Chicago, 24 mai – À quelques jours de la coupe du monde, Camfoot.com a rencontré l’uns des acteurs de l’équipe mythique du Cameroun, ayant participé à la coupe du monde de 1982 en Espagne: Jean-Pierre Tokoto. Il s’exprime librement sur sa carrière, l’élection à la FIFA, et la participation du Cameroun au prochain mondial. Lisez plutôt.
Camfoot.com: Il y a bien longtemps que les camerounais vous ont perdu de vue, ou du moins n’ont plus eu de vos nouvelles. Comment expliquez-vous ce long silence.
Jean-Pierre Tokoto : Cela fait partie de mon caractère. J’ai été une personnalité publique dans le temps; mais ma vie est devenue très privée, très simple. Je n’ai jamais souhaité être devant les cameras. Faire savoir ou je suis et ce que je fais n’a jamais été important pour moi. L’important est ce que je fais dans la communauté où je vis. Oui les camerounais et les africains m’ont perdu de vue. Mais faut dire que je vis aussi aux USA et donc loin du monde; et par conséquent on ne peut avoir un suivi continu. Mais je suis toujours ouvert pour tous.
Camfoot.com: Que faites vous exactement.
Jean-Pierre Tokoto: Depuis ma retraite professionnelle, j’évolue toujours dans le monde du football. C’est ma passion. J’ai toujours voulu travailler avec les jeunes et ceci depuis mes années de joueurs. À mon arrivée ici, le football n’était pas très développé. Avec toutes mes références, j’ai commencé à travailler avec des clubs. Je me suis occupé de plusieurs clubs successifs comme entraîneur en chef.
Je travaille maintenant dans l’Illinois près de Chicago auprès des jeunes. Cette équipe est constituée de 18 à 20 clubs dépendamment des saisons.
Camfoot.com: Il est évident que les jeunes représentent la pépinière du football
Jean-Pierre Tokoto: Absolument c’est le futur du football. On n’entraîne pas seulement, on en fait des hommes de demain. On construit des caractères. Plusieurs entraîneurs ne sont friands que de victoire, ce qui n’est pas nécessairement la chose à faire. Il faut inculquer aux jeunes une culture, la culture du football et celle de la vie.
Camfoot.com: Vous mettez vos connaissances au service du développement du football aux USA. N’avez-vous jamais été tenté par le même challenge auprès des jeunes camerounais?
Jean-Pierre Tokoto: Mon souhait aurait été d’avoir des offres après que j’ai décidé d’arrêter ma carrière. Cependant, nous sommes venu très proches d’une entente avec les autorités de la FECAFOOT du temps, Mr Titus qui était alors le président et Issa Hayatou qui était son Secrétaire Général. Malheureusement l’offre finale et les circonstances étaient difficiles et aussi, les conditions familiales ne s’y prêtaient pas… j’ai dû regretter la décision que mon épouse et moi avions prise, puisque je suis allé au Brésil plusieurs années plus tard suivre la formation qui m’était alors offerte . Cette formation était assez importante pour moi parce que j’ai toujours aimé le style et le système de jeu brésilien du beau jeu et je voulais passer du temps avec de grands entraîneurs tels que Zagallo. Cette expérience me sert beaucoup en ce moment pour reformer et éduquer les jeunes américains.
Camfoot.com: Parlons plus spécialement de vous. Comment avez-vous débuté dans le football?
Jean-Pierre Tokoto: J’ai débuté comme tout le monde en jouant dans la rue. C’est notre sport no 1 comme partout dans le monde. Nous jouions des coupes inter quartiers, toujours dans les rues. Habitant Akwa à l’époque, j’ai été faire un essai avec le Caïman et mon idole Isaac Mbété y jouait déjà. Quand la sélection a été faite, ils m’ont dit que j’étais très jeune, que j’étais fragile et il fallait attendre 1 ou 2 ans pour faire partie de l’équipe. À la même époque l’Oryx est revenu du Ghana ou ils ont gagné la 1ere Coupe d’Afrique des Champions et je suis revenu vivre à Bonandjo. Alors que mes parents étaient rentrés de l’Europe, l’entraîneur de l’Oryx, Mr Kodona est venu me voir et m’a dit que je pouvais jouer immédiatement pour lui. Je venais d’être rejeté par le Caïman. Pour moi c’était un rêve et jouer pour un champion d’Afrique, on ne pouvait rêver mieux. J’avais à peine 15 ans et fréquentais le Lycée. J’ai alors signé ma 1ere licence en club.
