L’une des plus grandes appréhensions que nous avons en scrutant l’avenir de nos Lions à l’aube de la coupe des confédérations 2003 et aussi de la future CAN est sans aucun doute la relève au niveau des joueurs. Une relève capable de par son expérience du haut niveau, sa disponibilité et son sens du patriotisme de redonner au Cameroun ses couleurs et sa joie de jouer.
C’est dans cet optique que nous accordons cette entrevue à Patrice Abanda, pièce maîtresse de la victoire de la bande à Akono et Ndtougou aux jeux olympiques de Sydney. Le médaillé d’or 2000 du Sparta de Prague se montre ouvert et surtout son attachement aux couleurs nationales ne laisse pas d’étonner. Où sont passés nos champions olympiques?…une piste à suivre?
Camfoot.com : on ne vous a pas beaucoup vu depuis les JO, depuis lors qu’est-ce qui est arrivé?
Patrice Abanda: En fait après la finale et après notre retour triomphal au pays, j’ai renouvelé mes contacts avec certains dirigeants, certains grands entraîneurs qui me suivaient pendant les JO. Je me suis entendu avec eux pour qu’ils me trouvent un club, ça a été fait très rapidement et le Sparta de Prague a été intéressé en premier, c’est vrai qu’il y avait aussi des clubs de D2 en Angleterre. Je joue très gros dès le début, il fallait que j’aille là où j’allais être sûr d’évoluer régulièrement. Je voulais aussi aller dans un club qui évolue au plus haut niveau chaque année. Le Sparta cadrait bien avec mes ambitions et j’étais persuadé que ma progression allait être croissante. À mon arrivée, j’ai trouvé un entraîneur qui était vraiment très bien, l’actuel entraîneur de Strasbourg; Yvan Hasek…, ça c’est très bien passé avec lui et je me suis engagé pour quatre ans. Je suis donc à mi-chemin de mon contrat.
Camfoot.com : Pouvez-vous nous dire brièvement comment vous êtes arrivé au football?
Patrice Abanda: Tout est parti de la famille, puisque mon papa a évolué à un bon niveau. Malgré ce fait, cela n’a pas été facile de le convaincre de me laisser faire le football, lui n’ayant pas vraiment pu vivre de son sport. Il avait peur pour ses propres enfants, alors il nous a plutôt encouragé à faire des études, ce qui m’a permis d’aller jusqu’en terminale. Ma passion pour le football était immense et étant une famille nombreuse, (je suis l’aîné de neuf enfants…) la vie commençait à être un peu plus difficile à la maison. Alors je lui ai exposé mon projet d’aller à l’école de foot. Les dirigeants de cette école, parmi lesquels l’ancien entraîneur Nké du Canon m’ont vu évoluer et ils étaient prêts à me donner ma chance.
Camfoot.com : Que s’est-il passé par la suite?
Patrice Abanda: J’ai été invité à faire des essais qui se sont très révélés concluants. J’ai donc fais un an dans cette école et l’année suivante, les dirigeants se sont liés au Tonnerre de Yaoundé. Ils ont emmenés trois d’entre nous dans leur valise.
Camfoot.com : Est-ce pendant cette saison que vous avez été sélectionné pour l’équipe junior?
Patrice Abanda: Oui; nous sommes allés participer à un tournoi en Turquie, tournoi qui regroupait des équipes de la Belgique, du Maroc, de la Turquie et Bien sûr du Cameroun. J’ai été sacré meilleur défenseur. Plusieurs recruteurs ont suivi ce tournoi.
Camfoot.com : À quel poste en défense évoluez-vous?
Patrice Abanda: Je jouais stoppeur. Nous étions encore en Turquie quand Claude Leroy et l’équipe des Lions étaient en stage en France, à Ajaccio pour le mondial 98. Après le titre que j’ai eu en Turquie, il m’a fait rejoindre la sélection A des Lions en France. J’ai dû remplacer un joueur qui était blessé et c’est comme ça que je suis rentré dans l’équipe nationale.
Camfoot.com : Donc en fait vous avez été au mondial 98?
Patrice Abanda: Oui, même comme je n’ai été que remplaçant. Après la Coupe, je suis rentré au Tonnerre.
«Chaque fois que je regarde ma médaille d’or, j’ai les larmes aux yeux, tous ces souvenirs me reviennent ainsi que l’accueil qui nous a été réservé au pays…»
Camfoot.com : Quelle a été la suite …
Patrice Abanda: Je suis allé passer des tests en Grèce, au Paok Salonique; malheureusement pour moi les choses ont traînées et je ne me suis engagé que pour six mois.
