Au lendemain de la défaite des Lions Indomptables face aux Pharaons d’Egypte, nous avons rencontré l’ancien Lion Indomptable Thomas Libih et avons évoqué sa carrière, ses activités et la situation de l’équipe nationale où il fût une des pièces maîtresses pendant une décennie. Il revient aussi sur les problèmes récurrents de Joseph Antoine Bell en équipe nationale et sur les propos tenus par Benjamin Massing sur ce qui s’était passé durant la coupe du monde 1990 en Italie.
Quelle lecture faites-vous de la rencontre entre les Lions Indomptables et les Pharaons d’Egypte ?
C’était une rencontre attendue des deux parties. Le Cameroun tenait là une opportunité pour glaner les points pour la suite des éliminatoires et l’Egypte n’avait plus droit à l’erreur face à son public après la défaite contre la Côte d’Ivoire.
Je peux dire que la rencontre n’a pas été abordée, côté camerounais, avec une réelle volonté de gagner. Pour ce qui est de l’encadrement technique, je dirais qu’au Cameroun les entraîneurs acceptent de perdre le match avec tout le monde. En clair, on ne prend pas de risque en mettant de côté les “grands joueurs” lorsque ceux-ci ne sont pas en forme. Il faut les aligner à tout prix, l’essentiel étant de gagner ou de perdre avec eux. Pourtant, à côté, il y a des joueurs qui n’attendent que leur chance. Ils sont souvent bourrés de talent. Il faut donc trouver les causes de notre défaite à ce niveau-là. Les seuls moments où nous avons véritablement attaqué, nous avons marqué deux buts en cinq minutes. C’est dire que cette équipe égyptienne était largement à notre portée. Nos compatriotes doivent évoluer comme ils le font si bien dans leurs clubs respectifs. Contre les Pharaons, il y avait plus de spectacle des stars qu’une volonté de remporter des points.
Qu’est devenu Libih Thomas?
Après les stades, j’ai connu des problèmes de santé. J’ai décidé de revenir au Cameroun pour m’occuper un peu de la jeunesse. J’ai créé mon centre, “ centre de formation Libih Thomas”. Dans un premier temps, j’ai mis sur pied deux équipes en quatrième division. Une des moins de 16 ans et l’autre des moins de 19 ans. Les deux sont montées en troisième division. Et après le centre m’a encore permis de mettre une autre équipe en quatrième division. Donc en dehors du centre et ses activités, nous avons trois équipes. J’ai environ 15 joueurs en division 2 pour permettre aux plus jeunes d’être compétitifs.
Je le faisais dans le bénévolat quand j’étais joueur dans Canon de Yaoundé. C’est en 1991 que j’ai commencé à faire ce boulot avant de créer le Cintra en 1992-1993 avec Monsieur François qui avait le Cintra.
En 1995 quand je voyageais pour l’Afrique du Sud, j’ai laissé l’équipe à Monsieur Njinou Hans. Dès mon retour en 2000, je me suis rendu compte que je ne pouvais plus faire quelque chose avec cette équipe, puisqu’on ne me permettait plus d’y être. J’ai légalisé mon centre en 2002.
Pourquoi ce retrait définitif de Cintra alors que vous êtes un des pères fondateurs?
Je pense que les uns et les autres devraient être plus honnêtes. Savoir qu’il y a quelqu’un qui y a mis de l’argent et de qui est venu cette idée. Mais si on ne veut pas le reconnaître, je ne rentre pas dans ce jeu-là. Je ne lutte contre personne puisque je peux refaire ce que j’ai fait.
Quels souvenirs gardez vous de votre passage en Afrique du Sud?
Ils sont très négatifs. Pour la simple raison que quand je me suis blessé en 1995, j’ai eu une première opération au tendon d’Achille, un an après j’ai eu une seconde opération, puis deux autres. C’est un peu la conséquence des maux que j’ai traînés dans l’équipe nationale pendant dix ans. Tout le monde était au courant même les médecins de l’équipe. En 1988 quand nous allions en coupe d’Afrique des nations, je devrais me faire opérer à Saint Etienne en France. Ils m’ont dit non. J’ai un peu traîné ces maux et ça commencé à lâcher dès mon arrivée en Afrique du Sud. Cela m’a coûté toute une carrière. Je pense que je serais même encore en train de jouer car j’ai ces capacités. J’ai été jeté dans la rue en Afrique du Sud. Nous avons bataillé devant les tribunaux pendant cinq ans mais rien n’a marché. J’ai perdu mon épouse et mon fils suite à une fuite de gaz. Moi-même j’avais le bras droit foutu. En Afrique du Sud, j’ai tout perdu parce que j’y ai passé inutilement six années de ma vie.
