Bientôt la soixantaine atteinte, M. Jean-Pierre Florentin Sadi a pendant longtemps donné de son temps à remplir ses engagements vis-à-vis de l’État camerounais. Sorti du Centre régional d’Éducation physique et sportive de Garoua, il a dirigé le football camerounais, à tous les niveaux, glanant des médailles des toutes les couleurs à différentes compétitions avec les sélections nationales. Médaillé d’or aux Jeux africains en 1991 en Égypte avec des joueurs locaux, il est aussi triple champion mondial du tournoi minime de Montaigu, sans oublier ses trophées des tournois Juniors d’Illerzell en Allemagne et de Dechy en France.
M. Sadi s’est retiré depuis peu dans la cité balnéaire de Limbé où il s’occupe de l’encadrement des jeunes. C’est un homme du terrain et d’expérience que nous avons rencontré dans la cité pétrolière. Il nous parle avec passion et précision du ballon rond au pays de Roger Milla. Pour lui, il est plus qu’urgent de « redorer le blason du football camerounais par des réformes utiles et efficaces ». Entretien…
Camfoot.com: Pouvons-nous en savoir plus sur qui est Jean Pierre Sadi ?
Jean Pierre Florentin Sadi: Disons qu’après 32 ans de service, d’abord comme enseignant d’Eps au lycée du Manengouba à Nkongsamba, entraîneur départemental, entraîneur de l’Aigle de Nkongsamba pendant cinq ans, entraîneur provincial à l’Est pendant 10 ans, entraîneur national toute catégories confondues. Aujourd’hui, je me retrouve à la retraite et comme Directeur technique à la « Njalla Quan Sports Academy » (N.Q.S.A), ici à Limbé.
Camfoot.com: Pensez-vous que votre retraite est méritée?
J.P.F.S: Je pense que j’ai apporté un plus dans la formation, des jeunes notamment. Je crois avoir assuré la relève des équipes nationales camerounaises, sur le plan des minimes, des cadets voire des juniors. Je crois avoir apporté également un plus sur le plan des Espoirs. Vous n’êtes pas sans savoir qu’en 1991, j’ai gagné la médaille d’or aux Jeux africains en Égypte, avec des joueurs amateurs s’il vous plaît ! Sans être prétentieux, je dirais que mon palmarès au niveau des clubs est élogieux. Je ne voudrais pas citer les clubs, mais, chaque fois que j’ai eu à prendre les rênes d’une équipe, nous avons toujours atteint les résultats escomptés. C’est ainsi qu’avec l’Aigle de Nkongsamba, nous avons été champion du Cameroun en 1970. Union d’Abong Mbang et Santos de Yaoundé sont montés en première division sous moi. J’ai également entraîné Victoria United, nous sommes montés deux fois en D1. J’ai gagné la coupe du Cameroun avec Olympique de Mvolyé. Sur le plan international avec Cotonsport de Garoua, je suis arrivé en quart de finale de la compétition africaine. Donc, c’est un palmarès très parlant. Je ne me suis pas arrêté là. Je me suis investi, mes collègues avec, à l’école des Brasseries du Cameroun. Nous avons ouvert cette École en 1989. Nous y avons passé douze ans et, en douze ans, nous avons assuré la relève du football camerounais. Et aujourd’hui, comme je l’ai dit tantôt, je poursuis cette relève à la
N.Q.S.A.
« Le Minjes et la Fécafoot doivent penser, réfléchir et agir de manière scientifique pour le football camerounais »
Camfoot.com: Jean Pierre Sadi, vous aviez été jusqu’à une certaine époque, entraîneur de plusieurs équipes camerounaises. Y a-t-il à comparer votre époque à celle d’aujourd’hui?
J.P.F.S: À l’époque où j’ai été actif, ce qui était plus important, c’était l’amour. Le joueur aimait son activité. Et je pourrais résumer en disant que ce qui donnait l’impulsion, c’était la motivation intrinsèque: faire plaisir à ses parents, à ses amis du quartier, à sa petite copine -puisque c’est ça aussi ! -, à son village, à sa province et à l’équipe nationale. Il y
avait cette fibre patriotique qui amenait le joueur à se surpasser sur le terrain. Mais, le temps évolue, il faut le reconnaître. Il faut faire avec. C’est dire qu’il faut concilier l’ancienne époque et la nouvelle époque, trouver les voies et moyens pour pouvoir aider
les uns et les autres qui vivent à l’ère de la mondialisation, de pouvoir être à un certain niveau, au top niveau; afin que nous puissions avoir des résultats que nous escomptons.
