Depuis 1995 il est le directeur du centre de formation, Kadji Sport Academy (KSA) qui a formé l’actuel meilleur buteur du championnat Espagnol, Samuel Eto’o Fils. Depuis la saison dernière, l’équipe de ce centre de formation évolue en division d’élite. L’ancien Lion indomptable nous parle donc de la préparation de cette équipe pour le compte du 46ème championnat de première division qui démarre le 12 mars prochain. Michel Kaham analyse également sans complaisance la situation actuelle du football camerounais; il en profite pour prendre la défense des anciens Lions qui pour lui sont laissés à la traîne.
Camfoot.com: Vous êtes directeur du centre de Formation de la KSA et son équipe de football engagée en championnat de première division. À quelques jours du lancement du championnat, quel est l’état de préparation de votre équipe ?
Michel Kaham: Je dois tout d’abord dire que nous sommes une équipe issue d’un centre de formation. Donc, notre politique est basée sur la promotion de notre centre de formation. L’effectif est là, nous avons nos enfants qui sortent de notre centre; ce qui signifie qu’on est constamment préparé. Cette année comme par le passé, on va essayer de promouvoir les meilleurs éléments que nous avons eus dans notre centre l’année dernière. Je peux dire qu’à quelques jours du début du championnat, nous sommes prêts. Çà n’a que trop duré la trêve, maintenant on est fier de savoir qu’une date précise a été arrêtée et que ce championnat débutera effectivement le 12 mars comme convenu.
Camfoot.com: Est-ce à dire qu’il n’y aura pas des joueurs venus des autres clubs pour renforcer votre effectif ?
Michel Kaham: C’est vrai que la base c’est sur notre centre de formation, mais on a pris quelques individualités dehors en tenant compte de leur état d’esprit pour ne pas avoir à chambouler beaucoup de choses. On a donc pris quelques éléments de première division et même de deuxième division; ceux qu’on pensait pouvoir faire une osmose avec nos enfants du centre de formation. Nous avons donc à peu près une douzaine de gars venus de l’extérieur.
Camfoot.com: Peut-on avoir quelques noms ?
Michel Kaham: Il y a deux anciens de l’Unisport de Bafang, Nyom et Tchouffeu, puis une cuvée de joueurs venus de deuxième division. Tous des gars jeunes et ambitieux, qui ont pensés qu’à travers la KSA ils pouvaient peaufiner leur formation, et qui sait, un jour, s’ouvrir les chemins de l’extérieur.
Camfoot.com: Alors que les équipes multiplient les matchs amicaux, aucune nouvelle de la KSA ?
Michel Kaham: C’est peut-être parce que vous ne vous occupez que des équipes de Yaoundé; nous jouons à Douala. Nous avons eu à rencontrer Astres, une équipe qui vient d’accéder en première division, nous avons aussi rencontré par deux fois Mont Cameroun qui est notre voisin. Nous avons également joué avec les équipes de divisions inférieures. C’est vrai qu’il y a eu le tournoi des cinq à Douala, mais vous savez que nous n’étions pas concernés parce qu’il s’agissait d’un tournoi des ‘Africains’. Mais sachez que nos joueurs sont en jambe pour le début du championnat.
Camfoot.com: On accuse toujours votre équipe de manquer d’ambition. Quels sont vos objectifs cette année ?
Michel Kaham: Notre priorité c’est d’abord le centre de formation ; c’est nos jeunes. On préfère faire confiance aux jeunes de 18 ans à qui on veut compléter une formation plutôt que de courir vers les ‘’vieux joueurs » qui coûtent chers et qui veulent faire des résultats immédiats. Je le répète encore, notre politique est axée sur la promotion de notre centre de formation ; et jusqu’à présent, si on ne cite que ceux qui sont sortis en ce moment, mieux vaut être patient et travailler vers une direction. C’est notre choix à nous. Nous travaillons pour la perfection de nos joueurs ; c’est pourquoi les résultats peuvent attendre.
Camfoot.com: Cette année le championnat sera à poule unique, contrairement à la formule à deux poules de l’année dernière. Votre avis ?
Michel Kaham: La formule à poule unique est celle qui a toujours été appliquée. Seulement que là, on se retrouve avec 18 clubs; ce qui est énorme. Je ne sais pas comment on va supporter cela, car les charges sont énormes. Pour qu’un championnat soit compétitif chez nous, il faut tourner autour de 14 clubs. Je suis de ceux qui soutenaient la formule à deux poules, parce qu’on se retrouvait au bout d’une phase à regrouper les neuf meilleurs clubs du Cameroun; on aurait pu à ce moment-là avoir un championnat de haut niveau. On ne reviendra pas dessus, mais toujours est-il que ce championnat à 18 clubs est ingérable. Avec les quatre équipes que compte le Grand Nord, je me demande s’il n’y aura pas de forfait. Mais c’est vrai que ça ne concerne pas la KSA, je pense que beaucoup de clubs vont traîner la patte parce que les charges sont énormes.
