Le coordonnateur de l’équipe médicale des lions indomptables nous a reçu dans son bureau du centre médico-social de l’Université de Yaoundé 1. Avec l’humilité qui le caractérise, l’homme nous parle de la première expérience lors du match contre le Soudan à Yaoundé le 27 mars dernier. Il s’attarde un tant soit peu sur les cas Njitap et Bill Tchato avant de dévoiler son plan d’action pour les prochaines sorties des Lions… L’homme maîtrise vraiment son sujet.
Camfoot.com: Qui est Guillaume Atchou ?
Pr. Guillaume Atchou : Merci de me donner l’occasion de me présenter au public. Vous l’avez dit, je m’appelle Atchou, mon prénom est Guillaume je suis médecin. Après ma formation à l’ancien CUSS (Centre Universitaire des Sciences de la Santé), j’ai bénéficié d’une bourse de spécialisation à la faculté de physiologie de l’université de Genève en Suisse. Vous savez que la physiologie est un domaine vaste ; j’ai pensé qu’il fallait que je fasse quelque chose d’exploitable au Cameroun. C’est ainsi que je me suis intéressé à la physiologie de l’exercice physique qui intéresse particulièrement le cœur, les poumons, le muscle. À l’issu de quatre années en physiologie j’ai rédigé une thèse sur l’activité physique. J’ai eu à faire des expériences sur le terrain avec les marathoniens de la ville de Genève ; c’est ainsi que ma thèse a porté sur le coût énergétique et les tests d’endurances. C’est donc depuis lors que je m’intéresse à tout ce qui est médecine du sport et je dois préciser aussi que durant ma formation j’ai bénéficié d’une formation spécialisée en médecine de sport pendant trois ans, ce qui m’a valu un certificat en médecine de sport. Une fois rentrée au Cameroun, j’ai été recruté à la faculté de médecine comme enseignant de physiologie et actuellement je suis titulaire d’une chaire d’enseignant de physiologie à la faculté de médecine.
Camfoot.com: Du point de vue pratique maintenant, quels sont vos faits d’armes en médecine sportive ?
Pr. Guillaume Atchou : Depuis une dizaine d’années, je suis le médecin de la commission médicale de la fédération Camerounaise d’athlétisme, je suis aussi le responsable de la commission médicale du comité national olympique du Cameroun. À ces deux titres, j’ai eu à encadrer beaucoup de sportifs notamment, aux jeux olympiques de Sydney à Athènes, aux jeux africains à Abuja, aux jeux du Commonwealth à Manchester. Vous voyez que depuis dix ans je navigue avec les sportifs.
« Monsieur le ministre des sports et de l’Éducation physique m’a chargé de coordonner l’équipe médicale chargée de suivre notre équipe nationale. »
Camfoot.com: Comment vous avez accueilli votre nomination au sein de l’équipe nationale fanion du Cameroun ?
Pr. Guillaume Atchou : Avec beaucoup de satisfaction, je dois dire avec beaucoup de plaisir aussi, mais également avec beaucoup d’appréhension parce que monsieur le ministre des sports et de l’Éducation physique m’a chargé de coordonner l’équipe médicale chargée de suivre notre équipe nationale. Une lourde tâche à mon avis. Je pense qu’avec mes collaborateurs, nous allons mettre tout notre savoir-faire pour que la médecine du sport soit pratiquée dans les règles de l’art.
Camfoot.com: Que répondez-vous à ceux qui disent que cette équipe médicale est assez pléthorique ?
Pr. Guillaume Atchou : Je ne pense pas que ce soit une équipe pléthorique. Commençons par les médecins ; nous sommes deux, je pense que c’est utile, ce n’est pas luxueux d’avoir un cardiologue avec nous, parce que l’exercice physique est quelque chose qui vise le cœur. Je suis le coordonnateur, étant donné que j’ai des aptitudes en médecine de sports que le cardiologue n’a pas nécessairement. Nous avons deux kinésithérapeutes et je peux vous assurer que ce n’est pas trop, parce qu’il y a du travail. S’il faut masser les joueurs quasiment tous les jours, c’est un travail énorme. S’il faut par la suite faire des soins particuliers, parce qu’il y a des soins de kinésithérapeute qui sont tout à fait particuliers, un seul kiné c’est insuffisant. Je me rappelle encore, nous sommes allés avec les lions cadets à la phase finale de la coupe du monde en Finlande. Nous partagions le même hôtel que les Brésiliens. Je peux vous assurer que l’équipe du Brésil était encadrée par un groupe médical composé de sept personnes. Lorsque le ministre m’a consulté pour constituer notre équipe médicale, j’avais émis le vœu qu’on ait un infirmier et un diététicien et pourquoi pas un psychologue ? Vous savez que la physiologie du sport est très importante, surtout dans des périodes d’intenses activités comme c’est le cas en ce moment. Donc, comprenez qu’une commission médicale de quatre personnes n’est pas du tout pléthorique.