J’ai commencé à jouer pour l’Oryx comme gardien de but…..
Camfoot.com : Comme gardien de but!
Jean-Pierre Tokoto: Comme gardien de but. J’étais jeune, j’étais versatile et j’avais aussi beaucoup de talent comme gardien de but. L’entraîneur m’a demandé si je voulais jouer gardien de but et je lui ai dis qu’avec cette équipe, je jouerai n’importe ou. Les places étaient aussi vraiment chères à l’époque avec des joueurs aussi talentueux que Mbappé Léppé, Koum, Moukoko Confiance, Kotto, Priso, Tokoto robert.
Après le 4e match de la saison, Robert Tokoto s’est tordu le genou et après sa thérapie on pensait qu’il ne pouvait plus jouer sur le champ et comme il était aussi gardien de but, on a changé de position.
Et c’est là que j’ai commencé à jouer comme no 10 et même pas un an après, à 16 ans et 4 mois, j’ai eu le plaisir d’être appelé en équipe nationale. Nous parlons des années 1966
Camfoot.com: Vous avez été l’un des 1ers pros africains. Pouvez-vous nous dire en détails comment vous y êtes arrivés?
Jean-Pierre Tokoto: Je pense que ce n’est pas tout à fait vrai. Il y a eu beaucoup de joueurs avant moi. Ben Barek, Emmanuel Kouoh et plusieurs autres encore. Mais en ce qui me concerne, cela a été un peu précipité. J’aurai peut être dû passer plus de temps avec L’Oryx. L’Olympique de Marseille m’a fait signer mon 1er contrat professionnel et n’avait pas de politique professionnel pour empêcher que j’aille à Bordeaux, et j’y ai été quelque peu coincé pendant 3 ans. À cause de la restriction sur le nombre d’étranger, et avec des joueurs déjà établis tel Sklobar, Magnusson, j’ai quelque peu perdu l’envie de jouer….
…Je voulais même à l’époque retourner au Cameroun parce qu’avec tous ces facteurs cela m’était difficile de m’exprimer. J’ai été par la suite prêté à Paris Neuilly ou j’ai pu enfin m’exprimer. Mais nous étions en deuxième division.
… Mon salut est venu du fait que pour son transfert et voulant m’aider, Salif Keita qui était un copain a exigé ma libération comme condition à sa venue. C’est ainsi que j’ai pu aller à Bordeaux ou j’ai connu beaucoup de bons moments.
Camfoot.com : Quels ont été vos grands moments dans le football professionnel.
Jean-Pierre Tokoto: … J’ai beaucoup aimé mon passage à Bordeaux malgré le fait que nous n’avions pas une si bonne équipe et que nous nous battions toujours pour éviter la relégation. Le public m’aimait beaucoup. J’ai dû quitter pour pouvoir m’accomplir et aller en coupe d’Europe à Paris….
La mini coupe du monde au Brésil a été tout aussi pleine de souvenirs. Nous avions une équipe africaine et malgré le fait que plusieurs très bons joueurs tels que François MPelé, Salif Keita, et plusieurs autres n’avaient pas été libérés par leur équipe, nous avions eu beaucoup de plaisir. On a perdu contre la France et l’Argentine et gagné la Colombie 3 buts à zéro et j’ai eu le plaisir de marquer 2 buts dont un de trente mètres… J’ai aussi été sélectionné dans l’équipe type de la mini coupe du monde.
Camfoot.com: En 1972, le Cameroun organise sa Coupe d’Afrique des Nations. Quels souvenirs vous restent en mémoire.
Jean-Pierre Tokoto: Un très bon et un très mauvais. Mon départ pour la France en 1968 a été tumultueux parce que les autorités ne voulaient pas me laisser partir. J’ai dû quitter par mes propres moyens. Le Pr. Essomba qui était président de la Fédération à l’époque ne voulait plus m’inclure dans la sélection. À cause des absences de plusieurs professionnels, j’ai reçu un appel de Mr l’ambassadeur qui me demandait de me rendre au Cameroun pour la CAN… Apres avoir négocié des garanties, je me suis envolé pour Yaoundé.
