En exclusivité, le célèbre gardien de but, double champion d’Afrique et ex-capitaine de l’Olympique de Marseille, Joseph Antoine Bell s’est confié de tout coeur à Camfoot.com sur son vécu en équipe nationale du Cameroun. Il y jette un coup d’oeil retroactif et critique. Comme à son habitude et en toute franchise, Bell se livre profondement. Lisez plutôt l’interview qui suit.
Camfoot.com: Bonjour Joseph Antoine Bell.
Joseph Antoine Bell: Bonjour
Camfoot.com: Et si on commencait par vos premiers pas dans le football.
Joseph Antoine Bell: Mes débuts ont été semblables à ceux d’à peu près tout le monde, dans la rue avec des amis, des voisins et la famille. Vous savez au Cameroun généralement les familles offrent des balles à leurs enfants pour qu’ils s’amusent, non pas parce qu’ils pensent que leurs enfants seront footballeurs. Mais comme vous savez, la balle parce qu’elle est ronde, roule, se déplace facilement et donc donne à l’enfant l’envie de la suivre. Finalement il s’habitue et garde cette envie. Je pense que ça résume mes débuts.
Camfoot.com: A quel moment avez vous su que vous deviendriez un joueur professionnel?
Joseph Antoine Bell: Ça c’est plus compliqué dans la mesure ou quand j’étais gamin au Cameroun, le foot professionnel n’existait pratiquement pas pour les camerounais il y avait quelques deux ou trois footballeurs professionnels et qui étaient tellement loin devant que je ne savais pas ce qu’ils étaient devenus. Donc le foot ne représentait pas de débouchés du tout, et donc on jouait véritablement pour le plaisir. Devenir professionnel c’était une chance sur un milliard même si je dois reconnaître que j’avais déjà l’âme professionnel c’est-à-dire que j’étais sérieux dans ce que je faisais, je ne manquais aucun entraînement, j’étais très consciencieux. Je le faisais parce que c’était ma nature, mais je ne pensais pas réellement devenir footballeur. Maintenant, il faut dire que je lisais souvent France Foot. En complément de ce que je faisais sur le terrain, j’ai aussi appris à jouer en lisant souvent France Foot. Je leur dois beaucoup. Ce qui soit dit en passant le petit qui a joué en lisant France Foot est choisi comme consultant de France Foot. C’est vraiment un honneur. Pour moi c’est grand quand je vois mon itinéraire.
Camfoot.com: Vous avez évolué longtemps avec les Lions Indomptables. Avez-vous des souvenirs de votre premier match en tant que titulaire ?
Joseph Antoine Bell: Oui c’était Cameroun St Etienne en fait j’étais entré en cours de match en 76 et les Stéphanois menaient 3-0. Je suis rentré pour la dernière demie heure. En passant, je n’appréciais pas d’être entré dans ce match parce que je trouvais qu’on perdait déjà et que ce n’était pas la peine de remplacer le gardien comme s’il fallait le désigner à la colère populaire comme étant le responsable des trois buts ; mais bon j’avais été absolument forcé de rentrer et puis après il y avait un deuxième match à Yaoundé et contre St Etienne qui c’est terminé sur le score de 0-0. C’était le St Etienne qui allait devenir mythique pour les français, le St Etienne de 76 et le St Etienne soit dit en passant ou j’ai aussi fini par jouer.
Camfoot.com: Si nous parlons de Espana 82, comment expliquez-vous aujourd’hui la solidité de ce groupe qui est le véritable précurseur de nos succès ?
