Le Cameroun est un pays riche, très riche de ses talents, des jeunes personnes qui font la fierté du peuple, qui hissent haut le drapeau national, qui marquent de leur empreinte des générations entières. Que ce soit les gardiens de but mythiques tels Thomas Nkono et Joseph Antoine Bell, le virevoltant milieu de terrain Théophile Abéga, ou le transperceur des défenses, l’ambassadeur Albert Roger Milla, et bien avant eux, le redoutable Mbappé Léppé, ils ont eux tous en commun cet amour profond, cet attachement indéniable aux couleurs camerounaises.
Ajoutons à cette liste non exhaustive le nom de Patrick Henri Mboma Dem, que l’on ne présente plus, tant son aura sur la scène footballistique africaine et mondiale a fait le tour des continents, tout comme ses buts légendaires et son attachement particulier.
Exerçant sa profession au Japon dans l’équipe du Tokyo Verdy, il étale son influence, et par là-même celui du Cameroun entier sur la J-League dont il est l’une des vedettes les plus prisées. Et pour cause: il trône parmi les meilleurs buteurs du championnat et son influence directe sur les performances de son équipe est palpable.
Loin de se laisser transporter par cette célébrité, il est demeuré humble, à l’image d’un bon gars du terroir, avec un franc parler à tout rompre. Il s’exprime au sortir de la réception avec la délégation camerounaise en visite au Japon: Entretien avec une star.
Camfoot.com: Bonsoir Patrick, aujourd’hui le Japon…où en es-tu actuellement côté sportif?
Patric Mboma: J’ai eu quelques problèmes physiques mais là ça va plutôt bien, je marque, je joue je prends du plaisir. Malgré le fait qu’on ait un peu manqué notre départ, je pense que nous avons encore un bon coup à jouer en championnat et l’objectif est l’une des trois premières places.
Camfoot.com: Tu es un avant centre, as-tu là sur le pif, le nombre de buts que tu as marqué jusqu’à présent?
PM: Je crois qu’en 16 matchs j’ai dix buts, ce qui est il est vrai un peu au dessous de mes prévisions à cause d’un problème aux adducteurs mais là j’ai encore 5 matchs donc…
« J’ai été et je suis toujours marqué par le message que MV. Foé nous laisse au travers de sa vie et de sa mort. »
Camfoot.com: On t’a aperçu avec l’équipe Nationale pendant le drame Marc-Vivien Foé…
PM: C’était cruel. La direction de mon équipe m’a immédiatement donné carte blanche pour y aller. Ils m’ont dit: ‘’Prends tout le temps qu’il te faut et reviens quand tu veux’’. Etre là était l’hommage que je pouvais lui rendre car au-delà du coéquipier, c’était un ami et un grand homme. C’est difficile à dire et si c’est difficile pour nous, vous imaginez-vous ce que c’est pour sa famille? Mourir en pleine compétition, à la fleur de l’âge pour un athlète de haut niveau c’est difficile, très difficile.
Camfoot.com: On t’y a revu alors que tu avais décidé de dire non à la convocation du staff technique, que faut-il y comprendre?
PM: Je côtoyais Marco depuis tellement longtemps, toutes les compétitions, les victoires, les déceptions de ces dernières années nous les avons vécu ensemble. J’ai été et je suis toujours marqué par le message qu’il nous laisse au travers de sa vie et de sa mort. Ça nous permet de relativiser beaucoup de choses. Il a toujours été là dans les moments les plus difficiles et même avant la Coupe des Confédérations on a eu à parler ensemble de l’avenir des Lions et du football camerounais. Marco était discret et avait une classe et une grandeur naturelles en tant qu’homme. Nous partagions beaucoup de point vue et…c’est difficile.
Camfoot.com: Au delà de la parlotte il est évident que vous devez envisager des actions concrètes en faveur de la veuve et des orphelins?
PM: Cela va sans dire, cela va sans dire.
« Quand nous gagnons tout le monde est content alors pourquoi pas s’organiser et mettre toutes les chances de gagner de notre côté? »
Camfoot.com: Depuis que tu as décliné la convocation pour la Coupe des Confédérations, as-tu des contacts avec les joueurs et les dirigeants?
PM: Avec les joueurs oui, j’ai parlé avec certains. Que ce soit avec Rigo (Song) ou Lucien (Mettomo), le contact est maintenu. Avec certains dirigeants de la Fecafoot aussi …
Camfoot.com: Il y a t-il des regrets d’avoir pris la décision de pointer du doigt les dysfonctionnements qui minent notre sélection nationale?