Camfoot.com: Vous dites que votre équipe ne sera pas concernée pas ces problèmes. Est-ce à dire que la KSA est une équipe riche ?
Michel Kaham: Dieu merci, nous avons un gros sponsor; on n’a pas de problème de gestion au quotidien, mais je sais que la majorité des clubs camerounais vont souffrir du calendrier qui sera très lourd. J’espère que la Fédération va cette fois-ci mettre un point d’honneur sur la programmation qui a été vraiment mauvaise l’année dernière. Si on a un championnat aussi long comme celui de cette année, et qu’en plus la programmation est mauvaise, les clubs vont beaucoup en souffrir. Je compte sur la fédération, j’espère qu’elle va pour une fois au moins essayer de faire une programmation digne du niveau de notre football.
Camfoot.com: Vous avez pendant longtemps été à l’équipe nationale, d’abord comme joueur ensuite comme entraîneur. Avec un peu de recul comment vous trouvez cette génération des Lions ?
Michel Kaham: Il y a deux phases; je pense qu’il y a la phase 80 où les Lions ont tout gagné, il y a eu également l’épopée de 90. On a passé une phase glorieuse où l’équipe nationale a tout raflé. Mais on est malheureusement tombé comme il se doit en sport, dans une phase négative où on s’est mis à tout perdre. Il faut bien savoir qu’en toute chose, si on ne construit pas pour assurer la relève, on tombe dans le fossé. C’est ce qui s’est passé au Cameroun. Dans notre pays jusqu’à ce jour, la formation est totalement bafouée; il n’y a pas de championnat de jeune, il n’y a rien qui est prévu pour les jeunes. Je crois que c’est là qu’il faut travailler, si on veut que la relève soit assurée. Il n’y a pas un seul pays de football au monde où la formation n’est pas prise en compte. Donc, j’en appelle à tous les gestionnaires du football au Cameroun pour qu’on accorde une attention particulière à la formation des jeunes. Pour revenir à votre question pour ne pas en démordre, aujourd’hui, il y a une nouvelle approche après la crise qui a pratiquement terni le football camerounais. Je pense qu’il y a une nouvelle mouvance en place. Il y a de nouveaux hommes en place, et on espère qu’avec le signal qu’ils ont donné l’autre jour contre le Sénégal, que le football à ce niveau va se relever et redorer notre blason. Il faut faire confiance aux hommes en place et leur laisser un certain temps avant de les juger. Mais je dois saluer ici tous ceux qui ont été nommés autour de notre équipe nationale; on a des hommes qui ont fait leur preuve. Le nouveau ministre est un homme de sport, je crois qu’il y a une nouvelle dynamique qui peut laisser croire à des lendemains meilleurs. Il faut aussi saluer l’effort qui a été fait par le ministre Mbarga Mboa pour ramener la sérénité au sein des Lions, car il faut dire que ces derniers temps les nouvelles qui nous parvenaient de cette équipe ne rassuraient pas. Maintenant on a vu avec plaisir les joueurs se donner la main et qu’une nouvelle osmose est née entre les joueurs et les encadreurs. Je pense qu’avec ce moral redevenu au beau fixe on peut espérer obtenir de meilleurs résultats.
Camfoot.com: Vous qui aviez fait parti de cet encadrement technique des Lions, vous pensez que Artur Jorge est l’homme de la situation ?
Michel Kaham: C’est un entraîneur qualifié, comme d’ailleurs tous ceux qui étaient pressentis, que se soit Fernandez, Alain Perrin, ils avaient la compétence pour entraîner les lions. Entraîner les lions en fait c’est quoi? L’équipe nationale arrive ici deux jours avant un match pour jouer. Vous pensez que c’est tellement l’entraîneur qui va faire le résultat? C’est une ambiance à créer autour des lions et je pense que cette ambiance, le nouveau ministre et les autres sont en train de la créer. J’étais en coupe du monde au Japon en 2002; on aurait dû virer Schäfer après cette compétition. Mais pour certaines raisons de contrat ou de clientélisme, on l’a maintenu, laissant ainsi pourrir la situation avant de prendre une décision tardive qui risque nous coûter aujourd’hui une coupe du monde. C’est vrai qu’on n’est pas là pour ce qui est passé, mais il faut que cela nous serve de leçon pour l’avenir.
Camfoot.com: Le Cameroun a besoin de cinq victoires pour espérer se qualifier. Vous pensez que l’équipe que nous avons vue à Créteil est capable d’aligner une telle performance ?
