Le technicien français quittera le Cameroun le 03 mai prochain. Son contrat qui arrive à terme ce jour-là ne sera pas prolongé. Il en a été notifié par le patron des sports, Philippe Mbarga Mboa. À deux mois de la fin du mariage forcé entre Corfou et le Cameroun, l’intéressé fait le compte et prend pour cible Robert Ndzana, le directeur du sport. Il s’étend de long en large sur les problèmes qu’il a rencontrés au pays de Roger Milla. Il dit avoir beaucoup aimé le Cameroun et compte y revenir.
Camfoot.com: Vous avez été notifié du non-renouvellement de votre contrat qui arrive à expiration le 03 mai prochain. Comment avez-vous pris la nouvelle ?
Robert Corfu: J’ai d’abord été frustré parce que je ne suis pas au courant du pourquoi. J’aurais voulu savoir pourquoi on ne m’a pas donné les conditions de travail que l’on m’avait promis pour mon travail. Je ne parle pas que pour moi-même ; je parle de l’avenir. Mais c’est très brutal. C’est bien entendu que je n’aurais pas renouvelé si je n’étais pas fixé sur les conditions à mettre en place pour mon travail. Je n’étais plus prêt à travailler dans les mêmes conditions.
Camfoot.com: Lorsque vous signiez votre contrat le 03 mai 2001, quelle était votre feuille de route ?
Robert Corfu: Quand je suis arrivé, on parlait de coordonnateur technique du football des jeunes, mais en fait on m’avait demandé de restructurer le football camerounais avec tout ce que cela comporte comme moyen.
Camfoot.com: Et vous dites que pendant quatre ans vous n’avez pas été compris ?
Robert Corfu: Le problème c’est que la première année, on a eu quelques moyens. Le ministre des Sports d’alors, Mr Bidoung Mpkatt, avait mis à notre disposition 17 millions de FCFA pour faire tout le pays. Cette première année nous avons formé les entraîneurs à travers le pays et ces derniers ont apprécié la formation. Ensuite, rien n’a plus été débloqué. Ce qui est regrettable parce qu’il y a de l’argent qu’on dépense à l’extérieur pour n’importe quoi et n’importe comment. Qu’on ne vienne pas me dire qu’il n’y a pas d’argent, parce que c’est du pur mensonge.
Camfoot.com: Après le ministre Bidoung Mpkatt, deux autres ministres sont passés au ministère des sports et vous insinuez qu’aucun n’a compris votre rôle pour le football camerounais ?
Robert Corfu: Ils n’ont rien compris parce que l’environnement au ministère, notamment le directeur des sports, n’a pas su expliquer ma mission. Il ne m’a pas aidé du tout. Il était intéressé que je ne le gène pas. Je suis déçu de la part d’une hiérarchie intellectuelle qui n’a pas compris.
Camfoot.com: Pourtant le nouveau ministre Philippe Mbarga Mboa, vous a reçu pendant plus d’une heure. En avez-vous discuté ?
Robert Corfu: J’ai eu à faire à monsieur le ministre pendant plus d’une heure dans son cabinet. Je pensais que l’ouverture était très bonne parce qu’il m’avait dit qu’on avait beaucoup de travail à faire. Maintenant je crois qu’à mon sujet, il a écouté les gens incompétents, le directeur des sports par exemple.
Camfoot.com: Est-ce à dire que le Directeur des sports qui devait servir de courroie de transition entre le ministre et vous n’a pas joué son rôle ?
Robert Corfu: Il n’a même jamais joué son rôle. En tant que directeur des sports, il lui revenait de donner toutes les indications et toute la vérité au ministre. Je l’ai connu chef de service au ministère de la jeunesse et des Sports. Mais aujourd’hui, je pense que ce type est de mauvaise foi. Pourquoi les gens aussi intelligents comme les ministres ne s’entendent pas avec lui ? Avec l’ancien directeur des sports, il y avait une certaine compréhension même si ce n’était pas parfait. Le ministre a reçu les A’, et il ne m’a même pas téléphoné. Le ministre s’en va rendre visite aux sélections nationales, il n’avertit pas le DTN. Il n’y a qu’ici qu’on peut voir ce genre de chose.
