« C’est triste pour nous, Africains, de vivre la scène que nous avons connue à Abidjan. C’était une scène de barbarie, d’animosité sur des êtres humains. Alors que, quand nous sommes arrivés à Abidjan, nous avons été bien accueillis à l’aéroport et bien installés dans un bel hôtel de la place… »
Vous avez conduit la délégation de Racing de Bafoussam en Côte-d’Ivoire le week-end dernier lors des 1/16èmes de finale retour de la Champions League africaine. Quels souvenirs vous en gardez ?
J’ai de très mauvais souvenirs. C’est triste pour nous, Africains, de vivre la scène que nous avons connue à Abidjan. C’était une scène de barbarie, d’animosité sur des êtres humains. Alors que, quand nous sommes arrivés à Abidjan, nous avons été bien accueillis à l’aéroport et bien installés dans un bel hôtel de la place. Nous avons régulièrement suivi le programme qui avait été établi pour les entraînements.
A quel moment survient l’incident ?
Le samedi, 19 mars 2005, quand nous nous sommes rendus au stade pour le match, l’équipe est entrée sans problème. Moi par contre, j’ai été bloqué. J’étais avec certains de mes proches collaborateurs. C’est après trop d’insistance qu’on nous a laissés entrer au stade. Nous avons rejoint l’équipe dans les vestiaires pour les petites formalités d’usage. Après cela, les officiels ont demandé aux deux équipes d’aller s’échauffer sur l’aire de jeu. Quand les nôtres ont traversé la clôture qui donne sur l’aire de jeu, en compagnie de l’équipe locale, les supporters d’Africa Sport d’Abidjan ont aussitôt commencé à les huer : «on va vous battre, on va vous taper».
Certains ont même escaladé la clôture pour agresser les joueurs sur le terrain. Ça, c’est avant le match. Quand nos gars ont voulu réagir, c’est les éléments des forces de l’ordre ivoirienne qui sont intervenus, avec des armes en main. Ils se sont mis à tabasser nos joueurs. C’est à cette occasion que notre poulain, Bertrand Koumda, a reçu la crosse d’un fusil en plein visage, avec une large plaie au niveau de la cloison interne de la narine gauche. Il a abondamment saigné. On a essayé d’arrêter l’hémorragie en tamponnant médicalement. Il s’est levé, avant de s’écrouler.
Les responsables de la Fédération ivoirienne de football soutiennent que vous avez fait entrer un marabout sur l’aire de jeu, et que c’est ça qui est à l’origine de cet incident ?
Croyez-vous encore à ces choses-là ? Ce sont des balivernes. Ils veulent trouver des raisons qui ne tiennent pas debout. J’étais dans la voiture du Sg de la fédé ivoirienne quand nous sortions du stade, il n’y a pas fait allusion. Il faudra que ceux qui le disent puissent aussi le prouver.
Comment les officiels de cette rencontre ont-ils réagi?
Le commissaire de match [de nationalité nigériane] a fait appel à un médecin de la fédération ivoirienne, qui a fait venir une ambulance. Et notre joueur a été conduit dans une clinique abidjanaise. J’ai dit au commissaire du match que nous étions dans l’insécurité. J’ai aussi attiré l’attention de l’arbitre central quant à ce que nous vivions. Il m’a répondu qu’il fallait jouer et porter des réserves ou réclamations à la fin du match.
Vous avez accepté de jouer ?
Oui, nous avons cédé. Nous sommes rentrés dans les vestiaires nous préparer pour le début de la rencontre. Elle a commencé par des injures, des menaces : «vous allez voir, vous avez détourné le Ballon d’or africain au profit d’Eto’o Fils. Vous avez pris ça successivement parce que Hayatou est à la tête de la Caf? » Ils ont balancé des cailloux, des boîtes vides sur nos têtes. J’ai dû partir de la tribune avec mes gars. Le commissaire de match a préféré nous faire asseoir au niveau de la main courante.
Le match se jouait sur le terrain ?
Effectivement. Et à la 43ème minute de la première mi-temps, quand Racing a ouvert le score sur un boulet de Noudjeu, cela a électrisé le stade. Les spectateurs n’ont pas digéré qu’on les mène à domicile. Nous avons davantage reçu des projectiles. Quelques minutes après, l’arbitre central leur a accordé un penalty. C’est ça qui leur a permis d’égaliser. Nous sommes allés à la mi-temps à un but partout. Certains supporters d’Africa Sport ont demandé aux policiers de nous expulser du stade. C’est à ce moment que l’ambassadeur du Cameroun en Côte-d’Ivoire a demandé qu’on nous conduise [staff administratif de Racing, Ndlr] sous forte escorte dans sa cabine pour qu’on discute. Nous étions trois à partir du stade pour l’hôtel. Nous n’avons même pas assisté aux deuxième et troisième buts d’Africa Sport. Puisqu’on nous a refoulés, quand nous sommes arrivés au niveau du portail. Nous avons alerté le secrétaire général de la Fédération ivoirienne de football, qui a obtenu notre retour au stade. Nous avons cru que tout était fini.
Mais, à la fin du match, les supporters ont dit qu’ils vont nous taper avec les mains. Le commissaire de match s’est donc rangé de notre côté pour dire qu’on va nous tuer ensemble. Nous avons passé près d’une heure et trente minutes sur l’aire de jeu, à attendre qu’on nous laisse sortir. C’était la barbarie. Malgré tout, nous sommes sortis. N’eût été cet incident, nous serions rentrés d’Abidjan avec une victoire. Les gars ont craqué face aux pressions et menaces.
Vous avez enregistré plusieurs blessés dans vos rangs ?
Le match était très heurté. Youmsi et Effengue n’ont pas terminé le match. Vers la fin, nous n’étions pas complets. On avait déjà épuisé nos remplacements. Quant à Bertrand Ignace Koumda, qui a été blessé, il est encore souffrant. Il ne peut pas encore s’engager physiquement sur un terrain de football.
Vous avez émis des réserves…
Nous avons saisi la Confédération africaine de football par le canal du secrétaire général de la Fécafoot que j’ai appelé étant au stade. Il m’appelait après trente minutes pour savoir comment ça évoluait. Je lui tire un coup de chapeau pour sa sincère collaboration. Nous avons adressé une lettre à la Caf et nous attendons.
Avant votre départ pour Abidjan, Racing traversait déjà une tension de trésorerie. Peut-on dire que la situation des caisses s’est améliorée ?
Je suis surpris que les problèmes de Racing soient toujours à la une. Tous les clubs de D1, à l’exception de trois ou quatre, connaissent des problèmes de trésorerie. Je ne vois pas pourquoi on en parle un peu trop quand les joueurs réclament un certain nombre de choses. Les problèmes ne manquent pas. Ils ne trouveront des solutions que si l’Etat camerounais fait des efforts pour subventionner le football.
Michel Ferdinand