Michel Kaham: La sérénité revenant, je pense que les Lions en sont capables. C’est vrai qu’on se plaint qu’une bonne partie de nos lions ne jouent pas dans leur club et çà, il faut le déplorer. C’est pourquoi il faut multiplier les matchs amicaux pour qu’ils se retrouvent. J’ai aussi constaté avec bonheur que l’entraîneur a osé faire confiance à certains jeunes comme Achille Emana, des gars qui jouent dans leur championnat. Il n’y a pas de raison d’avoir peur d’aligner des joueurs titulaires dans des équipes de premières divisions européennes. Les Lions peuvent gagner les matchs, mais vous savez que nous n’avons plus nos cartes en mains. On peut gagner tous les matchs et ne pas aller en coupe du monde.
Camfoot.com: Michel Kaham a-t-il définitivement mis un terme à l’entraînement ?
Michel Kaham: Disons que j’ai eu un poste assez important, à savoir Directeur d’un centre de formation. Donc, je suis toujours dans le football. Je vois défiler chaque jour des jeunes footballeurs; c’est pourquoi je me suis attardé tout à l’heure sur la relève, parce que c’est mon domaine aujourd’hui. Je crois qu’on ne peut pas tous rester à la tête, il faut des gens à la base qui s’occupent de la pépinière. Malheureusement dans notre pays, ce n’est pas les gens qu’il faut qu’on met au niveau de la formation des jeunes. Il faudrait y mettre des gens qui ont la volonté, la patience et la compétence de former dans l’ombre les champions de demain. Aujourd’hui j’occupe des fonctions dans un centre de formation qui chaque jour travaille à former les Lions de demain.
Camfoot.com: Ne pensez-vous pas que tout ce que vous décriez perdure parce que les anciens Lions que vous êtes restiez dans le mutisme total? Où sont donc passés les Mbida, Kaham, Kundé, Maya, Bahoken, Tokoto, etc.
Michel Kaham: (En colère) Il faut faire attention, chacun doit jouer sa carte. Je ne peux pas me transformer du jour au lendemain en journaliste. C’est vous les hommes de médias qui devez aller vers ceux que vous pensez détenir l’information, mais ce n’est pas le cas. Aujourd’hui le football génère beaucoup d’argent, tout le monde s’amène, il faut faire la différence entre ceux qui sont du milieu, qui n’ont fait que cela toute leur vie, et les aventuriers qui sont malheureusement les plus nombreux. Les anciens sont nombreux à avoir la compétence à quelque niveau que ce soit dans le football. Mais on leur fait peur et ils n’ont pas le pouvoir et les moyens; qu’est-ce que vous voulez? ils savent qu’ils ne feront pas le poids. Les anciens sont donc écartés. Ils sont nombreux, revenus au Cameroun et ne sont dans aucune structure du football camerounais; on les combat tous les jours. Dans notre centre de formation, Monsieur Kadji m’a autorisé à faire revenir certaines anciennes gloires. On a pu à un moment donné, avec François Doumbé Léa, essayé de donner une certaine formation. Malheureusement, pour certaines raisons, il n’a pu suivre. Aujourd’hui on a Loga, Mbang Penda, des gars qui ont servi le football camerounais, à qui on redonne une chance dans le centre. Au niveau des instances supérieures, le chef de l’état a fait ce qu’il avait à faire en nommant Roger Milla qui n’est que footballeur, à une place d’Ambassadeur itinérant. Le ministre des sports est un ancien joueur de haut niveau de basket. Maintenant c’est à eux de redresser la barre pour trouver quelque chose pour les anciens footballeurs, car ces derniers ne vont pas prendre l’arme pour aller chercher les postes. Que ceux à qui le chef de l’état a donné des postes se retournent vers les anciens footballeurs pour utiliser ceux qui ont la compétence, ou qu’on aide ceux qui n’ont pas de niveau à se former pour qu’ils servent le football. Mais si on les laisse dans la rue, face aux opportunistes qui arrivent chaque jour dans notre football, ils n’y arriveront jamais.
Camfoot.com: Il y a que certains de vos camarades d’armes brillent par leur irresponsabilité…
Michel Kaham: On n’est pas tous parfait. C’est sûr qu’il y a quelques irresponsables, mais qu’on commence déjà par occuper ceux qui sont responsables, et les irresponsables, on va essayer de les attirer si on peut. Mais qu’on donne la chance à ceux qui ont les moyens d’apporter quelque chose au football camerounais.
Camfoot.com: De votre carrière, quel est le fait heureux qui vous reste à l’esprit ?