Joseph Antoine Bell: Expliquer la solidité du groupe est même tout simplement la solidité de l’équipe de Cameroun aujourd’hui. En fait tout est partie d’un groupe de joueur ayant joué longtemps ensemble en équipe nationale, dans les clubs notamment Canon, Tonnerre, Union. C’était des joueurs qui se connaissaient bien, qui avaient joué des Coupe d’Afrique et qui avaient gagné. Le football camerounais commençait à connaître du succès avec ces joueurs et ce sont les mêmes qui se sont retrouvés en équipe nationale. Ils avaient une histoire commune vieille de 6 à 8 ans; et puis c’est un groupe qui a été construit au lendemain de l’échec de la CAN 72 organisé au Cameroun. Des gens qui ont beaucoup souffert du passé de leurs aînés parce qu’à ce moment-là, il y avait une désaffection du public pour l’équipe nationale puisqu’qu’elle avait perdu en 72. On a du essuyé les quolibets et les jets de pierres. Les gens étaient désabusés et d’avoir traversé tout cela a évidemment soudé les gens entre eux et leur a permis de se forger un mental d’enfer. Et aujourd’hui, autant nous on a subi tout cela autant ceux d’aujourd’hui ont dû avancer sur du velours parce que les succès que nous avons remporté ont attiré la sympathie du public et du monde entier, le respect et la ferveur populaire. Et surtout ceux d’aujourd’hui n’ont pas un exemple négatif à ne pas suivre mais plutôt un exemple positif, ce qu’il fallait absolument faire donc ils sont décomplexés et savent que c’est possible parce que d’autres l’ont fait avant eux.
Camfoot.com: Faisons appel à vos souvenirs : le match contre le Pérou notamment avec des vedettes tels que Cubillas dans quel esprit aviez-vous abordé ce match ?
Joseph Antoine Bell: Je pense que c’était une découverte on avait une espèce de défi. Tout le monde se rappelle qu’en 74 le Zaïre d’alors s’était complètement ramassé, comme on dit ils avaient complètement raté leur coupe du mode. On avait surtout fait un pari que cela ne nous arrive pas. Mais on avait un défi on croyait véritablement en nos talents et on avait vraiment envie de découvrir la Coupe du Monde. On avait les yeux ouverts, la détermination de bien faire et donc on avait commencé le match dans cet état d’esprit-là. Je crois qu’on a beaucoup critiqué Jean Vincent à l’époque. Personnellement, je ne le critiquerais pas. Je crois plutôt que c’était très bien cet entraîneur qui nous a apporté une notion de rigueur défensive et compte tenu du talent naturel qu’on avait, il a misé sur nos forces naturelles. Ça veut dire que ce que l’on ne savait pas faire c’etait défendre. Et lui, il nous l’apprenait. Il nous poussait à défendre et nous, nous étions naturellement porté à l’attaque. Et même si on n’a pas marqué beaucoup de but, il faut dire qu’on jouait à un niveau très élevé. Ce jour-là, Milla a d’ailleurs marqué un but qui a été refusé. Je reste persuadé encore aujourd’hui que le but était valable. Mais bon, des erreurs d’arbitrage, ça arrive comme des erreurs de joueurs.
Camfoot.com: Parlant de 1982, Quels sont vos meilleurs souvenirs ?
Joseph Antoine Bell: C’est simplement d’y avoir été. Je pense que l’ensemble de la compétition était une découverte pour nous. Je ne pense pas qu’il y ait un point spécial; mais il faut avouer que déjà à cette période, les footballeurs Camerounais devraient être extraordinaires pour réussir à faire des résultats. Parce que, déjà à cette époque, les histoires de primes, des discussions… les primes ne nous étaient pas encore offertes et on en discutait même encore à la mi-temps du dernier match contre l’Italie. C’est pour vous dire que l’exploit était donc grand d’avoir réussi ces résultats-là.
Camfoot.com: ABIDJAN 84, vous nous conduisez à notre premier titre de Champion d’Afrique. Ce qui est notre premier titre majeur et le public africain vous découvre personnellement Quels sensations en gardez-vous?