Camfoot.com: Justement à propos des jeunes, qu’est ce que vous avez ressenti après la débâcle des cadets en Turquie ?
Robert Corfu: Si je dois parler de cette affaire, je pourrais écrire un livre. Le problème est que c’est navrant que les jeunes aient une mauvaise idée de l’environnement. Ils sont venus me voir les larmes aux yeux décriant la misère qu’ils ont vécue en Turquie. On avait travaillé convenablement au départ, mais par la suite il y a eu l’embrouille du directeur des sports qui avait choisi une autre direction. Les enfants en Turquie ont dormi à même le sol. La délégation a voyagé en trois vagues. Le Cameroun a croisé la France en match d’ouverture avec seulement onze joueurs, et pour la plupart des réservistes. Les enfants en deux semaines n’ont rien reçu du tout comme prime. Ils sont nombreux qui sont venus me voir et disent ne plus vouloir jouer pour leur pays. C’est dommage que les jeunes de cet âge soient choqués par ce que leur servent les aînés. Je crois que le ministre doit sanctionner tous ceux qui sont impliqués de près ou de loin dans ce scandale.
« La magouille, la corruption, l’incompétence et l’intérêt personnel. Ces quatre maux compromettent dangereusement l’avenir du football jeune. »
Camfoot.com: Au moment où vous partez du Cameroun, que voulez-vous que l’on retienne comme étant l’œuvre de Robert Corfou ?
Robert Corfu: J’ai créé un certain climat de confiance, de discipline de rigueur à travers les éducateurs que j’ai formés.
Camfoot.com: Quels sont selon vous, les maux qui minent le football jeune au Cameroun ?
Robert Corfu: La magouille, la corruption, l’incompétence et l’intérêt personnel. Ces quatre maux compromettent dangereusement l’avenir du football jeune.
Camfoot.com: Est-ce vrai la rumeur voulant que vous ayez été incompris parce que vous avez refusé de rentrer dans le moule, qui consistait à donner certaines faveurs financières à certains cadres du ministère comme l’ont fait avant vous certains expatriés ?
Robert Corfu: C’est une question très délicate, mais je vais y répondre parce qu’il est nécessaire que les choses soient clarifiées. Ce que je peux vous dire c’est que je ne rentre pas dans ce cercle parce que c’est un environnement qui tue le sport. Malheureusement, ici ceux qui encadrent les hommes ne pensent qu’à leur intérêt personnel. Ce que je regrette, c’est que mes collègues entraîneurs nationaux adhèrent à ce cercle. C’est la raison pour laquelle on ne m’emmène pas dans les délégations, parce qu’avec moi ça ne marche pas. Je ne donne pas de l’argent et pour cela, c’est sans regret que je m’en vais.
Camfoot.com: Parlant justement d’argent. Vous vous êtes plaint récemment du fait que depuis dix mois vous n’êtes pas rémunérés. Que comptez-vous faire pour récupérer votre dû ?
Robert Corfu: Il faut avoir confiance. J’ai l’impression que ce n’est pas possible que le Cameroun laisse partir un expatrié qui est bien reconnu, par exemple à la fédération française de football, sans le désintéresser. Cela apporterait une mauvaise image pour le football camerounais, et puis la Fifa n’a pas besoin de s’emparer d’une affaire qui ne va pas honorer le football camerounais.
Je regrette une seule chose. Je vis avec les camerounais, je mange avec les Camerounais, je bouge avec les camerounais. J’ai cinq camerounais que je fais vivre. Par contre, je dois reconnaître que les jeunes ne savent où se situer.
J’avais prévu une formation d’animateur de quartier qui puisse rassembler tous les jeunes à la sortie de l’école et les jeunes qui sont à l’abandon. Une fois de plus on ne m’a pas compris. Est-ce que le ministre m’a un jour dit : « je ne suis pas content de toi » ? Est-ce que quelqu’un m’a dit : « tu es incompétent, tu as fais si ou çà, ou qu’on n’est pas content de toi parce que tu as fait telle chose qui n’est pas bien » ?