Camfoot.com: Aujourd’hui comment est-ce que vous appréhendez nos équipes nationales?
J.P.F.S: Pour ma part, je crois qu’il n’y a pas lieu de se décourager. On commence à éviter l’improvisation mais, je crois qu’il faudrait être plus professionnel. C’est-à-dire qu’on puisse avoir un programme technique national, qui concerne toutes les catégories minime, junior, cadet, senior; que les entraîneurs nationaux, provinciaux, départementaux (parce que ça existe !) puissent sillonner la République afin de pouvoir détecter les talents. Cela nécessite certes les moyens, mais les moyens, nous les en avons. Il va falloir, après que nous ayons mis sur pied tout ce programme, aider les entraîneurs à pouvoir évaluer leurs poulains, par des compétitions interprovinciales ou alors par des tournois zonaux. Ce qui fait qu’on peut réduire le coût de l’opération.
L’entraîneur de telle ou autre catégorie trouve son compte en ayant une pléiade de joueurs, avec la possibilité de retenir les meilleurs. Suivra alors la mise sur pied d’un programme ponctuel de regroupement, pour prévenir le long terme. Ne nous leurrons pas, les résultats ne peuvent pas venir si on ne casse pas les oeufs. Moi, je pense que aujourd’hui plus que jamais, il faudrait que les concernés, le ministère de la Jeunesse et des sports et la fédération camerounaise de football, puissent pouvoir penser, réfléchir et agir d’une manière scientifique. C’est ça le plus important.
Camfoot.com: On parle de plus en plus de l’intrusion du politique dans le sport, le football. On l’a vu avec la sélection de Patrick Mboma pour la Can 2004. Est-ce que vous convenez que le politique a sa place dans le football ?
J.P.F.S: Vous savez, l’équipe nationale est ouverte à tout camerounais. De nos jours, vous avez la possibilité d’évaluer le joueur à travers la vidéo, à travers la télévision. Mais, je pense que chacun a sa touche à jouer. Nous constituons un orchestre et, dans un orchestre, chacun a sa part de partition, pour qu’il y ait symphonie. Le politique joue son rôle. Le technicien joue son rôle. L’administration joue son rôle. A condition qu’il n’y ait pas d’interférence. Le résultat doit être positif au bout du compte.
« …La CAN, à mon avis, devrait être une étape d’intégration des joueurs locaux, parce que nos joueurs professionnels sont saturés… »
Camfoot.com: On vous connaît comme un entraîneur qui a bien suivi l’équipe nationale du Cameroun. Vous avez eu à tenir la main d’un certain Song Bahanag par exemple, à ses débuts. Avec la dernière Can, on a parlé d’une certaine fatigue chez certains Lions indomptables. Vous en tant qu’un observateur averti, avez-vous eu la même impression?
J.P.F.S: Justement! Il faudrait que les gens comprennent, une fois pour toute, que la Can, à mon avis, devrait être une étape d’intégration des joueurs locaux, parce que nos joueurs professionnels sont saturés. Et je crois qu’il faudrait qu’à partir de l’échec, nous puissions réfléchir des voies et moyens, pour mettre sur pied une équipe locale compétitive et
conquérante, de manière que ces jeunes-là qui évoluent en Europe puissent peut-être se retrouver en Coupe du monde et que pour les locaux, la Can soit une motivation pour pouvoir s’épanouir et étaler leur talent. Prenez justement le cas de Song Bahanag Rigobert. Il a fait combien de coupe du monde ? Trois coupes ! Combien de Can ? Il est titulaire dans son équipe et tous les jours, il est sollicité. Que pouvez-vous tirer de celui-là? Je crois qu’il faut réfléchir. Et pourquoi avons-nous un championnat ! Est-ce de la
figuration ? Est-ce pour plaire ? Est-ce pour remplir les papiers des journaux sportifs ? Ce sont les questions que nous devons nous poser. Je ne fais pas la morale et je ne voudrais pas susciter de la polémique mais, sachons quand même qu’on n’obtient rien sans le travail.