PM: Pas du tout! Pas du tout parce que je ne l’ai pas fait pour moi. J’aurais pu me la fermer et continuer comme si de rien n’était mais non…je n’étais plus en mesure de continuer ainsi sans faire savoir activement que certaines choses doivent changer et que si les bonnes conditions sont réunies, le Cameroun peut et fera de grandes choses dans le football mondial. Je ne regrette rien car ce n’est pas pour des ambitions égoïstes que j’ai agi. Quand on nous appelle en sélection c’est le drapeau national que nous venons défendre, nous jouons pour 15 millions de Camerounais et non pas pour nous mêmes. Il faut savoir être ouvert et accepter les critiques quand les choses ne vont pas. Je l’ai déjà dit: après Mboma il y aura les Lions, avant Mboma il y a eu des légendes comme Roger Milla Théophile Abéga, nous avons les Eto’o et des jeunes aujourd’hui. Nous avons eu des dirigeants qui se sont succédés. Le football appartient au peuple et au moins sur ce plan il est possible que les choses se passent autrement. Tout le monde le sait. Quand nous gagnons tout le monde est content alors pourquoi pas s’organiser et mettre toutes les chances de gagner de notre côté? Voilà la question.
« … les adversaires savent sur la base de ce que j’ai eu à faire ces quatre dernières années de quoi je suis capable et ma présence va certainement libérer plus d’espace aux autres… »
Camfoot.com: Honnêtement, Patrick Mboma est-il encore le joueur que nous avons connu?
PM: Je jauge mes capacités et je sais qu’aujourd’hui je suis en pleine forme et mon expérience parle pour moi. Pourquoi aurai-je changé? Je ne suis pas blessé, je joue et je marque. La vérité c’est le terrain. Si on me met de côté parce qu’il y a des joueurs plus capables, je le prendrai sportivement mais aujourd’hui je suis sûr que je peux apporter un plus à cette équipe sur le plan de la confiance et également les adversaires savent sur la base de ce que j’ai eu à faire ces quatre dernières années de quoi je suis capable et ma présence va certainement libérer plus d’espace aux autres. Je suis sûr de n’avoir pas perdu ma valeur.
Camfoot.com: Patrick, si tu reçois la convocation du staff pour le match qui aura lieu au Japon et plus tard pour la CAN que répondras-tu?
PM: Je répondrais présent car sportivement je crois être au point. J’ai regardé l’équipe en Coupe des Confédérations et j’étais heureux que les choses se passent ainsi sans problèmes administratifs et sur le terrain tout le monde a vu les résultats.
« Le déroulement de la Coupe des Confédérations où les joueurs n’ont eu à penser qu’au foot a prouvé ce que nous pouvons faire sans les soucis habituels. »
Camfoot.com: La question que certains esprits se poseraient: les conditions que tu décriais ont-elles changées pour que tu décides de ton retour?
PM: Il faut avoir le sens des exactitudes. Je n’ai jamais dit que je quittais définitivement les Lions. Je respecte assez mes fans et tous les camerounais pour leur dire quand je ne pourrai plus que c’est fini. J’ai décidé de ne pas aller en Coupe des Confédérations tout simplement pour passer un message. N’ayons pas la mémoire courte, la Coupe du Monde ici en Asie s’est passé dans des conditions désastreuses. Ici au Japon où tout le monde nous comptait favori, on n’arrête pas de se poser des questions. On ne pouvait pas continuer comme si de rien n’était. Le déroulement de la Coupe des Confédérations où les joueurs n’ont eu à penser qu’au foot a prouvé ce que nous pouvons faire sans les soucis habituels. Regardez où la Corée s’est rendue, et même l’Allemagne et dîtes-moi si nous n’avions pas besoin d’une introspection…
« …quand personne ne croyait plus en cette équipe, mes coéquipiers et moi avons pris sur nous cette équipe et nous connaissons la suite… »
« Avant la CAN2000 au Nigeria je l’avais dit que nous voulions faire le triplé. C’est un objectif que je me suis fixé, écrire une page de l’histoire du football africain »
Camfoot.com: Patrick tu sembles bien exigeant, n’as-tu pas crainte de passer pour un ‘’empêcheur d’improviser en rond?’’ et de te faire écarter par certaines personnes qui tiennent le football camerounais et qui n’ont pas intérêt à ce que les choses changent?