Joseph Antoine Bell: Ce ne sont pas des sensations toutes personnelles. Je suis Camerounais comme tous les autres. On n’avait rien gagné jusque là et tout le monde pensait qu’on n’était pas capable de gagner et de gagner la CAN à l’étranger, j’étais comme les autres Camerounais. Très heureux que ça arrive. La seule chose que je considère véritablement personnelle est cette rivalité, que je considérais toute sportive avec Thomas Nkono et que d’autres ont considéré autrement, il y a encore malheureusement eu à l’occasion de cette CAN des tiraillements et des prises de bec qui se sont arrangés naturellement avec ma titularisation et avec la victoire. Une anecdote toute personnelle mais, je pense que le plus important est d’avoir remporté cette CAN. Et d’avoir ouvert la voie pour l’équipe nationale du Cameroun à des succès et à la reconnaissance africaine; car vous savez, la confirmation a été aussi sur un plan mondial parce qu’on avait fait une bonne coupe du monde même comme quand vous sortez au premier tour, c’est tout relatif. Et là, on avait gagné la CAN et c’était une bonne chose. Maintenant, on savait qu’on pouvait gagner et je pense qu’on savait qu’on allait désormais gagner.
Camfoot.com: Maroc 88, deuxième titre majeur et vous étiez très autoritaires avec votre défense. Etait-ce le secret de votre succès ?
J.A. Bell: Je pense que j’ai toujours eu, en tant que gardien cette qualité là parce que j’ai toujours estimé que le gardien de but devrait être un chef, un patron et que le poste de gardien de but en lui-même devrait se comparer à l’assurance. L’assurance, on la souscrit pour ne jamais l’utiliser. Et c’est pareil, on doit avoir un bon gardien de but pour ne jamais l’utiliser. Le bon gardien, ce n’est pas parce qu’il va arrêter beaucoup de ballon. Plus il en attrape, plus vous courrez le risque d’encaisser des buts. Donc, il faut anticiper et j’ai basé l’essentiel de mon jeu sur l’anticipation. Donc, l’anticipation c’est pas seulement la mienne sur mes actions, mais aussi l’anticipation de l’équipe, pour faire avorter les possibilités offensives des adversaires. Et en cela je préfère considérer que je n’aurais pas à intervenir personnellement et m’investir dans le commandement de la défense. Parce que le plus important n’est pas pour moi qu’on dise que j’ai sauvé l’équipe mais que l’équipe n’ait pas pris de but.
Qu’on n’ait pas pris de but parce que les attaques adverses ont avorté trop tôt ou qu’on n’ait pas pris de but parce que c’est moi qui ait arrêté le ballon, c’est pareil et c’est même mieux encore que l’adversaire n’est en aucune occasion approché de nos buts.
Camfoot.com: Italia 90 : notre consécration. Vous étiez au sommet de votre art, mais pourtant vous n’avez malheureusement pas gardé les buts comme annoncé. Quel est votre sentiment?
J.A. Bell: Je ne pense pas avoir jamais dit malheureusement parce que je crois, comme footballeur, oui j’ai été touché en tant que footballeur. En ce qui concerne l’homme, je n’ai pas été touché par cette mise à l’écart vindicative et lâche. Le plus important pour moi était ce que j’avais fait qui consistait précisément à regrouper les joueurs dans une espèce de famille, de commando qui d’un côté revendiquait ses droits et de l’autre voulait montrer sur le terrain ce qu’il valait. Le commando y est arrivé. Il a montré face aux dirigeants qu’il était intraitable et face aux adversaires qu’il fallait lui passer sur le ventre pour gagner le match. Je pense cela beaucoup plus important que d’avoir joué la coupe du monde 90 dans la mesure où je suis persuadé que les deux étaient incompatibles d’ailleurs. Dans tous les cas, si j’avais dû joué la coupe du monde comme le souhaitaient les dirigeants c’est-à-dire avec la bouche fermée et donc avec équipe éparpillée et une équipe démobilisée, nous n’aurons jamais connu ces résultats et je suis sûr que vous ne serez pas là à m’interroger comment ça s’est passé. Et peut être que je l’en aurais gardé comme mauvais souvenir. Il ne faut pas oublié que l’équipe de 1990 était la moins bonne qu’on ait jamais eue ou en tout cas en terme de référence parce qu’il n’ y avait pratiquement aucun joueur professionnel de 1e division si je me trompe pas dans cette équipe. Il lui fallait compenser par la solidarité, la détermination, la concentration, toutes choses qui ne viennent que par l’amitié entre les joueurs et je crois que nous avions réussi à créer un lien d’amitié ne serait-ce que ponctuel à travers les revendications et à travers notre combat contre les dirigeants qui voulaient nous spolier.
