« Contrairement à ce que les gens pensent, les joueurs n’ont pas tourné le dos à l’équipe nationale à cause de quelques incompréhensions entre certains. Les joueurs sont partis à cause d’une gestion chaotique de ces incompréhensions justement. C’est la gestion de l’équipe nationale qui peut dégoûter un joueur et difficilement ses relations conflictuelles avec un partenaire. Je pense que les joueurs sont convaincus qu’ils se valent du moins au niveau de l’équipe nationale en ce qui concerne la discipline, leurs avantages, leurs devoirs etc… »
Comment appréciez-vous les récents changements au sein de l’encadrement technique des Lions indomptables ?
C’est une bonne chose. Cela nous enlève une épine du pied. Le temps qu’on a mis entre le licenciement de Schäfer et la nouvelle nomination prouve bien qu’il y a eu quelque chose d’anormal qui s’est passé. On avait au préalable agi sous le coup de la précipitation et cela a contribué à nous ôter le peu de sérénité qui aurait pu nous rester. Mon avis est qu’on a viré Schäfer sans avoir la solution de rechange et ce n’est pas normal. Heureusement que le ministre est venu mettre un terme à nos tourments et c’est une bonne chose.
Je pense sincèrement que dans les noms qui ont circulé, le ministre a choisi celui qui présente les meilleures garanties. Je le dis d’autant plus que le ministre a dû parer au plus urgent. Ce n’est pas lui qui a viré Schäfer, mais compte tenu des échéances qui approchent, il devait lui trouver un remplaçant. Dans ces conditions, il n’avait pas le temps d’une plus large prospection. Toujours est-il que le technicien qui a été nommé offre des gages d’indépendance et de sérieux. En outre, il a un palmarès qui parle pour lui. Et je sais que les gens y attachent une grande importance. Mais pour être cohérent, il faut relever que chacun a ses forces et ses faiblesses. Arthur Jorge n’y échappe pas. Notre souhait est tout simplement qu’il réussisse au Cameroun comme il a pu le faire ailleurs. Je l’ai connu quand il était au Matra Racing de Paris à l’époque où moi j’étais à Marseille. Je ne le connais pas de près, mais je l’ai suivi de loin. Et en tant que Camerounais, puisque l’heure est grave, je pense qu’on doit le soutenir. Même aveuglement. Au demeurant, tous les Camerounais doivent apporter leur soutien aux Lions indomptables qui en ont bien besoin en ce moment.
Ces nominations seules peuvent-elles suffire à remettre les Lions indomptables à flots ?
En toute honnêteté, je pense qu’il y a deux analyses à faire, celle de l’équipe nationale et celle du football camerounais. Il y a une confusion qui plane et qui laisse croire que les maux du football camerounais vont être soignés par la nomination d’un nouvel entraîneur. C’est loin d’être le cas. Nous avions nos problèmes avant. Et si je redeviens un tant soit peu consultant, je dirais qu’il y a eu trop d’incohérences dans notre gestion de certains dossiers. Prenons le cas de Schäfer, on l’a viré au moment où il nous avait déjà causé tout le mal du monde. Il aurait dû être limogé dès l’instant où il a commencé à nous faire perdre des points. Mais on l’a plutôt viré au lendemain d’un match amical sans conséquence pour nous. On a fait comme si la qualification nous était due de droit divin. Il faut un vrai projet dans la gestion de notre football.
Mais, pour l’instant, le ministre a fait tout ce qui était en son pouvoir pour parer au plus pressé. Tout ce qui s’est passé est antérieur à son arrivée. Mieux en élargissant l’entourage de l’équipe nationale à deux sportifs reconnus. Maintenant, c’est à eux de s’investir à fond pour que nous obtenions des résultats. A l’intention de tous, je dirais simplement que les performances sont individuelles. Aussi, les joueurs doivent-ils garder en esprit que leurs piètres performances leurs seront imputées directement. On ne va pas généraliser la mauvaise prestation d’untel, à l’ensemble des joueurs camerounais. Et cela est valable pour les entraîneurs. Chacun doit prendre ses responsabilités.
Quelle lecture faites vous des défections de certains internationaux ?
Contrairement à ce que les gens pensent, les joueurs n’ont pas tourné le dos à l’équipe nationale à cause de quelques incompréhensions entre certains. Les joueurs sont partis à cause d’une gestion chaotique de ces incompréhensions justement. C’est la gestion de l’équipe nationale qui peut dégoûter un joueur et difficilement ses relations conflictuelles avec un partenaire. Je pense que les joueurs sont convaincus qu’ils se valent du moins au niveau de l’équipe nationale en ce qui concerne la discipline, leurs avantages, leurs devoirs etc. Dès lors qu’ils se sentent victimes d’injustice, ils sont fondés de se retirer. Les joueurs peuvent aussi être dégoûtés par l’incompétence de leur entourage eu égard à ce qu’ils connaissent dans leur club. Pour autant, je pense que les joueurs ne dénoncent pas assez l’incurie de l’organisation de l’équipe nationale contrairement à ce que moi j’ai pu faire en mon temps. Ils partent sans la dénoncer. En psychologie, si vous ne parlez pas, vous ne vous soignez pas. Du reste, en s’attaquant à moi hier et parfois encore aujourd’hui, on a réussi à faire des joueurs, des garçons dociles et muets qui souffrent en silence. Finalement ce n’est que la souffrance extrême qui les a fait sortir de leur réserve.
L’opinion publique impute par ailleurs les mauvais résultats des Lions indomptables à la vieillesse de ses éléments. Partagez-vous cette manière de voir les choses ?
Pas du tout. Ce discours est injuste pour les joueurs. Quand on prend la coupe du monde 2002. Elle a lieu au lendemain de la CAN 2002 que nous avons remportée haut la main et tous les Camerounais ont applaudi. Et d’une compétition à l’autre nous avons joué avec les mêmes éléments. Il a suffi que les choses ne marchent pas au mondial pour qu’on incrimine la vieillesse des joueurs. C’est stupéfiant. En trois mois, ils étaient devenus des loques ? Ce n’est pas sérieux. On fait aux joueurs des procès incroyables. Et puis dans quel pays on parle de l’âge des joueurs. Celui où Roger Milla a joué à 42 ans ? Moi je ne connais que deux sortes de joueurs. Ceux qui peuvent et ceux qui ne peuvent plus. On peut être bon à 35 ans et mauvais à 23. Tout est question de performance et de compétence.
Alors comment percevez-vous l’avenir des Lions indomptables, radieux ou cataclysmique ?
Le discours du supporteur m’amène à dire qu’il faut se mobiliser derrière les Lions. Tout espoir n’est pas perdu. Mais ce qui pourrait être cataclysmique c’est qu’on ne se qualifie pas pour la coupe du monde. On y va tellement régulièrement qu’on a fini par croire que c’est un droit divin. Ce serait dramatique de ne pas y être. Aussi suis-je tout disposé à applaudir des deux mains tous ceux qui peuvent contribuer à nous qualifier pour la coupe du monde. Toutefois, comme je ne suis pas dénué de toute lucidité, je suis bien obligé de reconnaître que ce sera une tâche ardue d’y parvenir.
Simon Pierre ETOUNDI