«Nous ambitionnons d’avoir une fiche médicale complète pour chaque joueur.»
Camfoot.com: Vous avez effectivement commencé avec ce match contre le Soudan. Que retenir de cette première expérience au chevet des Lions ?
Pr. Guillaume Atchou : Nous avons pris à bras le corps nos responsabilités. Dès le premier jour, nous nous sommes déployés. Je dois signaler que nous avons mis beaucoup de volonté parce que chacun de nous a apporté ce qu’il avait de matériel pour travailler dans des conditions optimales en attendant que la hiérarchie mette à notre disposition le matériel de travail. La première chose que nous avons faite a été de prendre connaissance des joueurs, de leur âge, de leur taille, de leur poids, avant de passer à un examen d’évaluation de leur condition physique. C’est ce que nous avons fait, et je peux vous assurer que c’était utile parce que nous avons découvert beaucoup de petites choses qu’il fallait prendre en considération. Je pense que la semaine d’activité que nous avons eue avec eux nous a permis de les connaître du point de vue biologique. Nous ambitionnons d’avoir une fiche médicale complète pour chaque joueur. Notre apport dans la préparation de ce match était essentiellement le traitement sous forme de massage, mais aussi sous forme de véritable traitement qui nécessite les médicaments. Dieu merci, le ministre a mis à notre disposition les médicaments que nous avons demandés, ce qui nous a permis de les prendre en charge. Cette prise en charge qui a commencé va se poursuivre chaque fois qu’on va se rencontrer. On a commencé par une évaluation médicale, avec quelques examens que nous avons pu faire pendant ce regroupement, notamment l’électrocardiogramme systématique, qui nous a révélé des choses très intéressantes. La prochaine étape, on va compléter la fiche médicale. J’ai là avec moi un dossier que je traite pour confectionner une fiche médicale conséquente, sur la quelle on va porter tout ce qu’il faut savoir sur un joueur. Je crois qu’au total notre équipe a bien commencé, il y avait beaucoup de volonté et je suis persuadé que les joueurs étaient satisfaits de ce que nous avons apporté.
Camfoot.com: Est-ce qu’avant de commencer vous n’avez pas pris contact avec leur médecin en club pour savoir si ces joueurs n’ont pas d’antécédents sur le plan médical?
Pr. Guillaume Atchou : Bien sûr ! Mais nous sommes des médecins. Quand vous venez me voir, je vous consulte; je n’ai pas tout de suite besoin de savoir qui vous avez vu. Dans un deuxième temps, oui. C’est ce que nous sommes en train de faire ; nous avons pris les coordonnées de ceux pour qui il y avait une structure de suivi médicale. Nous avons déjà d’ailleurs reçu deux réponses, ce qui nous permet d’être en contact avec les structures médicales qui suivent ces joueurs. Le passé en amnésique est important pour savoir ce qu’ils ont eu et qu’est ce qu’il faut faire s’il y a des précautions à prendre. Dans une deuxième étape, nous serons en contact avec les médecins de chaque joueur, pour ceux qui voudront bien collaborer avec nous, parce que ce n’est pas évident non plus. Nous allons leur demander de nous donner une copie du dossier médicale du joueur, ce qui nous permettra d’être à jour, de connaître in toto chaque joueur de par son passé médical et de par son état actuel.
« Si Bill Tchato n’a pas joué, ça n’avait rien à voir avec son état physique du jour de match. »
Camfoot.com: Que répondez-vous sur le cas Bill Tchato qui n’a pas pris part à ce match Cameroun- Soudan pour un problème de santé ?
Pr. Guillaume Atchou : C’est bien que vous me posez la question. D’abord, si Bill Tchato n’a pas joué, ça n’avait rien à voir avec son état physique du jour de match. Bill Tchato la veille du match a été évalué, il s’est entraîné sans problème. Je m’explique : il s’est entraîné le mardi 22 mars comme tout les autres, et ce jour-là, il a fait naturellement très chaud… ils ont beaucoup transpiré. Il s’est trouvé, et nous l’avons su après, que Bill Tchato ne boit pas de l’eau pendant les entraînements. C’est son habitude, nous l’a-t-il avoué, malgré le fait qu’on le leur ait répété qu’il faut absolument se réhydrater parce qu’ils sont en Afrique, et qu’ils viennent des pays où il fait zéro degré. Il a continué à observer son habitude, je ne sais pas si c’est sa ‘magie’, mais mal lui en a pris, car il s’est déshydraté de façon profonde. Arrivée à l’hôtel, cette déshydratation s’est traduite par une perturbation des fonctions biologiques, avec dysfonctionnement du processus d’élimination des déchets métaboliques, ce qui fait qu’il y a eu accumulation notamment de l’acide lactique, ce qui a été à l’origine des crampes qu’il a eues. Nous l’avons pris en charge par une réhydratation. Il a repris sa forme, mais pour en savoir plus, nous avons pensé qu’il fallait faire un bilan de santé. Nous l’avons amené tout de suite à l’hôpital général et nous avons fait le bilan sanguin qui s’imposait et on s’est rendu compte qu’il était fortement déshydraté. Il y avait, excusez les termes biochimiques, hemoconcentration, troubles électrolytiques, magnésium, calcium, sodium… avec même un trouble de la fonction rénale. Bref, c’était une forte déshydratation. Nous l’avons réhydraté avec nos collègues de l’hôpital général et il a reçu plus de quatre litres de soluté. Le lendemain, il était en jambe et deux jours après, Bill Tchato n’était plus malade.