Michel Kaham: (Rires) C’est le fait d’avoir participé à la première coupe du monde en 1982. C’est nous qui avons ouvert la voie au football de notre pays en participant à la phase finale de la coupe du monde en Espagne. Je pense que c’était un honneur et c’est resté ancré dans la mémoire de plusieurs camerounais. Aujourd’hui, il est impossible de passer dans la rue sans se faire connaître. Je n’ai presque jamais été fouillé à un contrôle de police; on nous reconnaît à travers cela. C’est quelque chose qui marque une certaine audience au niveau du peuple camerounais; et çà, c’est le fait le plus marquant.
Camfoot.com: Et le mauvais souvenir ?
Michel Kaham: Pour moi le mauvais souvenir sur le plan sportif est la coupe d’Afrique des nations 72 à Yaoundé. J’étais encore tout jeune, j’avais 17 ans. C’était une grande consécration que de jouer la coupe d’Afrique des nations à la maison. Malheureusement, on l’a perdu et pour moi, ç’a été une grande catastrophe parce que c’était pratiquement un rêve d’enfant qui s’écroulait. Mais je pense qu’en 81, quand on bat le Maroc pour la qualification de la coupe du monde 82 sur ce même stade, je voyais la revanche, et je dis dans la vie il faut tout laisser entre les mains de Dieu et travailler.
Camfoot.com: Qui est votre modèle dans le football ?
Michel Kaham: Diego Maradonna était est un joueur exceptionnel, un génie qui n’a pas su gérer l’après foot. Mais j’ai eu beaucoup d’admiration pour Franz Beckenbauer, pour sa grande classe et sa personnalité. C’est un type qui sait respecter ce qu’il fait. C’est pour moi un modèle.
Camfoot.com: Si on revenait sur la KSA. Depuis que vous avez sorti de votre moule Samuel Eto’o Fils, on a l’impression que plus rien n’est venu de votre centre ?
Michel Kaham: C’est une grosse erreur; tout le monde parle de Samuel Eto’o parce que c’est la star, c’est la grande réussite mondiale du football aujourd’hui. C’est vrai que nous sommes heureux qu’il soit passé par notre centre, car c’est notre fierté. Mais à travers lui il y’avait eu aussi à l’époque, Idriss Carlos Kameni, Makoun, Mbami, même s’ils ne sont pas restés longtemps. Il y a eu aussi Bahoken qui a joué à l’équipe nationale, Momha qui est à Strasbourg, Ngambi à Gueugnon, Eric Djemba. À Auxerre il y a des joueurs qui sont au centre et qui sont partis de chez nous.
Camfoot.com: Quel est le rapport que Eto’o garde avec son centre ?
Michel Kaham: Pour lui monsieur Kadji est pratiquement son père spirituel. Samuel m’appelle souvent avant ses grandes rencontres. Dans ses moments de détente, il m’appelle et on discute des choses, ceci entre amis. Quand je dis ‘amis’ c’est parce qu’aujourd’hui il est devenu la grande star que tout le monde respecte, mais on a gardé des liens très étroits même sur le plan familial.
Camfoot.com: Michel Kaham votre dernier mot ?
Michel Kaham: Mon dernier mot c’est que le football Camerounais se relève, je pense que le Cameroun est béni, béni parce qu’après Roger Milla qui nous a encensé pendant des années, aujourd’hui on a Samuel Eto’o. Je pense que ce n’est pas donné à un pays chaque fois d’avoir un génie; on est un peuple béni, car chaque fois un génie se révèle. C’est à nous de mériter ce que la nature nous donne, il faut que l’on se bouscule pour le mériter. Dans le football camerounais, il reste encore beaucoup à faire, et qu’on n’ait pas peur des compétences.
Propos recueillis par Guy NSIGUE à Yaoundé
Repères
–Nom : Kaham
–Prénom : Michel
–Date et lieu de naissance : 01 Juin 1951 à Bafang
–Situation matrimoniale : marié père de quatre enfants
–Signe Zodiaque : gémeaux
–Poste : défenseur
–Clubs locaux : Stade de Melong, Aigle de Nkongsamba, Canon de Yaoundé.
–Clubs professionnels : Quimper, FC Tours, Valenciennes (France)
–Clubs entraînés : Diamant de Yaoundé, Olympique de Mvolyé, Unisport de Bafang, KSA de Douala et les lions indomptables à la coupe du monde 90.
–Palmarès : Champion du Cameroun (1971, 1974), finaliste de la coupe du Cameroun (1974), vainqueur de la coupe du Cameroun (1982) et vainqueur comme entraîneur en 1992. Participation à la coupe d’Afrique des nations 72 et la coupe du monde 82 avec les lions indomptables.
–Distinctions honorifiques : Chevalier de l’ordre de la valeur (1982), officier du mérite sportif (1990).