Tout était magnifique. Nous habitions au Mont Fébé chez les prêtres et tout était si calme là-bas. L’équipe était très soudée et très solidaire. Nous voulions vraiment remporter ce trophée pour le pays et pour nous même….
Ce match perdu contre le Congo n’a pas était joué avec le même esprit que les autres matchs. Quelques mois plus tôt, la même équipe est allée gagner largement le Congo chez eux. Les gars étaient donc sûr que nous remporterions aussi facilement ce match et ne s’y sont pas bien préparés… Plusieurs joueurs étaient aussi blessés et n’ont pas été franc ni avec eux ni avec l’équipe… Cela a été la plus grande déception de ma vie puisque selon moi nous avions la meilleure équipe du tournoi…Cependant, j’ai aussi eu la surprise d’être élu meilleur joueur du tournoi. Mais je l’aurai échangé volontiers contre le trophée (rires).
Camfoot.com : 1982 en Espagne et première coupe du monde du Cameroun. Malgré notre belle prestation, nous sommes éliminés au premier tour. Vingt ans après; quels regards y jetez-vous?
Jean-Pierre Tokoto: Personnellement, un très mauvais souvenir. Nous étions une équipe de copains et après avoir qualifié le pays, j’ai reçu la garantie que je ferais partie de l’équipe en Espagne. Malheureusement, le changement d’entraîneur a fait que j’ai été quelque peu oublié… Le nouvel entraîneur ne me faisait pas confiance malgré le fait qu’il connaissait mon talent et parce qu’il se disait que j’étais en semi retraite aux USA, chose qui n’était pas vraie. Mais les autorités de la FECAFOOT m’ont affirmé que les jeunes avaient besoin de moi et je me suis mis à la tâche, même si ce n’était pas le rôle que j’avais prévu pour moi-même. J’étais à peu près déjà à l’équipe le porte-parole de l’équipe.
Contre le Pérou, on aurait dû gagner le match. Jusqu’aujourd’hui je ne comprends pas pourquoi l’arbitre a refusé ce but de Roger.
On aurait pu gagner la Pologne. Nous dominions. Mais le fait que nous ayons joué défensivement ne nous a pas favorisé. Nous avions l’une des meilleures équipes offensives que le Cameroun n’ait jamais eue. Si nous avions joué offensivement en prenant des risques, nous aurions pu gagner les trois matchs. Si j’étais entraîneur, j’aurais tablé sur les forces de l’équipe qui était son côté offensif.
Nous avions des joueurs magiques et « inarrêtables ». On avait des joueurs qui pouvaient faire la différence à tout moment. Roger Milla devant, au milieu Dr Abéga et moi même, on avait des joueurs qui pouvaient dribler, faire des centres, faire des passes précises, des ouvertures si on avait pris des risques. Mais l’entraîneur avait peur que si on se qualifiait on devait rencontrer les équipes comme le Brésil et il ne voulait pas vivre la même chose que le Zaïre quelques années plus tôt.
J’ai regroupé les joueurs et leur ai demandé de jouer comme on peut afin de montrer le meilleur de nous. Et que Roger ne sera pas mis en valeur dans ce système, il n’aura pas d’appui, pas de soutien. Mes propos ont été rapportés à l’entraîneur qui m’a encore éloigné du groupe.
À la mi-temps du match contre la Pologne, mon ancien entraîneur Juste fontaine a demandé à Jean Vincent de me faire jouer s’il voulait gagner. Et c’est là que j’ai finalement eu ma chance. Après une bonne discussion, nous avons trouvé un accord d’où ma titularisation contre l’Italie…
On a raté selon moi une grande histoire en 1982. 1990 a été une grande équipe; mais pour moi l’équipe de 1982 était bien meilleure. À ces joueurs il fallait donner la liberté complète de s’exprimer. D’ailleurs, rien ne justifiait qu’on mette en place un système défensif avec la forme d’alors de Thomas Nkono et notre défense qui était déjà très bonne. D’ailleurs, si vous étiez un attaquant seul devant Nkono, vous ne sauriez pas si vous pouviez marquer.