Camfoot.com: Geremi Njitap a traîné la jambe à la fin du match, c’était un problème musculaire ou bien la fatigue ?
Pr. Guillaume Atchou : C’est normal qu’au cours d’un match qu’on ait des problèmes physiques. Njitap a été blessé lors du match, c’est pourquoi il a boitillé. À la fin du match, nous l’avons pris en charge et le lendemain il allait bien. Ce n’était pas une blessure grave, mais c’était suffisant pour qu’il boitille.
« Je suis d’accord que le vieillissement peut être à l’origine d’un certain nombre de problèmes physiques. »
Camfoot.com: Il y a ce débat, on dit souvent à tord ou à raison que certains de nos joueurs sont « vieux » et que c’est ce qui est à l’origine des bobos qu’on observe. Vous qui suivez ces joueurs, est-ce que ceci peut expliquer cela ?
Pr. Guillaume Atchou : Ce qui est évident c’est que certains d’entre eux commencent à prendre l’âge. Dites-vous qu’un être humain est au maximum de sa forme physique à 25 ans environ, après 25 ans, vous déclinez, vos capacités physiques vous quittent progressivement. J’en connais qui avaient 32 ans ; c’est clair qu’ils ne peuvent plus être aussi aptes qu’un joueur qui a 20 ou 25ans. Je suis d’accord que le vieillissement peut être à l’origine d’un certain nombre de problèmes physiques. Maintenant, qui est vieux et qui ne l’est pas ? Vous savez, c’est la même chose avec les sportifs dans le monde entier. C’est parfois difficile de connaître l’âge exact de certains, pour les raisons que vous imaginez.
Camfoot.com: Après le bilan d’un joueur, est-ce que vous êtes capable de demander à l’entraîneur de ne pas aligner un joueur même si c’est le meilleur joueur du groupe ?
Pr. Guillaume Atchou : Tout à fait, nous devons le faire et nous allons le faire. Un joueur que nous pensons être inapte, nous allons dire à l’entraîneur de ne pas le classer. Il faut avoir beaucoup de courage et je pense que nous l’avons. Nous avons la chance d’être compris par les entraîneurs ; c’est pourquoi à chaque poste, il faut la doublure ou des solutions de rechange.
Camfoot.com: Pour les prochains matchs des Lions, on peut s’attendre à quoi sur le plan médical ?
Pr. Guillaume Atchou : J’ai appris que le regroupement aura lieu à Yaoundé… Nous allons continuer à étoffer les données biologiques, c’est en cela que dès le premier jour nous allons faire ce qu’on appelle un ionogramme, c’est-à-dire le dosage des électrolytes. Vous savez que les électrolytes sont les éléments fondamentaux de la fonction musculaire. Ce qu’on appelle le supplément musculaire doit être donné en conséquence. Nous allons également, regarder la glycémie, le taux d’hémoglobines pour voir ce qui y a à corriger.
Camfoot.com: Pr. Atchou, lorsqu’on traîne une réputation comme la vôtre, on se dit on n’a plus rien à prouver ou alors on nourrit toujours des ambitions dans son métier ?
Pr. Guillaume Atchou : Merci de me flatter, je ne suis pas sûr que j’aie une réputation particulière. C’est même une situation dangereuse ; plus on a cette réputation que vous m’accordez, plus on se fait des appréhensions. C’est un challenge qui nous est lancé, et je pense que c’est un élément de motivation supplémentaire. Je vais m’y mettre avec l’aide de tout le monde, même de vous les journalistes, parce que si vous ne dites pas les choses telles qu’elles se présentent, ça peut créer la confusion. Je suis disposé à livrer tout aux journalistes sauf certains secrets médicaux.
Camfoot.com: Votre dernier mot ?
Pr. Guillaume Atchou : Au nom de mon équipe, je voudrais dire merci au ministre des sports et de l’Éducation physique et lui dire que nous sommes déterminés à faire tout ce qu’on pourra pour que du point de vue médical notre équipe nationale soit prise en charge et bien suivie et nous mettrons tout en œuvre pour qu’il en soit ainsi. Surtout que monsieur le ministre est disposé à écouter tout le monde et à faire de façon que les choses changent dans le bon sens.
Propos recueillis par Guy Nsigué à Yaoundé