Je suis revenu au Cameroun dans l’espoir de récupérer mon bras. Ce qui n’a pas été facile. Il m’a fallu environ 4 ans pour le récupérer, avec l’aide de certaines personnes, par pitié. Il ne faut pas le cacher. Car ni la Fédération camerounaise de football (Fécafoot), ni le ministère de la Jeunesse et des sports (Minjes), personne ne s’est occupé de moi. Je n’ai pas demandé un prêt d’argent mais qu’on me paye mes manque à gagner. Ce qui n’a pas été fait. Certains ont même trouvé que je n’ai jamais joué à une coupe du monde.
Je ne suis pas resté dans ces batailles. Par pitié j’ai eu le Pr Ntone, Monsieur Dipoko et Maître Hanack Tonye qui se sont occupés de moi entièrement sans que je dépense un seul franc. Le Pr Ntone a envoyé un bon de prise en charge à la Fécafoot qui a refusé de payer. Dieu merci, je suis debout et je peux montrer aux enfants ce qu’ils peuvent faire.
Parlant de vos droits auprès de la Fécafoot et du Minjes, quelles sont les démarches par vous entreprises?
Etant en Afrique du Sud j’ai rencontré plus d’un ministre. Le ministre Bidoung m’a demandé en son temps de venir au pays. Ce que j’ai fait pour m’entendre dire de repartir en Afrique du Sud. On payait ceux qui étaient là. Moi, on m’a dit que je ne faisais pas partie de la campagne. J’ai rencontré l’actuel secrétaire général de la Fécafoot qui a bien voulu m’aider et qui, à la dernière minute, m’a demandé d’écrire à la présidence de la République. J’ai écrit à la Fifa qui m’a répondu que Bell Joseph Antoine leur a écrit pour leur dire qu’ils sont incompétents pour ce sujet. J’ai à nouveau rencontré des responsables de la Fécafoot qui m’ont demandé de tout laisser.
Etes-vous seul dans cette situation?
Non. Mais les amateurs qui sont dans les mêmes conditions ne revendiquent que quelques centaines de mille. Nous avons des millions. Je ne mène pas la bataille seul. J’ai essayé avec Mbouh Emile et les autres. Il n’y a rien qui avance. Personne ne veut ni nous entendre, ni nous recevoir. Les portes se ferment et ça devient compliqué. Ils ne savent même pas où nous sommes. Nous, nous sommes très courageux pour revenir au pays. Quand je rencontre les autres en Europe et leur demande de revenir au pays pour qu’ensemble on puisse faire quelque chose, ils me disent non !.
Quels sont vos souvenirs de l’équipe Nationale?
Ah les souvenirs ! quand on est dehors on veut y être. Mais une fois à l’intérieur les regrets commencent. Je pense que ceux qui ne gagnent pas là-dedans ce sont les footballeurs.
Les meilleurs souvenirs c’est d’avoir participé à deux coupes du monde et à plusieurs coupes d’Afrique. Ce qui m’a permis d’être connu à travers du monde.
Qu’est ce qui s’est passé en 1990 dans ce que d’aucuns appellent “affaire Bell”?
J’ai lu la lettre de mon collègue Benjamin Massing. Je constate que les gens opposent les sportifs pour tirer dans l’ombre les bénéfices. Je souhaite que l’on dise exactement ce qui s’est passé. On ne devrait pas être un modèle uniquement sur les aires de jeu. Mais aussi en dehors. C’est très embêtant quand on lit les journaux pour découvrir les mensonges.
Tout ce que Bell a dit il y a quatorze ans au moins c’est ce que nous voyons aujourd’hui. Bell ne bavarde pas pour lui. Encore moins pour son enfant qui ne joue pas au football. Mais il lutte pour le bien être des sportifs et du peuple camerounais. Malheureusement les adversaires du sport camerounais ne le présentent que comme bavard. Quelle peine !
Si on a gagné quelque chose dans cette équipe c’est grâce à Bell qui a toujours su se battre pour les plus jeunes.
Concrètement que s’est-il passé en 1990?
Bell sort de l’équipe au briefing d’avant match. Je partageais la même chambre que lui. Je me rappelle par exemple qu’il a été appelé une nuit où on lui demandait de prendre une certaine somme d’argent pour laisser la discussion qu’il y avait au sujet des primes. Ceux qui sont venus le voir savaient bien qu’il était la seule personne qui pouvait mener le groupe à revenir sur la décision. Le ministre et les autres membres de la délégation proposaient aux joueurs : prime de match 300 000 fcfa et comme prime de participation 600 000 fcfa. Bell a pris les devants pour intervenir. Nous avons eu 3 millions de prime de match et 6 millions de prime de participation. Si c’était un problème d’argent, ces responsables n’allaient pas revenir rapidement sur leur décision. Vous n’avez qu’à voir qu’entre ce qu’on nous proposait et ce qu’on nous a donné c’est une histoire de quelques zéros de moins. Des zéros qui allaient certainement profiter non pas au trésor public mais aux individus. Ce sont ceux là même qui ont profité de notre prestation. Bell était le footballeur camerounais le plus payé à cette époque. Donc il n’était pas dans le besoin.
