Depuis qu’il a raccroché les gants, Joseph-antoine Bell, le célèbre gardien de but camerounais, continue de s’intéresser de très près au football du continent et a notamment suivi les cinq dernières éditions de la Coupe d’Afrique des nations – la dernière en tant que consultant pour Radio France Internationale. Il dresse ici, sans excès de passion ni complaisance, le bilan technique de « Tunisie 2004 ».
J.A.I: À l’issue de la finale Cameroun-Sénégal de Mali 2002, vous fustigiez l’émergence d’un « football de gladiateurs » pratiqué par des « monstres physiques ». Votre diagnostic est-il le même après Tunisie 2004 ?
Joseph-Antoine Bell: Non, les deux finalistes de cette 24e CAN ont démontré des qualités collectives au-dessus de la moyenne africaine. Ils n’ont pas recouru à des costauds de 1,90 m, ils ont produit un jeu élaboré, fondé sur l’habileté technique, et ont cherché à construire, notamment en première mi-temps. Évidemment, la finale a dérapé en seconde période. À cause de l’enjeu. Les uns se sont lancés à l’abordage, les autres ont fait de la résistance…
« Les Camerounais, par exemple, ont renoncé à cultiver leur spécificité… »
J.A.I: Qu’est-ce qui a changé depuis quatre ans ?
J.A.B: D’abord les finalistes. Tunisiens et Marocains disposent de joueurs formés au pays, qui expriment leurs qualités propres. Au sein de l’équipe tunisienne, sept titulaires, au moins, ont fait leurs classes en Tunisie. C’est un pays qui cultive son propre football et exporte peu.
Camerounais et Sénégalais, ont, en revanche, aligné vingt et un professionnels expatriés, c’est-à-dire des joueurs formés pour satisfaire les besoins des clubs européens. Or ceux-ci ne sont pas à la recherche de créateurs – D’abord les finalistes. Tunisiens et Marocains disposent de joueurs formés au pays, qui expriment leurs qualités propres. Au sein de l’équipe tunisienne, sept titulaires, au moins, ont fait leurs classes en Tunisie. C’est un pays qui cultive son propre football et exporte peu.
Camerounais et Sénégalais, ont, en revanche, aligné vingt et un professionnels expatriés, c’est-à-dire des joueurs formés pour satisfaire les besoins des clubs européens. Or ceux-ci ne sont pas à la recherche de créateurs – ils n’en manquent pas -, mais de « briseurs de jeu ». Les Camerounais, par exemple, ont renoncé à cultiver leur spécificité et ont fait appel à des « pièces rapportées » pour reconstruire leur équipe nationale. Logiquement, ils n’ont récupéré que des… récupérateurs.
J.A.I: La Tunisie et le Maroc doivent quand même beaucoup à leurs footballeurs émigrés !
J.A.B: Les pays maghrébins ont longtemps considéré leurs émigrés avec un peu de mépris. Et puis, Zidane est arrivé. Sous le maillot de l’équipe de France, il a racheté ses frères émigrés nord-africains. Au stade de Radès, les Boumnijel, Chedly, Nafti, Ben Achour, Zaïri, Hadji, Mokhtari et autres Chamakh ont fait aussi bien que leur prestigieux aîné. Peut-être qu’au Maghreb on regardera désormais les émigrés autrement. Ils méritent respect et reconnaissance.
J.A.I: La CAN 2004 a été marquée par la résurrection d’un jeu bien construit, élaboré. L’état des pelouses dans les stades tunisiens y a sans doute contribué…
J.A.B: Je n’ai pas cessé de le répéter au micro de RFI : la qualité des pelouses a considérablement facilité la pratique d’un bon football. Il y a eu très peu de déchets techniques. Au Mali, on avait planté ou replanté du gazon, mais, en raison de la sécheresse du climat et des carences de l’entretien, les terrains de jeu n’étaient pas à la hauteur.
J.A.I: La qualité des pelouses a donc permis aux équipes portées vers le jeu construit de l’emporter sur celles qui privilégient le combat physique ?
J.A.B: Oui. Au Mali, les formations désireuses de faire circuler le ballon s’étaient heurtées à un adversaire supplémentaire : le terrain. Difficile, dans ces conditions, de tromper la vigilance d’équipes barricadées devant leurs buts ! En Tunisie, les deux finalistes, mais aussi le Nigeria, ont pratiqué un jeu bien construit. Beaucoup de buts ont été marqués parce que les passeurs réussissaient tout ce qu’ils entreprenaient et que le ballon frappé partait bien.
J.A.I: En 32 matchs, 88 buts ont été inscrits lors de la CAN 2004. Est-ce en raison de la qualité des attaquants ou des carences des défenseurs, et notamment des gardiens de but ?
J.A.B: Il est vrai que les gardiens n’ont pas été à leur avantage. Je croyais que les goals africains avaient progressé, mais j’ai dû déchanter. Je n’en ai pas vu de très bons. À leur décharge, la majorité d’entre eux jouent dans des clubs africains et participent à des compétitions d’un niveau peu élevé. Difficile d’être performant dans ces conditions.
On comptait sur les expatriés, mais ils sont tous remplaçants dans leur club. Le Sénégalais Tony Silva avait été bon en 2002, mais ensuite, il n’a pratiquement pas joué pendant deux saisons ! Idem pour le Camerounais Carlos Kameni, qui a l’étoffe d’un grand, mais reste cloué sur le banc des réservistes, au Havre. Rarement titulaire à Bastia, le Tunisien Ali Boumnijel est parti à Rouen (division II), où il ne l’est pas à temps plein. On dit qu’un gardien se bonifie avec l’âge, mais à condition de jouer régulièrement, d’accumuler les matchs !