Camfoot.com : Qu’est-ce que vous retenez de l’expédition olympique pour le moins fabuleuse et qui a rendu les camerounais si heureux?
Patrice Abanda: À mon avis, c’est la plus grande des compétitions dans le monde, j’ai gardé de très bons souvenirs. Chaque fois que je regarde ma médaille d’or, j’ai les larmes aux yeux, tous ces souvenirs me reviennent ainsi que l’accueil qui nous a été réservé au pays… cela représentait plus que l’argent que l’on recevait. En Australie, il y avait une espèce de chimie entre les joueurs, et une grande solidarité qui faisait notre force dans l’équipe. A 80 %, les gars jouaient ensemble depuis deux ans chez les espoirs avec le coach Ndtougou Mpile et on a rajouté à cela quelques professionnels : ceux qui étaient déjà confirmé en équipe première. On se connaissait tous et tout se passait bien entre nous du début jusqu’à la fin de la compétition.
Camfoot.com : Ensuite, il y a eut l’apothéose avec la belle finale, remontée deux buts contre l’Espagne et puis finalement gagner au tir au but…
Patrice Abanda: Oui, c’est vrai que la manière par laquelle nous gagnions nos matchs, a rajouté encore du piment à la chose. Vous voyez, contre le Chili où on était mené 1-0, on remonte et on met le deuxième et même, déjà avant, contre le Brésil, quand on avait perdu deux joueurs, on a pu gagner avec le fabuleux but de Mbami Et en finale, on nous menait 2-0 avec un penalty arrêté par Kameni et on a pu remonter aux tirs au but, ce qui était réellement extraordinaire. J’ai souvent dit qu’il devait avoir la main de Dieu dans ça…et un peu de chance.
Camfoot.com : Mais aujourd’hui, tous ces gars avec qui vous avez fait l’expédition et qu’on avait vu pour la première fois au haut niveau, ont presque disparu de la scène internationale… Pourquoi?
Patrice Abanda: Oui, entre autres Mimpo, Branco, Ze Meyong, Modeste Mbami qui vient de faire le tournoi de Tunis, etc… Mais je reste en contact avec certains, dont Epallé en Grèce et Idrissou qui est à Hanovre en ce moment (ceux qui sont en équipe première). Ceci est peut-être dû aux changements de staff, chaque entraîneur sélectionne les joueurs qu’il connaît.
Camfoot.com : Pour revenir à la première question, aujourd’hui d’une façon sportive, qu’est-ce que Patrice Abanda devient au Sparta puisqu’on vous voit plus dans l’équipe réserve que première : quelle est la situation?
Patrice Abanda: En effet, l’an passé, j’ai eu des altercations avec l’entraîneur, Monsieur Rabinski, qui ne doit pas me tenir beaucoup dans son cœur. Il m’a rétrogradé dans l’équipe B. Je suis rentré dans ses faveurs en fin de championnat. Après le nouveau changement du staff technique, le déclic ne s’est pas fait entre le nouveau et moi. J’ai été réassigné à équipe de réserve … Celle-ci a son propre championnat qui est assez récent et pas très en vue, juste question que les gars ne perdent pas la forme. Tout est parti du match contre le Réal puisque à Madrid, nous avions perdu 3-0 et l’entraîneur a déclaré à la télévision sans m’adresser le moindre reproche que l’équipe aurait mieux fait si je n’avais pas joué. J’ai été très gêné et affecté par cette déclaration. En plus, beaucoup de techniciens qui avaient vu ce match se sont demandés pourquoi il avait parlé ainsi; certains dirigeants sont intervenus pour lui dire que ce n’était pas sérieux. J’ai donc discuté avec ces dirigeants et on s’est rendu compte que c’était un problème de racisme…Donc ici, c’est vraiment dur.
Camfoot.com : Dans cette situation que comptez-vous faire?
Patrice Abanda: Je multiplie les contacts avec le nouveau staff de la sélection nationale parce qu’ils ont des contacts qui pourront me sortir de l’Europe de l’est. En fait je ne voudrai plus rejouer ici, rien n’est presque normal ici. Celui qui est sur le terrain est de loin inférieur à vous. C’est clair et au vue de tout le monde voit mais on ne peut rien y faire, c’est très compliqué et injuste. Comment comprendre que des joueurs sans expérience sont d’emblée sur le terrain tout le temps et moi je suis sur le banc… Je suis resté professionnel pendant un bon bout sans rien dire, mais parfois quand j’en parle ça fait des vagues et ils m’envoient alors en équipe réserve pour ne pas troubler l’équipe; c’est ce qu’ils disent.
