Le directeur sportive de l’Olympique de Marseille qui séjourne au Cameroun a bien voulu décliner l’objet de sa visite au pays des Lions indomptables. En plus d’évoquer le cas Charley Fomen qu’il est venu chercher il y a près de trois ans, le marseillais connu pour son franc parlé se prononce aussi sur les évènements de Marrakech qui ont conduit à l’annulation du match Algérie-Cameroun.
Camfoot.com: Merci de répondre à nos questions. Avant toute chose nous vous félicitons pour la qualification de Marseille pour les 8emes de finale de la champions league européenne…
José Anigo : C’est une belle performance, c’est surtout très bien pour le club parce que ça nous laisse encore plus de temps pour préparer l’avenir, parce que quand on est en champions league et quand on est dans les places finales c’est toujours bien en terme d’image pour le club.
Camfoot.com: Le but de la qualification de l’OM a été inscrit par un joueur que vous êtes allé chercher dans un tout petit club et qui aujourd’hui est international. Est-ce une satisfaction personnelle ?
José Anigo : Vous voulez parler de Mathieu Valbuena. Effectivement c’est une satisfaction particulière pour moi, elle est personnelle aussi. C’est un joueur que j’ai découvert dans un tout petit club de National à l’époque et qui est passé après en ligue 2. C’est un garçon qui a un talent fou, ça fait six ans qu’il est à Marseille, il a toujours porté les couleurs de cette équipe avec beaucoup de fierté. Ces derniers temps ce n’était pas tellement facile pour lui, au niveau de l’équipe nationale il n’avait pas été sélectionné, au niveau du club il n’était plus tout à fait titulaire. Il a montré là sur ce match que quand on est en colère, voilà comment on réagit. Une manière intelligente de réagir.
«Nicolas est en train de montrer que le talent existe ici au Cameroun.»
Camfoot.com: Qu’est-ce que ça vous a fait de regarder ce match à distance depuis le Cameroun, quand on sait que vous êtes toujours dans les stades avec cette équipe de l’OM ?
José Anigo : Ça m’a fait plaisir de le regarder avec des amis, de partager autour d’un verre, pour ne rien vous cacher on est moins stressé que quand on est au stade. Quand on est au stade, on vit les évènements différemment, je l’ai vécu avec une mi-temps assez stressé et une deuxième mi-temps où on sentait que çà allait venir, que ça allait passer. C’était agréable de le voir de manière différente.
Camfoot.com: Qu’est ce qui justifie votre présence au Cameroun ?
José Anigo : Vous avez vu que nous avons deux camerounais dans l’équipe, dont un qui vient d’arriver qui est Nicolas Nkoulou. Nicolas est en train de crever l’écran à Marseille et sur le plan européen, il est en train de montrer que le talent existe ici au Cameroun. Il y a beaucoup de joueurs Camerounais qui évoluent à Valencienne, à Monaco, à Montpellier. On est à la recherche de nouveaux talents, je suis venu essayer d’en découvrir, un ou deux à l’invitation de Maxime Nana (agent de joueur Fifa).
Camfoot.com: Depuis deux jours vous êtes sur le terrain. Avec déjà de l’intérêt pour quelques jeunes talents ?
José Anigo : Il y en a quelques uns, un ou deux de manière certaine, mais ce sont de jeunes joueurs et c’est très compliqué de les sortir avant leur majorité. C’est toute la subtilité qu’il faut avoir, de pas les perdre, tout en les laissant dans un contexte qui les permet de travailler et aussi de connaitre un club professionnel comme le nôtre. Nous sommes en train de réfléchir pour trouver la formule, savoir si on ne peut pas les immerger quelques mois en France, revenir ici tout en gardant leur scolarité, tout en ne perdant pas le fil important de la vie, parce qu’il y a le foot, mais il y a aussi tout ce qui est important à côté pour le joueur.
Camfoot.com: Quand vous détectez les joueurs, quel est le critère sur le quel vous vous basez, quel est le critère qui prime ?