PM: Le football au Cameroun n’est la chasse gardée de personne. Je ne demande pas à me coucher dans des draps de soie pendant les compétitions. Je sais m’adapter comme je l’ai fait ces huit dernières années. Je suis un joueur d’équipe et je respecte les vestiaires. Mais il ne faut pas non plus tomber dans un laisser-aller général. Les choses évoluent dans le bon sens et c’est un bon signe. Vous savez je me considère toujours comme un Lion et ce que je fais je le fais pour la fierté et l’honneur de tous. C’est pour cela que quand personne ne croyait plus en cette équipe, mes coéquipiers et moi avons pris sur nous cette équipe et nous connaissons la suite. Nous avons supporté des conditions difficiles quand c’était nécessaire et aujourd’hui on ne peut pas le balayer comme ça du revers de la main. Il faut savoir rester humble. Ces trois médailles d’or (ndlr 2 CAN et une médaille Olympique) engrangées portent en elles beaucoup d’histoires et sont les fruits de nos sueurs et de nos vies…
« Le Cameroun doit mettre de côté des considérations de personnes et réunir toutes les compétences nécessaires autour de ce que nous allons faire en Tunisie. »
Camfoot.com: Tu sembles en vouloir encore plus…
PM: Avant la CAN2000 au Nigeria je l’avais dit que nous voulions faire le triplé. Nous en sommes au doublé et en Tunisie nous pouvons le faire. C’est un objectif que je me suis fixé, écrire une page de l’histoire du football africain. Le Cameroun doit mettre de côté des considérations de personnes et réunir toutes les compétences nécessaires autour de ce que nous allons faire en Tunisie.
Camfoot.com: Beaucoup de fans appellent à ton retour…
PM: (rires) Oui et ça fait plaisir mais je voudrais que cette attitude aille au-delà d’un appel de cœur, non seulement pour Mboma mais aussi pour que les choses se passent normalement désormais. Au lieu de demander mon retour, ils peuvent demander pourquoi un tel ou un tel n’est pas sélectionné alors qu’il est en forme et pourquoi un autre tient une place qu’il ne mérite pas…
Camfoot.com: Tu fais appel au militantisme des supporters…
PM: À qui appartient le football Camerounais? Qui pleure quand les choses ne marchent pas? Qui va au stade? Tout ce que je veux c’est qu’on nous donne les moyens de faire de grandes choses. Le choix entre l’organisation et l’improvisation appartient au peuple. Le peuple a le devoir d’agir quand il estime que les choses ne marchent pas. Je crois que non seulement moi mais beaucoup d’autres joueurs, on leur mot à dire; ce qui se passe exactement et c’est à eux de juger et de ne pas se laisser endormir par une ou deux victoires car le Cameroun peut faire de très grandes choses…
Camfoot.com: Beaucoup de supporters se regroupent actuellement pour agir dans ce sens…peux-tu être une personne ressource?
PM: Absolument! Ce n’est que ce que nous demandons. Vous n’allez pas nous demander d’aller jouer, d’organiser les matchs, de tout faire non! Plus il y a des gens avertis pour superviser et pour juger, moins il y aura des bourdes…si vous voyez ce que je veux dire. L’équipe Nationale m’a énormément donné dans la notoriété que j’ai aujourd’hui et je pense qu’il est temps que je lui rende tout le bien que j’ai eu. Dès que j’ai pris conscience qu’il fallait que j’agisse, je ne pouvais pas me taire et je l’ai fait.
Camfoot.com: Sur un tout autre plan, une forte délégation camerounaise est ces derniers jours au Japon et on se rend compte de ce que tu représentes là-bas (le premier ministre Japonais se serait longuement étendu sur le joueur Mboma avec le président Biya) comment ça se passe?
PM: Je suis impliqué comme la plupart des Camerounais ici à l’accueil de la délégation, le ministre Bidoung a donné le coup d’envoi de mon 50 e match en J League…
Camfoot.com: Que nous promets-tu dans l’éventualité de ton retour?
PM: Comme d’habitude de donner le meilleur de moi-même et d’aider à remporter un troisième titre consécutif, ce qui serait un bon cadeau pour le peuple.
Camfoot.com: On ne peut donc plus souhaiter que ton retour… (rires)
PM: (rires) Ouais… Je suis en pleine forme.
Camfoot.com: Merci Patrick…
PM: Merci à vous et aux fans.
Propos recueillis par Roger Wandji