour cela que c’est difficile de ressortir un moment en particulier. C’est 20 ans de carrière et donc 20 ans de ma vie, donc il y a plein de choses mêlées à tout cela. Il y a eu beaucoup de joies et aussi beaucoup de peines. C’est pour cela que je préfère englober les choses. J’ai tout de même gardé des répliques des trophées gagnés, celles de la coupe du monde, de la coupe d’Europe ainsi que de la ligue et la coupe des coupes gagnée avec le PSG en 1996.
Propos recueillis par JP ESSO, à Paris
PROFIL
Bernard LAMA est né le 7 avril 1963 à Saint-Symphorien (Indre-et-Loire). 1,83 m, 75 kg.
Clubs :
– Montjoly (Guyane)
– Abbeville (1982-1983)
– Besançon (1983-1984)
– Lille (1984-1989)
– Metz (1989-1990)
– Brest (1990-1991)
– Lens (1991-1992)
– Paris Saint-Germain (1992-1997)
– West Ham United (1997-1998)
– Paris Saint-Germain FC (1998-2000)
– Rennes (2000-2001).
Palmarès :
– Champion du monde avec la France en 1998 (dans le groupe des 22).
– Champion d’Europe des nations avec la France en 2000.
– Vainqueur de la Coupe d’Europe des vainqueurs de coupes en 1996 (capitaine).
– Finaliste de la Coupe d’Europe des vainqueurs de coupes en 1997.
– Finaliste de la Super Coupe d’Europe en 1996.
– Champion de France en 1994.
– Vainqueur de la Coupe de France en 1993 et 1995.
– Vainqueur du Trophée Gabriel-Hanot (Super Coupe de France) en 1995.
– « Numéro 1 français » en 1994 (vote France-Football).
Equipe de France : 44 sélections, 28 buts encaissés de 1993 à 2000 (2 fois capitaine).