«Sans être arrogant ou prétentieux, je vous parie que si Schaeffer m’appelle une seule fois en stage, c’est fini il me retiendra toujours; je suis sûr de moi.»
Camfoot.com : Aujourd’hui on connaît l’importance d’avoir un agent efficace, avez-vous pris des dispositions à ce niveau?
Patrice Abanda: Actuellement il m’est très difficile d’entrer en contact avec des agents à l’extérieur, c’est pourquoi j’ai parlé plutôt de la sélection. En fait les agents contactent ceux qui dirigent les sélections. Mon agent veut absolument que je reste ici puisqu’il me reste encore deux ans de contrat. Mon club demandera une indemnité pour me laisser partir. Récemment il y a eu des clubs russes et chinois qui sont venus demander mes services mais j’ai n’y ai donné aucune suite parce qu’en Russie c’est pas très différent d’ici, et en Chine c’est pas fait pour mon âge. À 25 ans j’ai tout à prouver et à apporter dans un championnat français, allemand, anglais ou espagnol. Donc la priorité c’est de changer de club.
Camfoot.com : Quelles sont vos relations avec les dirigeants actuels des Lions Indomptables?
Patrice Abanda: J’ai eu à évoluer sous les ordres de Ndtougou Mpile qui me connaît bien. Il m’a tenu à l’école de football à Yaoundé, puisqu’il était instructeur dans cette école. Winfrield Schaefer en supervisant Gérémi lors d’un de nos matchs contre le Réal a aussi eu à me voir évoluer. Apres les JO et nos réalisations sur le terrain, nous pensions tous que nous devions être suivis afin d’être prêts lorsque les anciens céderont. Mais ça n’a pas été le cas. Sans être arrogant ou prétentieux, je vous parie que si Schaeffer m’appelle une seule fois en stage, c’est fini il me retiendra toujours; je suis sûr de moi.
«…avec Lechantre j’étais retenu et je jouais. Il était très fier de mes performances, il préférait m’aligner même quand il convoquait les professionnels… Il aimait les joueurs de caractère et patriotiques.»
Camfoot.com : Après les JO, il y a eu ce fabuleux France-Cameroun au stade de France. Lechantre vous a fait sortir un peu tôt dans le match pour Alnoudji. Vous a-t-il donné la raison?
Patrice Abanda: Je n’étais pas bien positionné, je devais jouer en milieu axial avec Foé. Et j’ai joué plus excentré vers le côté droit, c’était une erreur tactique et le coach a eu raison de me remplacer pour être sûr que le message soit bien passé : c’était normal.
Camfoot.com : Juste après ça il y a eu cette confrontation Lechantre – Akono, quelles étaient vos relations avec les deux entraîneurs?
Patrice Abanda: Pierre Lechantre, une fois au pays a valorisé certains amateurs, comme Claude Leroy l’a fait avec les frères Biyick. Lui il l’a fait avec moi, Alnoudji, Atouba, et les autres. Il avait un esprit formateur, avec le souci de laisser un héritage. Avec Akono, je n’ai jamais eu de problème non plus. Donc j’étais très bien avec les deux coaches et avec Lechantre j’étais retenu et je jouais. Il était très fier de mes performances, il préférait m’aligner même quand il convoquait les professionnels.
«…au Japon 2000 je pense avoir été victime du processus d’éviction de Lechantre de l’équipe nationale.»
Camfoot.com : Justement, ça nous ramène à ce triste épisode de la coupe des confédérations 2000 au Japon-Corée où vous avez été renvoyé à la maison pour une histoire de maladie ou autre. Pouvez-vous nous dire ce qui s’était passé?
Patrice Abanda: C’est l’épisode qui me choque le plus dans cette sélection. En fait au Japon 2000 je pense avoir été victime du processus d’éviction de Lechantre de l’équipe nationale. Il y a des gens qui ont rapporté que certains monnayaient leur sélection auprès du coach, on a cité mon nom et celui de Billong Pensée. Alors lorsque l’épisode de maladie est arrivé, ils en ont profité. J’avais une déshydratation car je sortais d’une saison pleine ici à Prague où il faisait froid, on est arrivé en Corée pour la préparation où il faisait très chaud. On dû joué un match amical contre la Corée où Foé était blessé. J’ai joué milieu défensif à sa place et on a fait un excellent match, tout s’est bien passé malgré le match nul (0-0). Mais le lendemain j’étais très fatigué, je manquais de tonus. Nous sommes allés voir un médecin japonais qui à notre grande surprise a dit que j’avais beaucoup de potassium dans le sang. J’étais étonné puisque ce sont des problèmes de personnes moins sportives et de personnes âgées. Notre médecin a trouvé le diagnostic suspect puisque le Japon était dans la même poule que nous. Avec l’accord de Lechantre, on a fait une contre expertise par un médecin officiel de la FIFA. Le résultat s’est avéré négatif, il a dit que j’étais en pleine forme pour la compétition. Mais comme on était dans le processus de mise à l’écart de Lechantre, les dirigeants avaient déjà convoqué un défenseur de D2 Espagnol (Dicka Dicka) pour me remplacer.