José Anigo : Chacun a sa manière de voir les choses. Ma manière à moi c’est de voir, c’est comme quand vous voulez aller avec une femme, soit elle vous plait tout de suite, soit elle ne vous plait jamais. Donc c’est le coup de Foudre tout de suite, au bout d’une minute je tombe sur le charme d’un joueur, et c’est après avec l’expérience que j’arrive à voir, s’il me plait. S’il y a quelque chose qui m’intéresse, dès que je l’ai repéré, je me focalise un peu sur lui, je le décortique complètement sachant quels sont ses points forts, quels sont surtout ses faiblesses, et je l’imagine déjà au sein des mêmes gamins de son âge chez nous, je transpose tout. Mais il faut qu’il ait une dominante forte, vitesse, puissance, jeu de tête.
Camfoot.com: Lors de votre dernier séjour au Cameroun vous êtes reparti avec Charley Fomen, mais il n’a pas réussi à Marseille. Est-ce à dire que vous vous êtes trompé ?
José Anigo : Je vous garanti que je ne me suis pas trompé sur le joueur, je peux me tromper quelques fois sur l’homme. Sur Charley Fomen le problème c’est que le garçon est un bon garçon, mais qui est immature. Il s’est trouvé dans un monde professionnel avec des habitudes qui sont restés très amateurs et un comportement d’enfant en ayant un salaire de professionnel et une carrière qui devait se profiler. Sur le joueur je continue à penser que je ne me suis pas trompé, il a fait une année à Dijon et il est monté en ligue 1. Là il est à Clermont et il va certainement monter avec cette équipe, ce n’est pas le fait du hasard. Je sais qu’il a une côte qui est plutôt grimpante en France, je pense que même à l’étranger il est observé par des clubs. On n’a pas tout perdu parce qu’on a quand même 50 % du joueur, le garçon appartient à 50 % à l’Olympique de Marseille et à 50% à Clermont. S’il arrive à acquérir une certaine maturité il fera une belle carrière sinon ça sera compliqué pour lui.
«Sur Charley Fomen le problème c’est que le garçon est un bon garçon, mais qui est immature…»
Camfoot.com: Le model que vous avez pris pour justifier votre présence ici c’est Nicolas Nkoulou. Est-ce à dire que c’est des joueurs à vocation défensive que vous cherchez, parce que ceux qui sont à Marseille actuellement sont des défenseurs ?
José Anigo : Ce que je cherche c’est du talent, le talent il peut être derrière, au milieu où devant. Aujourd’hui j’ai vu des joueurs partout, on n’a pas une cible précise. On connaissait Nicolas et on n’a pas pu le signer quand il était à Monaco, on était à la bagarre avec L’olympique Lyonnais, rien n’était joué. Je remercie Maxime Nana l’agent du joueur, parce que nous travaillons avec les gens sur le court terme et sur le long terme. Nicolas pour faire la comparaison avec Charley Fomen, est à l’opposé de Charley. C’est quelqu’un de mature, c’est quelqu’un de très intelligent, il fait l’unanimité dans le club, de l’intendant jusqu’au président. Lorsque vous avez ce genre de comportement vous allez faire une grande carrière.
Camfoot.com: Peut-on penser que d’ici quelques années on peut avoir 5 à 6 camerounais dans l’effectif de Marseille ?
José Anigo : Pourquoi pas, tout dépendra de la qualité du joueur, on n’est pas là pour empiler les joueurs, mais pour faire de la qualité. Quand je vois la sélection camerounaise aujourd’hui qui se rajeunie, qui est en train de trouver les joueurs de talents, je me dis que l’avenir pour vous c’est ces jeunes, et que ça peut être l’avenir pour l’OM aussi. Quand je vois Aboubakar, Sali, Moukandjo et y en a d’autres qui vont arriver certainement, pour vous c’est enrichissant. C’est là-dedans qu’il faut plonger, parce qu’à un moment donné, il y a des cycles dans une équipe nationale comme dans une équipe de club. Il y a des cycles de carrière, il y en a pour qui ça s’arrête, il y en a pour qui ça démarre. Il faut arriver à un moment donné de ne pas se tromper, à laisser pousser les uns pour ne pas les empêcher d’éclore.
