Ancien entraîneur de Panthère, Cotonsport, Dynamo, Fovu, stade de Bandjoun, finaliste de la coupe du Cameroun en 1988 avec Racing de Bafoussam et champion du Cameroun en 1992 avec la même équipe, l’actuel directeur du Cenajes de Dschang analyse le jeu de l’équipe nationale de football du Cameroun et évoque leurs chances au Mondial sud-africain.
Quelle est votre appréciation de la prestation des Lions Indomptables lors du match contre l’Italie à Monaco ?
Comme tout Camerounais qui voudrait voir une équipe nationale performante, je peux dire que les Lions ont donné une performance à 70% acceptable. Mais, en tant que technicien, je ne peux pas accorder un grand crédit à une équipe au terme d’un match amical. Chaque entraîneur a des idées précises et un objectif qu’il recherche. Il faut aussi dire qu’en face, nous avons la Squadra Azura, qui n’a pas présenté sa grande équipe. Elle aussi, certainement, cherchait encore ses repères avec quelques joueurs qui pourront rejoindre la sélection.
On a remarqué au cours de cette rencontre que l’attaque est restée complètement inefficace…
Oui. Je pense à ce sujet que Paul Le Guen est en train de chercher la meilleure solution pour l’attaque. Il essaie Eto’o et Webo, il essaie Eto’o et Kouemaha, etc. Paul Le Guen cherche encore le duo opérationnel pour cette attaque. Il ne l’a pas encore trouvé. Il a certainement encore du temps parce que nous sommes à trois mois de la compétition. Nous avons encore des matchs amicaux, Dieu merci. Cela va lui permettre de continuer à évaluer des joueurs. Sachant qu’il ne les invente pas, il fait avec ce qu’il a.
Beaucoup d’analystes estiment que Samuel Eto’o évolue dans un « désordre tactique », notamment en ce qui concerne son positionnement. Qu’en pensez-vous ?
Effectivement, il joue dans un désordre tactique. Nous avons besoin d’Eto’o à la pointe de l’attaque parce qu’il est spontané, il a de grandes qualités, il a la capacité de poser des problèmes aux défenseurs. Si maintenant il s’éloigne de l’attaque pour se mettre à organiser le jeu, au moment où il sera en face des buts, il va manquer de lucidité pour pouvoir être efficace. Donc Eto’o doit rester à la pointe pour créer le danger en permanence.
A qui la faute, à l’entraîneur ou au joueur ?
Ce sont les deux. L’entraîneur doit imprimer une discipline tactique à chaque joueur. C’est vrai que celui-ci doit avoir une marge de manœuvre, mais il faudrait quand même que les consignes soient respectées. L’entraîneur doit faire comprendre au joueur que pour être le plus efficace, il doit jouer en pointe. C’est ça la responsabilité du coach.
Dans une équipe de foot, l’entraîneur peut-il désigner à l’avance des gens pour les lancers de touche, les coups-francs, les corners, etc. ?
Parce qu’on a quand même vu Eto’o remplir ces tâches-là…
La responsabilité d’un entraîneur c’est aussi de définir les rôles. Il peut effectivement dire que s’il y a un coup de pied de réparation, tel doit l’exécuter, que s’il y a un penalty, ce sera tel autre, ainsi de suite. L’équipe nationale c’est quand même le haut niveau et les choses doivent être bien organisées et rigoureuses. Rien ne se fait en principe au hasard dans le football professionnel. Tout ça se travaille à l’entraînement. Il y a des combinaisons qui s’apprennent. Il y a également le mental qu’on travaille. Quand Le Guen décide de donner son brassard à Eto’o, c’est pour une raison simple : c’est l’un des meilleurs joueurs du monde et il n’y a pas de raison qu’il n’ait pas ce brassard.
A un moment donné, il y a eu débat sur le vieillissement de notre équipe nationale. Quel est votre avis sur le sujet ?
Je pense qu’il est plutôt juste de parler des performances des joueurs plutôt que de leur vieillissement. Il faut se poser des questions : les joueurs qui sont les cibles de toutes les critiques sont-ils titulaires dans leurs équipes respectives ? C’est avec ça qu’on situe la valeur réelle d’un joueur. Il y a des joueurs qui sont plus âgés que Song et Njitap dont vous voulez certainement parler, qui sont encore bons. Parce qu’ils continuent de jouer à un haut niveau dans leurs équipes respectives.
La mise à l’écart de Song et Njitap, à votre avis, est-elle justifiée ?
Je ne pense pas qu’ils ont été écartés pour leurs performances. Paul Le Guen a certainement cédé à une certaine pression populaire. Ça m’étonnerait que ces deux joueurs ne soient pas à la Coupe du Monde.
Un autre joueur qui a fait l’objet de beaucoup de critiques, c’est Kameni. Comment jugez-vous son rendement lors de la dernière Can ?
J’analyse le jeu de Kameni depuis une dizaine d’années. En terme de pourcentage, Kameni prend plus de buts à distance, dans les 30 à 40 mètres, que dans les cinq mètres. Il a des difficultés avec les ballons qui partent de loin. Cela signifie qu’il a un problème de calcul optico-moteur. Cela signifie qu’il n’arrive pas à voir les ballons qui partent de loin. Il est difficilement battable de près.
Comment résoudre ce problème s’il est établi ?
Lorsque ce problème est établi, il est difficile de le résoudre. Tout ce qu’on peut faire c’est le réduire. Il faut beaucoup d’entraînement. Il faut le mettre en situation réelle, tirer des ballons dans les 30 mètres à un rythme très soutenu et de cette manière le problème peut être résolu.
Kameni n’a-t-il pas, en réalité, été trahi à la Can par une défense approximative ?
La défense ne joue pas à 30 mètres de lui. Elle est bien là, à 10 ou 15 mètres. Il prend des buts rarement dans cette distance. Les buts qu’il prend, c’est à partir des 30 mètres. Donc ce n’est pas un problème de défense. Les buts dus à des erreurs de défense, c’est des ballons de recentrage pour une faute de marquage.
Comment appréciez-vous le remplacement de Nkono par Songo’o au poste d’entraîneur des gardiens de buts ?
C’est une décision de mon ministre et je n’ai pas qualité pour la juger. Il est seul juge de l’opportunité.
Beaucoup de Camerounais militent pour plus de joueurs locaux en équipe nationale. Etes-vous de ceux-là ?
C’est un faux débat. Ils ne peuvent pas apporter grand-chose à l’équipe nationale. Pour le moment, ils ne sont pas très bien suivis. Pour en arriver là, il faut une bonne organisation qui permettent de repérer les meilleurs et surtout de les mettre très tôt avec les autres joueurs afin qu’il y ait entre eux une certaine cohésion. L’entraîneur doit écouter le peuple, mais ne doit pas perdre de vue que l’avis du peuple ne participe pas d’une vision scientifique.
Jusqu’où peuvent aller les Lions Indomptables à la prochaine Coupe du Monde ?
Cette équipe peut aller très loin. Nos joueurs ont de la volonté, des qualités et beaucoup de talent. Il faut simplement faire attention, travailler la cohésion et c’est de cette manière que nous pourrons aller loin. Nos adversaires savent que Eto’o est notre meilleur joueur. Il sera toujours bloqué par les adversaires et il revient au coach de contourner ça. Nous ferons alors une bonne Coupe du Monde.
Par Jean-Bruno Tagne