Camfoot.com: Que répondez-vous à l’opinion publique qui trouve que votre salaire est énorme pour peu de résultats?
Robert Corfu: Vous savez quand on est formateur des formateurs, cela demande beaucoup d’investissement. Je suis venu parce qu’il y avait à former et quand on forme, cela demande un certain profit. Je gagnais très bien ma vie en France. J’étais à trois ans de la retraite. Avec l’avis de la fédération française, je suis venu ici et pour cela, j’ai eu une rallonge supplémentaire sur mon salaire que je donnerai en temps et heure, ce qui me semble normal quand on est expatrié loin de sa famille et loin de son pays. Mais quand on parle de onze millions, douze millions, treize millions, ce sont des conneries.
Camfoot.com: L’information selon laquelle vous touchez 10 millions par mois est-elle donc fausse ?
Robert Corfu: C’est complément faux!
Camfoot.com: Combien touchez-vous ?
Robert Corfu: Je ne peux pas vous dire, et puis c’est une honte quand on parle de l’argent par rapport à ce qui se passe ici.
Camfoot.com: Au moment de votre départ, comment entrevoyez-vous l’avenir du football jeune dans ce pays ?
Robert Corfu: Le peu d’argent qui est donné dans les provinces pour le fonctionnement est détourné avant que cela ne démarre ou presque. Pourquoi n’arrive-t-on pas à dire la vérité ? Il est clair que si le football des jeunes ne décolle pas, cela veut dire qu’il n’y aura pas de football de haut niveau.
Camfoot.com: On a du mal à croire que vous avez vécu cet enfer durant quatre années sans démissionner ?
Robert Corfu: Je me suis endetté avec des amis en France. J’avais commencé beaucoup de choses dans mon pays. Je pensais qu’on était sérieux ici, que je pouvais compter sur eux. J’ai vite déchanté. Mais je ne pouvais pas démissionner parce que je vais toujours au bout de mes contrats. En plus ici, j’avais toujours quelque chose à faire. Pourquoi démissionner ? Est-ce que j’ai eu les moyens pour travailler ? Je ne vois pas pourquoi j’aurais démissionné. Sachez que je ne reste pas à la maison à ne rien faire. Je vous demande simplement de dire à vos lecteurs que Robert Corfou est un homme très honnête, mais incompris.
Camfoot.com: Vous ne pouvez pas dire que dans tout cela vous n’avez rien à vous reprocher?
Robert Corfu: Si. Ce que j’ai à me reprocher, c’est de n’avoir pas fait passer le message dans les médias. Je ne suis pas exempt des reproches. J’aurais pu être plus agressif avec ces entraîneurs qui faisaient n’importe quoi avec le directeur des sports sans me voir, mais j’ai voulu leur laisser le libre choix.
Camfoot.com: Certains entraîneurs s’apprêtent à envoyer un mémorandum au ministre des Sports pour s’insurger contre votre départ. Qu’en pensez-vous ?
Robert Corfu: C’est très gentil de leur part. Ceci prouve qu’ils ont compris le bien fondé de ce que nous avons à faire.
Camfoot.com: Quels souvenirs gardez-vous de ce pays ?
Robert Corfu: Le soleil déjà, la chaleur humaine. Je suis très heureux de mon séjour au Cameroun. J’ai compris les camerounais. C’est un pays fabuleux et j’y reviendrai. C’est pourquoi je veux partir propre de ce pays.
Camfoot.com: Vous avez annoncé une conférence de presse avant votre départ. De quoi sera-t-il question ?
Robert Corfu: De mon plan d’action, ce que j’ai pu faire, ce que je n’ai pas pu faire et pourquoi je ne l’ai pas fait. Certainement que cela ne fera pas plaisir à certains, mais nous sommes en démocratie et j’ai le droit aussi de m’exprimer. Parce qu’on doit savoir que non seulement on n’a pas mis à ma disposition des moyens financiers, même le matériel de travail, je n’ai rien reçu.
Propos recueillis par Guy Nsigué à Yaoundé