Camfoot.com: Le Cameroun n’est pas qualifié pour la Can. À Marseille c’est certainement une bonne nouvelle puisque Nkoulou et Mbia seront utilisés en Janvier ?
José Anigo : Bien sur que ça nous fait du bien, mais pour les gens qui aiment le foot comme moi c’est désastreux de ne pas avoir le Cameroun à la Can, c’est désastreux parce que c’est une nation forte du football africain. Qu’elle ne soit pas à la Can c’est une erreur fondamentale, ça ne doit pas vous arriver tout le temps. Que le camerounais n’aille pas à la Can il faut remonter très loin, c’est comme si aujourd’hui vous disiez que la France ne va pas au championnat d’Europe, c’est la même chose, ce serait dramatique pour le football, pour les jeunes. Mais quand on arrive à un échec comme ça il fait tirer un constat. Le constat c’est peut-être d’arriver avec des jeunes derrière, qui vous donnent un nouvel élan, qui donnent une nouvelle vie à cette équipe nationale.
Camfoot.com: Vous avez discuté un moment avec Denis Lavagne, avez-vous parlé de l’équipe nationale du Cameroun ?
José Anigo : Je n’ai pas parlé de l’équipe du Cameroun parce que j’ai été entraineur, j’ai fait un bon parcours en coupe d’Europe, j’aurais jamais aimé qu’on vienne me dire fait si ou fait ça parce que on a chacun son métier. Si un jour il a besoin de moi pour un conseil ça sera avec plaisir. On a tous notre destin entre nos mains, il a le sien. Aujourd’hui pour aider cette équipe du Cameroun, nous avons détaché le préparateur physique de l’olympique de Marseille, Christophe Manouvrier ; c’est une grosse pointure, c’est quelqu’un qui est très talentueux qui a été champion de France avec Didier Deschamps, c’est une pièce enrichissante pour le football. Et si d’autres besoins se font sentir on le fera avec plaisir pour l’équipe du Cameroun.
Camfoot.com: Comment s’est établi le contact pour que Marseille décide de mettre son préparateur physique à la disposition des Lions indomptables ?
José Anigo : Par le biais des amis qui connaissent les gens de la Fecafoot qui connaissent Marseille, qui connaissent Denis Lavagne. Le besoin se faisait sentir, plutôt que d’aller chercher n’importe qui, il faut mieux aller taper où il y a la qualité. J’ai la prétention de dire que dans le staff marseillais il y a beaucoup de qualité, si besoin se fait sentir encore pour l’équipe du Cameroun ce sera avec plaisir qu’on essayera de donner un coup de main, parce que encore une fois votre place n’est pas en dehors de la Can mais à l’intérieur de la Can et même essayer de la gagner.
Camfoot.com: Vous qui connaissez bien Manouvrier, pour son premier contact avec les Lions, il y a eu les incidents de Marrakech. Pensez-vous qu’il va revenir, est ce qu’il n’a pas été émoussé par cette affaire ?
José Anigo : J’en ai parlé avec lui, il a découvert un peu le système d’une sélection qui a besoin de patron. Je pense, je ne suis pas quelqu’un qui fait la langue de bois, je dis ce que je pense, même si quelques fois ça gène un peu, mais pour moi que l’équipe nationale n’aille pas jouer en Algérie c’est complètement anormal. C’est complètement anormale parce que quand on joue pour ses couleurs, pour son pays, on n’a pas le droit de faire ce genre de chose, au même titre que les français n’avaient pas le droit par exemple de ne pas s’entrainer en Afrique du Sud de montrer de telle image, je pense la même chose pour ce qui s’est passé pour l’Algérie. Je pense qu’ils auraient dû se rendre et régler leur problème après en interne. On ne peut pas prendre en otage une équipe nationale, un peuple et tout un pays, ce n’est pas normal.