Camfoot.com: Mais, il y a que le championnat camerounais n’est pas assez compétitif avec des problèmes de toutes sortes, notamment le manque criard d’infrastructures. Les joueurs locaux ont du mal à progresser dans ces conditions…
J.P.F.S: Je dis, c’est un programme à long terme. Regardez les clubs qui représentent le Cameroun en compétitions africaines, comment est-ce qu’ils travaillent ? Il ne suffit pas seulement d’affecter les entraîneurs nationaux au sein des clubs, il faudrait d’abord savoir comment ils travaillent. Vous avez deux équipes expérimentées qui ont fait leurs preuves (Canon et Coton, ndlr) ; et les deux autres qui arrivent ? Il faut justement pouvoir permettre, prenant le championnat, que les entraîneurs puissent planifier leur travail. J’ose espérer que la nouvelle formule du championnat doit certainement permettre aux uns et aux autres de pouvoir travailler d’une manière scientifique et rationnelle, que nous puissions avoir des résultats positifs sur le plan national, technique et tactique.
« Si nous ne mettons pas en place une politique technique nationale de football, nous allons continuer de naviguer à vue »
Camfoot.com: Vous êtes entraîneur, quelle stratégie mettriez-vous en place avec une équipe engagée en compétition continentale?
J.P.F.S: Là, vous posez une question embarrassante. Je ne vais pas faire une école. Mais, je dis que tout commence par une préparation d’avant saison ; et les entraîneurs le savent.
Camfoot.com: En prenant le cas le plus récent avec l’équipe Espoirs où l’entraîneur avait réussi à convoquer près de quarante cinq joueurs pour un match. Est-ce que le temps d’une semaine est insuffisant pour évaluer les quarante cinq et en sortir seize pour livrer le match?
J.P.F.S: Je vous ai dit tantôt : il faudrait qu’il y ait un programme technique national. Dans lequel, on y retrouve les différentes phases de préparation pouvant permettre à l’entraîneur d’atteindre un résultat positif. Évitez quoi ? L’improvisation. Je ne voudrais
pas entrer dans les détails, mais, je pense que c’est clair pour ceux qui me comprennent. On ne peut se lever un matin et convoquer un joueur pour avoir un résultat positif. Vous savez, une équipe c’est un tout. Il faut de la cohésion, des automatismes. Si vous convoquez des gens à deux jours, une semaine avant, vous vous attendez à quoi ? On peut gagner mais, il faut allier l’efficacité, le beau. Parce que le public qui paie de son argent, c’est pour venir se régaler. Si nous continuons à jouer le jeu des vedettes, je crois qu’à certain moment donné, nous aurons des surprises désagréables.
Camfoot.com: Aujourd’hui, le tournoi de Montaigu a repris du service et vous y avez souvent et victorieusement conduit la sélection nationale minime des Lions indomptables. Quelle importance accordez vous à ce tournoi?
J.P.F.S: Je crois que c’est une bonne chose. Parce qu’il manque aux jeunes une possibilité de pouvoir se rivaliser. En Afrique et au Cameroun, on mise beaucoup plus sur la sélection Senior, les catégories inférieures sont lésées. Je crois que ce tournoi de Montaigu devait être le couronnement de toute action menée sur le plan local au niveau des jeunes. De manière à évaluer les uns et les autres et permettre ainsi d’assurer la relève. Le thème « relève » est vaste certes, mais, ce n’est à travers des tournois que l’enfant acquiert de l’expérience. C’est pour cela que je prierai la fédération camerounaise de football de multiplier les contacts interprovinciaux, à tous les niveaux. Si les entraîneurs nationaux qui sont à Yaoundé ne peuvent pas se déplacer, ils peuvent aller voir les jeunes lorsqu’on a déterminé les zones. Mais, j’insiste, si nous ne mettons pas en place une politique technique nationale de football, nous allons continuer de naviguer à vue.
Camfoot.com: C’est dire que le Cameroun n’a pas de politique nationale de football fiable ?
J.P.F.S: Nous avons une politique. Vous savez, tout est bien sortant des mains de Dieu, mais tout dégénère entre les mains des hommes. On a beau avoir sur du papier ce qu’il faut et maintenant, il faudrait aller voir comment ça se passe sur le terrain.
Camfoot.com: Pourtant le DTN Robert Corfou est là. Est-ce parce qu’il est expatrié et ne connaissant pas les réalités du terrain camerounais que ça coince ?
J.P.F.S: Je ne voudrais pas entrer dans les détails. M. Robert Corfou a un rôle bien précis. Le directeur technique national est chargé d’allez revoir le décret. L’entraîneur national est chargé de… l’entraîneur national adjoint est chargé de… C’est un décret présidentiel! (Il ironise!).
