« Nous avons dégringolé de très loin au niveau du classement Fifa… Nous ne gagnons plus une seule rencontre sur le plan continental. Nous ne gagnons rien en équipe nationale ; nous sommes mal organisés ; il y a des querelles entre ministère et fédération ; il y a des tiraillements entre les présidents eux-mêmes ; il y a de petites magouilles de gauche à droite, pour tel ou autre match,…C’est n’importe quoi. Moi, je pense qu’il est temps, qu’à tous les niveaux, les gens se ressaisissent pour que ce football retrouve ses lettres de noblesse. »
L’annonce de la destitution de l’Allemand Winfried Schäfer du banc de touche de notre équipe nationale a, visiblement, rejoint les sensibilités de la majorité des camerounais. « Le ministre Etamè Massoma a vu juste », pense l’entraîneur Janvier Djonkam, qui semble désapprouver le remplacement, alors que les Lions sont menés, de Job par un défenseur, notamment Ateba Bilayi qu’il a moulé au centre de formation des Brasseries.
Mais, l’actuel entraîneur de Racing de Bafoussam, Jules Frédéric Nyonga, pense qu’il faut aller au delà de ce limogeage de sélectionneur, pour voir le problème de notre football, le diagnostiquer en profondeur et en tirer la bonne substance. Bien assis dans son salon à l’hôtel Ino où il a pris ses quartiers à Bafoussam, l’ex entraîneur des Lions indomptables s’est ouvert à Camfoot. Lisez plutôt…
Camfoot.com: Comment avez-vous perçu ce match Allemagne – Cameroun ? Quels enseignements pouvez-vous en tirer ?
Jules Frédéric Nyonga: C’était un match assez déséquilibré, dans la deuxième partie. Même si, en première partie, nous avons fait l’effort de contenir l’adversaire et même à certains moments, de porter l’estocade. Mais, la deuxième partie a montré nos limites. Tout de suite, on a vu une équipe décousue, pas très en place. Et vous avez vu, cela nous a coûté ce que cela nous a coûté : trois buts encaissés, pratiquement coup sur coup. Moi, je pense que c’est un match qu’il faut très rapidement oublier pour le public camerounais. Espérant que les lendemains seront meilleurs.
Camfoot.com: Est-ce que, à votre avis, le limogeage de l’entraîneur est une solution adéquate à cette déstabilisation de notre équipe nationale ?
Jules Frédéric Nyonga: Beuh… Je n’ai pas de jugement à apporter sur la décision d’un membre du gouvernement. Parce qu’il a certains éléments qui lui permettent de juger et de prendre cette décision-là. Mais, ce que je peux dire, c’est quand même par rapport à l’équipe. Elle traverse un malaise qui n’a pas commencé avec le match de mercredi, même si l’apothéose c’était mercredi avec ce que nous avons vu – des tiraillements entre les joueurs sur le stade, des engueulades et tout. C’est une situation qui perdure depuis très longtemps. Déjà, avec le départ d’Etamè Mayer, Wome Nlend également, ensuite il y a l’affaire Mboma, et avant ce match, Mbami qui claque la porte. Donc, il y a un malaise qui est très très profond dans les Lions Indomptables, qu’il faut chercher à connaître. Il faut savoir à quoi est dû ce malaise, trouver les solutions qu’il faut, pour pouvoir résorber la chose. Et puis, commencer à réfléchir sur d’autres moyens…
« Il y a un malaise très très profond dans les Lions Indomptables, qu’il faut chercher à connaître… »
Camfoot.com: L’entraîneur est-il à la base de tout ceci ?
Jules Frédéric Nyonga: Difficile à dire pour moi, qui suis si loin de la capitale, si loin de l’équipe nationale aujourd’hui. Je suis à Bafoussam, je ne peux vraiment pas dire d’où viennent toutes ces choses. Mais, tout le monde est d’accord pour dire qu’il y a un gros malaise, et qu’il faut absolument et rapidement mettre un terme à cela. Si du côté de la hiérarchie, on estime que le limogeage de l’entraîneur est une solution aux problèmes, c’est peut-être je dirais, une partie de la solution. Et aujourd’hui, il faut aller au-delà de ceci pour dire que, quand il y a un si gros malaise au sein d’une équipe, il ne suffit pas toujours d’avoir un entraîneur de grande classe pour que les choses s’estompent. Moi, je pense que le malaise est lié à pas mal de choses. C’est peut-être dans les relations avec leur (ex, ndlr) entraîneur ; c’est peut-être aussi dans les relations des joueurs avec la fédération ; avec le ministère… Je pense qu’à un moment donné, il y a eu trop de cafouillage. On ne savait qui faisait quoi, qui est responsable de l’équipe nationale, qui dit quoi, qui convoque les joueurs. C’est autant de questions autour desquelles on doit mener une réflexion très profonde pour savoir où est la vérité, et où est la solution véritable.
Camfoot.com: Coach Nyonga, est-ce techniquement explicable que des joueurs, pris individuellement brillent en club, et en équipe nationale deviennent pratiquement transparents ?
Jules Frédéric Nyonga: Oui, c’est techniquement explicable. Vous dites bien qu’ils sont dans leur club, c’est-à-dire dans leur équipe. Il y a cette notion d’équipe, ça veut dire ce sont des mecs qui jouent ensemble, qui sont tout le temps ensemble, qui sont de fins complices. Tout notre contraire. L’équipe du Cameroun, je l’ai déjà dit, est beaucoup plus une sélection nationale qu’une équipe nationale. Aujourd’hui, on fait jouer tel groupe, le lendemain pour le match prochain, c’est tel autre groupe qui joue. Donc, les gens se rencontrent sur le stade. Il n’y a pas véritablement cette complicité entre les uns et les autres.