Camfoot.com: Toujours en 1990, nous étions si proche de la victoire contre l’Angleterre, pourtant nous avons perdu. Comment avez-vous vécu cette défaite personnellement?
J.A. Bell: Je pense qu’elle était tout juste regrettable. Comme on était déjà en quart de finale et vue la manière donc la coupe du monde avait été préparée, être en quart de finale était déjà un grand succès. Même si après tout je me suis dit que c’était dommage parce qu’on serait passé dans la mesure ou nous avions mené et qu’il s’agissait de gérer un résultat. On n’a pas pu véritablement le faire et malheureusement on a perdu. S’aurait été un grand coup que d’aller en demi finale de coupe du monde.
Camfoot.com: 1990 est aussi le début de notre traversée du désert. Ce parcours n’a-t-il pas été plutôt néfaste pour le football camerounais?
J.A. Bell: Dans la mesure ou les dirigeants n’ont jamais pris conscience de ce qui s’était passé, qu’ils s’en étaient gargarisés comme si eux avaient obtenu ces résultats – et d’ailleurs certains d’entre eux croyaient avoir obtenu des résultats contre moi et donc se laissaient allé à toutes les interprétations. Personne ne m’a jamais demandé exactement ce qui s’est passé comment on s’était organisé. Au contraire, ils ont juste essayé de tirer des leçons de ces succès. Ils ont juste essayer de tirer la couverture de leur côté en disant que nous étions très forts. Mais comme vous savez, en sport la tricherie ne dure pas longtemps, et la supercherie encore moins.
Parce qu’on n’analysait rien, on a dû à ce moment commencer à plonger, d’autant que parallèlement à cela les dirigeants s’étaient acharnés à avoir une équipe sans leader. Si vous voulez une équipe sans leader vous avez l’absence de résultats et c’est ce que nous avons connu. Je pense qu’une équipe est bien avec quelqu’un qui peut fédérer les idées des uns et des autres et qui est l’autorité pour éventuellement instaurer la discipline s’il le faut, et empêcher que chaque joueur n’essaie de tirer la couverture vers lui.
Camfoot.com: Depuis 2000, nous avons une nouvelle génération de joueurs très ambitieuse qui rêvent d’égaler, voire de faire mieux que leurs aînés de 1990. En tant que connaisseur de football, en ont-ils les moyens?
J.A. Bell: Oui oui; ils sont avantagés. Vous dites bien qu’ils rêvent de faire mieux que leurs aînés c’est-à-dire qu’ils ont un chemin qui est tout tracé et qu’ils n’ont qu’à le suivre. Ils n’ont pas connu les formes de barrière, d’obstacles que nous avons pu connaître. Je crois beaucoup en eux. Je pense qu’ils peuvent. La seule chose est que même si le football se joue par les footballeurs, ils s’organisent par les dirigeants et donc il y a quelque chose qu’ils ne maîtriseront jamais, c’est la part que doivent leur apporter les dirigeants dans la construction de leur succès. Je ne peux pas dire que j’en appelle aux dirigeants camerounais parce que je ne suis pas sûr qu’ils nous écoutent. Mais j’espère seulement qu’ils feront leur part de boulot pour aider les joueurs à y arriver.
Camfoot.com: Comment voyez-vous l’avenir du football camerounais
J.A. Bell: Je pense que communément les gens pensent que le football camerounais c’est l’équipe nationale du Cameroun. Ce n’est pas ma manière de voir. Je pense que le football camerounais c’est avant tout le championnat du Cameroun ou du moins ses différents championnats : 1ere division, 2e division, 3e division, la coupe du Cameroun, les infrastructures et les structures. Ce football camerounais est très en retard et demande qu’on s’en occupe réellement.
Camfoot.com: Au nom des internautes de Camfoot.com, je vous remercie pour cette retrospective et surtout de vous être confié si chaleureusement et à coeur ouvert
J.A. Bell: C’est moi qui vous remercie et continuez votre bon travail.