Camfoot.com: Monsieur Jean Pierre Sadi, parlons de l’entraîneur national camerounais comme on en trouve dans les équipes de D1 et de D2. Comment est-ce que vous les jugez, vous qui êtes passé par là ?
J.P.F.S: Il manque de contact entre le sommet et la base. Nous ne pouvons pas réunir les gens pendant deux jours et pendant toute l’année, elles sont abandonnées à elles-mêmes.
Camfoot.com: On en trouve qui ne sont pas allés dans les écoles spécialisées à l’entraînement…
J.P.F.S: Justement. L’homme qui cesse d’apprendre meurt. Les entraîneurs doivent se former perpétuellement. Ils sont nombreux ceux qui ont fait leur preuve, ceux qui ont roulé leur bosse. Mais, sachez qu’à certain moment, on a toujours besoin d’apprendre. Il faudrait aussi d’un autre côté donner la possibilité à ces encadreurs de pouvoir s’épanouir intellectuellement. Le football est une science. Pour ma part, lorsque je regarde ces équipes de première division, je crois que les entraîneurs ont quand même un bon bagage, nécessaire pour pouvoir conduire ces équipes à de bons résultats. Mais, maintenant, est-ce que tous les contours sont réunis ?
Camfoot.com: Lesquels contours par exemple ?
J.P.F.S: Est-ce vous avez les moyens de pouvoir recruter ? Est-ce que vous avez les moyens de pouvoir répondre aux exigences de la compétition à savoir donner le minimum aux joueurs pour la récupération ? La motivation est là lorsqu’ils abordent une
compétition africaine, parce qu’ils sont pris en charge. Mais, allez voir ces joueurs dans leur club. J’en sais quelque chose. Les gars, ils n’ont rien pour récupérer le soir après le match ou les entraînements!
Camfoot.com: On se poserait même la question de savoir si l’entraîneur a un contrat avec l’équipe qui l’engage.
J.P.F.S: Voilà un problème qui se pose. Et ça m’amène à penser à l’instabilité des entraîneurs au Cameroun. Vous ne pouvez pas en deux, trois mois, pouvoir amener une équipe à un résultat positif. Il suffit d’un faux pas et on vous vire ! Mais, vous n’avez même pas eu le temps de mettre sur pied votre savoir faire! Ce qui veut dire qu’il faut revaloriser les entraîneurs, pouvoir également leur donner le minimum vital, afin d’éviter, ce que les gens pensent, le marchandage. La Fécafoot doit veiller à ce que les entraîneurs et les joueurs aient des contrats dans leur club. Par ailleurs, la Fécafoot devrait avoir, à mon avis, son collège d’entraîneurs consultants. Qui comprendrait des entraîneurs retraités qui ont fait leurs preuves, des entraîneurs nationaux dotés d’une compétence quelconque notamment psychologique, scientifique. Une cellule qui dépendrait directement de la fédération. Nous ne pouvons lorsqu’il y a un match envoyer un entraîneur aller superviser par exemple un match alors que le même entraîneur serait sollicité le lendemain pour un match à l’extérieur.
Camfoot.com: Est-ce qu’il n’y aurait pas de chevauchement entre cette cellule et les entraîneurs nationaux ?
J.P.F.S: Il n’ y aurait pas de chevauchement. C’est un problème d’organisation. Il faut regarder en France. Pour que Aimé Jacquet gagne la coupe du monde, il s’est entouré de tous les entraîneurs, des bénévoles jusqu’aux nationaux. C’est ce qu’on appelle la direction technique nationale. La Fécafoot doit pouvoir avoir ses hommes de main, avec des missions précises. Parce qu’il y a un problème de professionnalisme qui, ma foi, fait défaut. J’espère qu’après la campagne électorale, les gens vont s’asseoir, se regarder dans les yeux et pouvoir mettre sur pied un bon programme.
Camfoot.com: Vous semblez ne pas avoir du crédit pour l’actuel bureau de la Fécafoot en ces temps de renouvellement des instances dirigeantes de notre football ?
J.P.F.S: Que non! Je crois que les dirigeants de la Fécafoot ont abattu du bon boulot. On a quand même réalisé des résultats. Les responsables ont fait des gros efforts. Ils ont su gérer ce qui nous restait de plus cher. Mais, maintenant, il faut qu’ils aillent plus loin ; qu’on soit plus professionnels afin que nous puissions, dès aujourd’hui, redorer notre blason, par des réformes utiles et efficaces.
Entretien mené par Kisito NGALAMOU