Lechantre était furieux parce qu’il m’avait complètement intégré dans son équipe et dans son système. J’ai raté la CAN2000 tout simplement parce que Mahouvé était un peu plus expérimenté que moi, m’avait-il expliqué clairement. Il aimait les joueurs de caractère et patriotiques.
Camfoot.com : Dites nous, cette histoire de monnayer la sélection, est ce une pratique courante chez les lions?
Patrice Abanda: Je ne sais pas, je ne sais pas vraiment… Et puis moi je ne paye pas pour jouer. Dans la culture où j’ai grandi on ne fait pas ce genre de chose. En fait je ne comprends pas pourquoi les camerounais aiment raconter ce genre d’histoire. Il faudrait que les gens regardent la performance des sportifs sur le terrain pour se rendre compte que ce sont des athlètes de haut niveau ce sont en général des professionnels. En tout cas je ne sais pas comment font les autres mais moi je ne monnaye pas ma sélection. Quand j’étais amateur j’avais même quel argent pour donner à Lechantre?
«Ce serait aussi fantastique d’intégrer les champions olympiques parce que qu’ils savent ce qu’il faut pour gagner.»
Camfoot.com : Qu’est ce qui a provoqué à votre avis l’éviction de Lechantre?
Patrice Abanda: Je ne sais pas ce qu’il y avait comme divergence de fond mais toujours est-il que son bilan avec les Lions était impressionnant pourtant. Pas parce qu’il m’a sorti du lot mais tout simplement la vérité, je vous dirai que Lechantre c’est un entraîneur qui laissait l’initiative au joueur. Quand il vous appelait il vous disait : « mon ami joue comme tu sais ». Ça c’est très important pour le jeune footballeur qui arrive. Et quand tu es un bon bosseur il te met au terrain sans tenir compte du fait que tu sois professionnel ou amateur. La question du pourquoi, je la laisse aux dirigeants. Mon travail est de jouer.
Camfoot.com : Qu’est ce que vous pensez de la sélection actuelle des Lions Indomptables?
Patrice Abanda: Ce qui est intéressant actuellement c’est l’arrivée des nouveaux joueurs, parce que c’est important de penser à la relève. Lorsqu’on garde les mêmes trop longtemps il peut y avoir un problème de challenge. Ce serait aussi fantastique d’intégrer les champions olympiques parce que qu’ils savent ce qu’il faut pour gagner.
Camfoot.com : Qu’est ce que vous appréhendez pour la Coupe des Confédérations?
Patrice Abanda: Si les gars gardent la forme et qu’ils sont disciplinés, je pense qu’ils pourront réaliser une bonne performance. Mais je me réserve encore puisque la compétition est plus ou moins loin et surtout les blessures qui peuvent survenir.
«Mon point fort sur un terrain de football c’est la ténacité et la rigueur. Je sais dire NON aux attaquants.»
Camfoot.com : Quelles sont les points forts de Patrice Abanda sur le terrain et à quel poste préfère t-il évoluer?
Patrice Abanda: Mon point fort sur un terrain de football c’est la ténacité et la rigueur. Je sais dire « non » aux attaquants. Ma meilleure position c’est celle où j’ai été formé c’est-à-dire stoppeur; mais puisque je suis assez doué physiquement, aussi à cause de mon mètre quatre vingt cinq (1m85), certains entraîneurs m’utilisent en milieu défensif.
Camfoot.com : C’est quoi votre source de motivation et votre objectif ultime?
Patrice Abanda: Je tire ma motivation des choses qui me sont les plus précieuses sur terre, la prière et ma famille. Le t-shirt »’ave maria »’ que j’ai brandi à la fin du match contre le brésil en est une preuve. Mon objectif ultime c’est d’abord de quitter l’Europe de l’Est puis mon retour en sélection.
Camfoot.com : Comment suivez vous les Lions à partir de Prague?
Patrice Abanda: Grâce aux contacts de copains en sélection que sont Épallé, Idrissou et autres. Mais aussi grâce à votre site web que je visite très souvent.
Camfoot.com : Nous vous remercions de votre disponibilité.
Patrice Abanda: C’est moi qui vous remercie pour votre bon travail.
ER. Lowe & J. Yansa
www.camfoot.com