Vous savez, les équipes du Cameroun ont souvent été bâties avec quelques difficultés au départ, mais très rapidement, l’ossature s’est mise en place et, ce sont les mêmes qui jouent très souvent, à l’exception d’un ou de deux remplacements. Et ça fait quelque chose de souder, une sorte de complicité entre les différents joueurs de cette équipe-là. Ce qui n’est pas le cas à ce jour. Le match d’hier, par exemple, combien de nouveaux comptez-vous ? Il y en avait un bon nombre ! Il y avait un bon nombre de nouveaux joueurs arrivés dans cette équipe, qui n’ont jamais pratiquement joué avec Eto’o, ou avec les autres. Donc, c’est normal que le rendement des joueurs soit réduit, par rapport à ce qu’il produise dans leur équipe, qui est soudée, quelque chose qui a une âme ! Ce que, aujourd’hui, nous n’avons pas dans notre équipe des Lions indomptables. Je ne sais pas si c’est la faute de l’entraîneur, mais il faut dire que, ce n’est pas toujours facile de bâtir une équipe. Il faut la bâtir certes, et avoir la chance que ça tienne.
« Quand je vois parfois ce qui se passe dans les rencontres et ceux qui jouent dans cette équipe nationale-là, je me dis que, peut-être localement aussi, il y a des valeurs qui peuvent tenir certains postes. »
Camfoot.com: Maintenant que la situation est ce qu’elle est, est-ce que vous savez des suggestions à apporter pour le choix du nouvel entraîneur, ou tout au moins, du nouvel encadrement technique des Lions indomptables ?
Jules Frédéric Nyonga: Non non. Je n’ai pas de suggestions à faire. Je pense que, c’est l’affaire du ministre, c’est l’affaire de la fédération. Ils ont des gros moyens qui leur permettent de prospecter, de voir qui peut tenir cette équipe nationale là, quel staff il faut mettre en place. Moi, ce que je peux proposer quand même, c’est qu’il faudrait que l’on ouvre un peu cette équipe nationale. Qu’il y ait une sorte ouverture en direction des joueurs amateurs qui jouent au Cameroun. Je pense qu’il serait bien aujourd’hui, que nous ayons quand même une équipe nationale qui réside au Cameroun d’un côté, de l’autre côté, nous ayons des professionnels jouant en Europe. Et que, le moment venu, on donne à chacun sa chance. Vraiment, quand je vois parfois ce qui se passe dans ces rencontres-là, qui joue dans cette équipe nationale-là, je me dis que, peut-être localement aussi, il y a des valeurs qui peuvent tenir certains postes.
A l’époque des grandes gloires de l’équipe nationale du Cameroun, il n’y avait pas que de professionnels. Quand on a joué la coupe du monde 90 en Italie, les Kundé, Tataw, Ndip et autre, étaient des amateurs ! Ils ont joué cette compétition à haut niveau. On a battu l’Argentine et les autres équipes que vous connaissez ! Je crois que l’équipe nationale est une question de performance des joueurs ; c’est l’aptitude que le joueur a, qui lui permet d’être sélectionné pour l’équipe nationale. Ce n’est pas l’épithète de professionnel qui joue, mais c’est la performance qu’il faut regarder, et voir que, il y en a qui, aujourd’hui parmi ces amateurs, sont capables d’apporter quelque chose. Donc, moi, je pense que l’encadrement doit commencer à la maison, ici, par préparer les joueurs, former un noyau… Je crois que cet exemple de 90 est patent, c’est assez significatif.
Camfoot.com: Est-ce qu’on peut en conclure qu’avec cette situation très critique, c’est tout le football camerounais qui est contaminé ?
Jules Frédéric Nyonga: En réalité, je crois qu’il faut repenser tout ça, depuis la base. Nous nous arrêtons au niveau de l’équipe nationale parce qu’il y a échec. Il faut regarder à l’intérieur, donc le championnat national. Aucun club camerounais, depuis de longues années, n’a pu gagner une compétition sur le plan continental. Actuellement, nous sommes en train de jouer un championnat ( D1), et ça fait 11 mois déjà, il n’est toujours pas fini. C’est beaucoup trop long ! Il y a des arrêts, on ne sait trop pourquoi. On joue un match, on reprend après deux semaines, après un mois…Ça pèse tout ça ! On perd l’envie de jouer ; on ne sait plus comment préparer les équipes. Parce que, vous préparez un match pour dimanche, on vous dit « Non, c’est mercredi », ou inversement, sans se soucier de quoi que ce soit. Ça bouleverse tout. Moi, je pense qu’il faut repenser tout ça, profondément. Au niveau de la fédération, dans les calendriers, l’organisation des rencontres, le soutien aux équipes engagées dans les compétitions africaines. Tout ça, c’est important.
Nous avons dégringolé de très loin au niveau du classement Fifa, je ne sais même plus trop où nous nous retrouvons. Et c’est à cause de tout ça. Nous ne gagnons plus une seule rencontre sur le plan continental. Nous ne gagnons rien en équipe nationale ; nous sommes mal organisés ; il y a des querelles entre ministère et fédération ; il y a des tiraillements entre les présidents eux-mêmes ; il y a de petites magouilles de gauche à droite, pour tel ou autre match,…C’est n’importe quoi. Moi, je pense qu’il est temps, qu’à tous les niveaux, les gens se ressaisissent pour que ce football retrouve ses lettres de noblesse.
Entretien mené par Kisito NGALAMOU, à Bafoussam, ngalamou@camfoot.com