Je me rappelle, comme Jésus-Christ, il a demandé à Thommy est ce que tu acceptes mourir avec moi? Mais je crois que Thommy n’a pas très bien compris sa question. Il était question que même si on demande à Thommy de jouer est-ce qu’il va le faire?
Lorsqu’il a fallu convaincre Thommy de jouer, ils sont entrés dans une autre phase en lui disant que c’était à la demande du chef de l’Etat. Le gardien titulaire choisi par les entraîneurs était Joseph Antoine Bell.
Bell n’a pas accordé d’interview aux journalistes mais un entretien amical que celui-ci n’a pas su gérer. Le reste vous le connaissez. Mais la mise à l’écart de Bell est une affaire décidée dans les chambres. Il n’a pas permis aux gens de trop se servir sur les prestations des joueurs. Il fallait qu’il le paye.
Mais il n’y a pas que ça. Il aurait rassemblé les joueurs appartenant à un même groupe ethnique que lui pour paralyser l’équipe.
Bell ne l’a jamais fait. C’est ne pas le connaître. Si Bell ne se battait pas pour lui comment pouvait-il le faire pour un groupe tel que je l’ai lu dans votre journal? Non, Bell ne s’est jamais aventuré sur cette piste. En 1994 au début de la compétition, ça s’est passé de la même façon qu’au premier match de 1990. L’entraîneur est arrivé au restaurant la veille du deuxième match et nous a dit : “je reconduis la même équipe”. Malheureusement il y a eu des coups de fils venant du Cameroun, a-t-on dit, nous annonçant que les Camerounais avaient brûlé le stade omnisports de Yaoundé et le siège de la Fécafoot parce qu’on ne voulait pas entendre parler de Bell. Contre le Brésil, on a réuni les trois gardiens. On a demandé à Thommy s’il peut jouer, il a dit non. C’est la même réponse que Jacques (Songo’o, ndlr) a donnée. On a reconduit la même équipe, le bruit a continué jusqu’à quelques minutes du début de la rencontre. C’est là où Bell a appelé les joueurs et nous a dit : “voilà le moment où nous devons montrer aux Camerounais que nous sommes solidaires”. C’est ainsi que nous prenons les devants et disons à l’entraîneur que Bell doit jouer.
Après le match, Bell a réuni tout le monde dans le hall de l’hôtel pour remercier toute l’équipe et nous dire qu’il était entièrement avec nous mais qu’il n’allait plus continuer la compétition, bien qu’il resterait avec nous jusqu’au bout. C’est pour cela que Jacques joue contre l’Urss.
Le reste de ce qui est écrit n’est que calomnie. Je ne pense pas qu’on pouvait réduire l’équipe aux désirs d’un groupe ou d’une tribu. Je dois dire que chacun a son don. Pour qui Bell faisait des revendications dans Union de Douala ou dans Olympique de Marseille où il a été capitaine?
On ne vous sent pas dans les mouvements des anciens joueurs. Y a-t-il quelque chose? Pourquoi n’avoir pas signé la lettre demandant au président de la République à se représenter?
Pour certains, pensent ils, nous ne sommes pas des amis. Ils ne peuvent pas m’informer de certaines choses. Le plus grave aujourd’hui est qu’il y a des clans qui ne veulent pas sentir les autres. Ce qui est ridicule pour le sport et les sportifs. En plus, moi je ne vais ni au circuit ni au bar. Peut-être que là j’aurais rencontré certains pour partager avec eux quelques informations. Je ne suis jamais au courant de quelque chose. C’est Monsieur Bertin Ebwele qui, lorsqu’il a une information, m’appelle.
Ce sont mes joueurs qui m’ont dit ce matin qu’il y a une motion de soutien de la part des anciens joueurs Camerounais pour la candidature du président Paul Biya pour la prochaine élection présidentielle. Je dois vous dire que les mouvements des anciens joueurs sont faits de trop de calculs qui ne profitent qu’à un petit groupe et non au mouvement sportif dans son ensemble. Nous avons constitué un groupe des anciens de 1990. Il était question qu’on livre une rencontre face à l’Italie, en Italie, et une autre ici. C’est un ancien joueur qui nous a dit que si nous ne mettons pas de l’argent à sa disposition ça ne marchera pas. Malgré l’accord du chef de l’Etat, le projet est mort.
Interview réalisée par SANDEAU NLOMTITI, Le Messager