J.A.I: Le Nigérian Jay-Jay Okocha a été élu, à plus de 32 ans, meilleur joueur du tournoi. Cette consécration – méritée – d’une star en fin de carrière ne donne-t-elle pas indirectement raison à Michel Platini, qui déplorait récemment l’absence de grands joueurs dans le football africain d’aujourd’hui ?
J.A.B: Sans aucun doute, mais c’est en partie la faute des clubs européens, qui ont une conception stéréotypée du joueur africain. Ils veulent des grands costauds, bons dans les duels physiques, au milieu de terrain. Et des athlètes rapides, devant. C’est-à-dire des éléments d’appoint, sans plus. Tant que cette situation perdurera, nous n’aurons pas de créateurs, pas de leaders d’attaque.
Okocha a été distingué, on est content pour lui. Nwankwo Kanu aurait pu l’être aussi. C’est dire que la relève est loin d’être assurée.
« …On regrettera qu’à 23 ans le Camerounais Samuel Eto’o continue de n’être qu’un espoir… »
J.A.I: Il y a quand même eu quelques révélations…
J.A.B: Le Marocain Jaouad Zaïri a enchanté les connaisseurs, jusqu’à ce qu’il se blesse. Son compatriote Youssef Hadji et le Nigérian Peter Ozase Odemwingie ont également été très bons. Ce sont des lueurs d’espoir. Mais on regrettera qu’à 23 ans le Camerounais Samuel Eto’o continue de n’être qu’un espoir. Il ne décolle pas, c’est fort inquiétant.
J.A.I: Inquiétant aussi, l’échec inattendu des Lions indomptables ?
J.A.B: L’équipe du Cameroun n’est pas gérée de manière professionnelle. Elle a certes disputé, l’été dernier en France, la finale de la Coupe des confédérations, mais il s’agissait d’une compétition presque « amicale ». Il convient donc de relativiser sa performance. La vérité est que les Lions indomptables sont constamment victimes de problèmes de management. Et qu’ils n’ont aucune autorité morale à laquelle se référer.
J.A.I: Le Sénégalais El-Hadji Diouf a été le mouton noir de la CAN 2004. La CAF ne l’a pas loupé : quatre matchs de suspension pour « conduite violente » à l’issue du quart de finale Tunisie-Sénégal (1-0). Méritait-il un châtiment aussi sévère ?
J.A.B: L’institution a eu la main lourde. Elle a puni avec une sévérité inhabituelle un joueur qui n’a pas été exclu par l’arbitre et n’a fait l’objet d’aucun rapport officiel. Aurait-on voulu sanctionner un bouc émissaire qu’on n’aurait pas agi autrement. Le comportement de Diouf ayant avant tout pénalisé sa propre équipe, ce sont les autorités sportives sénégalaises qui auraient dû lui infliger une éventuelle sanction.
En outre, si le joueur a commis une faute grave comme sa suspension le laisse supposer, l’arbitre du match aurait dû être sanctionné lui aussi, puisqu’il n’a rien vu, rien signalé. Les officiels sénégalais qui ont envahi le terrain après le but tunisien ont été punis à juste titre, mais ils ne sont pas forcément sous le contrôle de l’arbitre. Les joueurs, en revanche, le sont pleinement, même en cas d’envahissement du terrain.
La vérité est que la sanction de Diouf est trop lourde et qu’elle pose un problème de droit. Car sa suspension ne concerne pas uniquement les quatre prochains matchs éliminatoires de la CAN 2006, mais aussi les quatre prochaines rencontres de la Coupe du monde, soit huit matchs au total, ce qui n’est prévu par aucun règlement. Le joueur a été sanctionné lors d’une compétition organisée par la CAF et on comprend mal que sa suspension soit étendue à une épreuve qui est du ressort de la Fifa.
J.A.I: Lors de son assemblée générale, il y a trois semaines, la CAF a officiellement reconnu l’Union des footballeurs africains (UAF). Or le président de ce « syndicat », l’Algérien Mourad Mezzar, vient d’être déclaré persona non grata par cette même CAF. Est-ce bien cohérent ?
J.A.B: L’UAF était une farce. En bannissant Mezzar, la CAF ne fait que réparer l’erreur qu’elle a commise en lui accordant sa reconnaissance officielle. Car l’UAF ne représentait guère que son… président. Elle prétendait être un syndicat, mais un syndicat se construit sur la base de revendications, pas au cours d’une soirée de gala. La CAF et la Fifa n’ont pas été assez vigilantes.
La démocratie, c’est de créer un syndicat qui soit à la fois un contre-pouvoir et un partenaire à part entière. Il me semble malheureusement qu’on a cherché à obtenir l’allégeance d’une organisation factice fondée par un monsieur qui n’a jamais vu de ballon de football que dans la vitrine d’un magasin ! Mezzar a agi par pure ambition personnelle. Son ego surdimensionné l’a perdu. Il s’est laissé aller à des déclarations qu’aucun footballeur africain ne saurait cautionner. Son exclusion est une première étape. Il faut à présent remettre en question l’UAF, puis définir ses objectifs et son rôle.
Propos recueillis, à Tunis, par Faouzi Mahjoub