«J’ai ce sentiment que quand on joue pour une équipe nationale tous les problèmes devaient être occultés et mis à l’extérieur…»
Camfoot.com: Quand on sait que c’est des joueurs professionnels qui sont encadrés en sélection nationale par les amateurs, est ce qu’on ne peut pas leur trouver des circonstances atténuantes ?
José Anigo : Non, je ne peux pas leur en trouver, je vais vous dire pourquoi. Même s’ils sont dans un système d’amateurisme, eux ils sont les professionnels justement, ils connaissent toute l’importance d’une équipe nationale comme d’un club. Quand ils viennent jouer, on ne les force pas, il faut mieux décliner une sélection bien avant, ce qui permet aux autres d’être sélectionnés. Une fois que vous y êtes, vous n’avez pas le droit de ne pas aller jouer, une fois que vous êtes sélectionnés et que vous êtes à l’intérieur vous réglez vos problèmes après. Mais le moment où vous devez jouer vous jouez, parce que vous ne jouez pas pour l’entraineur, vous ne jouez pas pour vous, vous joué pour le pays. J’ai ce sentiment que quand on joue pour une équipe nationale tous les problèmes devaient être occultés et mis à l’extérieur, ça se règle après avec les gens de la fédération, mais pas de cette manière. Le Cameroun doit donner une bonne image de son football, comme la France se doit de le faire, là-dessus nous on n’a pas de leçons à donner nous les français parce que ç’a été très malsain ce qui s’est passé en Afrique du sud. Je peux vous dire, cela a fait mal à tout un pays, c’est pourquoi quand je le vois ailleurs, je sais ce que vous pouvez ressentir.
Camfoot.com: Avez-vous le sentiment que le travail que vous abattez à l’OM est reconnu à sa juste valeur ?
José Anigo : Non, parce que vous voyez ce matin je parlais avec un camerounais dans l’avion qui ne me connaissait pas et l’image que les gens peuvent avoir de moi elle est plus négative que positive. Je trouve ça injuste parce que quand on regarde le bilan. Vous voyez l’équipe qui compose aujourd’hui Marseille, je pourrais vous dire que Mandanda, Valbuena, Kaboré, Loïc Remy, qu’Amalfitano, c’est des joueurs que j’ai été chercher, c’est des joueurs qui ont couté très peu à l’Olympique de Marseille et qui aujourd’hui représente un actif financier important, et çà les gens ont tendance à oublier.
Camfoot.com: On dit pourtant que vous vous êtes planté sur le cas Gignac ?
José Anigo : Le cas Gignac, je n’ai jamais été décideur de faire venir Gignac à Marseille, l’entraineur a décidé de faire venir Gignac à Marseille. Si vous connaissez le caractère de Didier Deschamps, c’est impossible de lui faire prendre un joueur qu’il ne veut pas. Si le joueur est là, c’est parce qu’il l’a choisi. Mon rôle à moi c’est d’amener le joueur que l’entraineur a choisi, donc ce n’est pas du tout José Anigo qui a fait venir André Pierre Gignac. Il faut qu’une fois pour toute les gens sachent ça, et le comprennent.
«Je crois que quelques part je dois avoir une âme africaine qui est enfoui en moi…»
Camfoot.com: Comment se passe votre séjour au Cameroun, comment vous trouvez notre pays ?
José Anigo : Ecoutez, je suis un adepte de l’Afrique, j’aime beaucoup l’Afrique en général, je me sens bien. Je retrouve une sorte de sérénité qu’on a perdue en France. On est toujours en train de pleurer sur notre sort. Quand je viens en Afrique, la vie est difficile aussi, mais les gens gardent le sourire, ils sont accueillants, agréables. Là je suis venu seul, mais je viens souvent avec mes enfants. Pour ne rien vous cacher je vais passer certainement mes vacances en Afrique, vacances de noël, vacances jour de l’an, parce que c’est des endroits où on aime vivre en famille. Je crois que quelques part je dois avoir une âme africaine qui est enfoui en moi ; quand je viens ici où dans d’autres pays africains, je me sens comme un poisson dans l’eau.
Entretien mené par Guy Nsigué à Yaoundé