Camfoot.com : Le Cameroun se présente à la prochaine coupe du monde avec des arguments à faire valoir. Aux regards des derniers événements dus à la réclamation des primes et au long retard dû au voyage mal planifié, ces évènements peuvent-ils avoir une incidence sur la performance de l’équipe?
Jean-Pierre Tokoto: C’est déplorable. Les dirigeants doivent réussir à trouver une solution. Je ne sais pas pourquoi y a toujours ce problème. Il y a de l’argent….. Et la FIFA donne toujours au pays de l’argent pour permettre aux équipes de se préparer et de prendre en charge leur responsabilité vis-à-vis des joueurs et aussi palier à tous les problèmes qui peuvent survenir pendant la préparation. Ce problème est particulier au Cameroun et se renouvelle tous les quatre ans. L’équipe nationale n’a pas besoin de ces problèmes et ceci devait être réglé des mois à l’avance pour que les joueurs soient tranquilles qu’ils aient l’âme en paix et ne soient préoccupés que par leur performance. Ceci n’est pas professionnel de la part des autorités et vous comprenez pourquoi beaucoup de personnes ne veulent pas s’y impliquer. Ça laisse à désirer; c’est déplorable et je ne comprends pas pourquoi encore cette année, le même problème se présente. Les gens n’ont jamais compris, n’ont jamais appris … De 1994 à 1998 nous n’avons pas eu une bonne équipe et nous avons la chance d’avoir une bonne équipe qui peut aller sur le terrain et gagner et parce qu’ils travaillent durement, il faut les gratifier de leur service. Ce n’est pas qu’il n’y a pas d’argent, il y en a mais c’est entre les mains des personnes qui ne connaissent pas ou sont les priorités…. C’est vraiment déplorable et ça me dégoûte.
Camfoot.com : Quelles sont les chances du Cameroun
Jean-Pierre Tokoto: Le Cameroun a de bonnes chances de se qualifier, d’abord pour le 2e tour. Notre groupe n’est pas tellement difficile. Après la prestation à la CAN et après les matchs amicaux, il faut compter avec nous. Nous sommes difficile à manoeuvrer. Avec les joueurs qui jouent dans les meilleurs clubs en Europe, actuellement avec l’expérience que les joueurs ont emmagasinés, ils savent ce qu’il faut faire pour aller loin. C’est déplorable maintenant que l’équipe peut voir plus loin, subsistent encore des problèmes de primes. Espérons que Issa Hayatou pourra régler ce problème au niveau africain….
Camfoot.com : Le président de la CAF et ancien président de la FECAFOOT, Mr Issa Hayatou se présente à la tête de la FIFA contre le président sortant le suisse Sepp Blatter. Qu’en pensez-vous ?
Jean-Pierre Tokoto: J’étais très content qu’un africain et surtout un grand africain et quelqu’un qui a beaucoup travailler pour le football africain, pas seulement camerounais puisqu’il a travaillé longtemps comme secrétaire général et puis président de la FECAFOOT, et qui a fait ses preuves, qui travaille beaucoup et qui est très crédible se présente. J’ai été en contact avec lui en 1994 alors que je travaillais pour le comité d’organisation pour la Coupe du monde comme liaison pour le Cameroun, j’ai eu a travaillé avec lui et c’est un monsieur très professionnel qui jouit d’une très grande réputation dans le milieu…. Et à l’époque il était déjà très consulté pour toute décision de la FIFA et très respecté. Je pensais depuis lors qu’il pourrait un jour être appelé un digne président de la FIFA. Je suis content pour lui parce qu’il le mérite et je suis content pour l’Afrique parce qu’il est temps de lui donner aussi la place qu’elle mérite…. Je ne connais pas personnellement Mr Blatter… Mais beaucoup de choses se disent contre lui. Je serais très étonné s’il était réélu, parce que ce ne serait pas une bonne chose pour le football en général. Il faut un nouveau président capable de tout redresser…. Il faudrait que tous les africains soient unanimes derrière Issa Hayatou parce qu’il a beaucoup fait pour le football africain en général.
Camfoot.com : Si vous aviez à choisir, à qui irait votre vote.
Jean-Pierre Tokoto: Issa Hayatou est le seul choix possible.