Sous le coup d’une procédure judiciaire sur sa gestion de la Fédération camerounaise de football (Fécafoot), Mohammed Iya, par ailleurs Directeur général de la Société camerounaise de développement du coton (Sodecoton), a déjà été entendu à trois reprises depuis son retour de la Coupe d’Afrique des nations 2006 dans les services de la Police judiciaire à Yaoundé.
S’il n’a pas voulu s’étendre sur ce procès qui suit son cours, il réagit ici sur les grandes questions d’actualité de la Fécafoot, notamment sur le rapport Ngack Mahop dont Mutations avait publié, en exclusivité, une synthèse du contenu le 3 avril 2006. Un rapport accablant pour le président de la fédération et son équipe, sur lequel il dit sa part de vérité. Non sans préciser qu’il n’abandonnera pas le combat, malgré les coups qu’il reçoit depuis huit ans.
Le rapport d’enquête commandé par le gouvernement en 2004 révèle plusieurs actes de mauvaise gestion de la Fécafoot. A commencer par une application biaisée de la convention Minjes-Fécafoot. Quel est le bien-fondé de cette convention et pourquoi a-t-elle capoté?
Je voudrais d’abord signaler que nous avons découvert le contenu de ce fameux rapport dans les colonnes de votre journal, qui comporte effectivement de nombreuses accusations contre la fédération que je dirige. Nous sommes quand même surpris de prendre connaissance de ce qu’on nous reproche dans la presse. Cela dit, je remercie au passage cette presse qui nous permet aujourd’hui de savoir de quoi on nous accuse.
La convention Minjes-Fécafoot a été signée en 2000 à notre initiative, dans le but de rendre sereine la collaboration entre le ministère et la fédération. C’était aussi, pour nous, une façon de mettre un terme au conflit permanent entre la Fécafoot et sa tutelle. Nous n’avions pas envie de continuer à travailler dans un climat de conflit quasi permanent; il fallait donc essayer de codifier nos rapports avec la tutelle pour savoir qui doit faire quoi et comment.
Malheureusement, à un moment donné, le ministère n’a plus respecté ses engagements, ce qui nous a poussé à ne plus appliquer à la lettre, à notre tour, les termes de cette convention. Entre temps, lors de la réunion tripartite Fifa-Minjes-Fécafoot du 5 novembre 2004, la Fifa nous a aussi rappelé qu’une fédération n’a pas à rétrocéder une partie de l’argent qu’elle reçoit à une quelconque institution étatique. Le temps de renégocier cette convention, dont le principe reste valable, à mon sens, il y a eu cette plainte déposée contre le président et d’autres membres de la Fécafoot. Et on en est là!
Qu’en est-il du trou de 3 milliards découvert dans les comptes de la Fécafoot?
C’est ce que nous avons lu dans Mutations. Nous ne savons pas comment les enquêteurs sont parvenus à ce chiffre. Nous avons néanmoins le sentiment que leur base de calcul est la somme brute reçue de la Fifa par la Fécafoot. Or, cet argent ne nous parvient jamais tel qu’il est libellé, parce que notre compte est débité directement par la Fifa, en application des verdicts qu’elle a rendus sur certains litiges opposant la Fécafoot à des tiers. Je prends quelques cas: les impayés de salaire de Henri Michel, la facture de la Fédération française de football pour un stage effectué à Clairefontaine avant la Coupe du monde 1994, les manques à gagner de Joseph-Antoine Bell, les colossales dettes laissées par Vincent Onana, les taxes, les amendes (chaque carton rouge ou jaune de l’équipe du Cameroun est payé de cette façon)…
Bref, il y a beaucoup de déductions sur la subvention de la Fifa à la Fécafoot. Si l’occasion nous avait été donnée, nous l’aurions expliqué ainsi aux enquêteurs. Manifestement, on n’a pas voulu que nous prenions connaissance de ces accusations. Est-ce dans l’intention de nuire ?
Il reste tout de même des sommes d’argent qui vous parviennent. Comment sont-elles utilisées et qui contrôle cette utilisation?
Il y a trois organes de contrôle de la gestion des fonds Fifa. A travers le cabinet d’audit international Kpmg, la Fifa contrôle elle-même l’usage des fonds qu’elle met à la disposition de ses membres pour le développement du football dans leurs pays respectifs. Et ce contrôle Fifa est déjà passé à la Fécafoot, sans qu’il trouve quelque irrégularité dans l’utilisation de l’argent qui nous a été versé. L’assemblée générale de la Fécafoot est un organe de contrôle de la gestion du bureau exécutif; elle peut également commettre un audit si elle estime qu’il y a des anomalies quelque part. Enfin, il y a le commissaire aux comptes désigné par l’Assemblée générale de la Fécafoot, Pricewatherhouse, et depuis cette année Bekolo & Partners, qui audite nos comptes à la fin de chaque année budgétaire.
Tous ces trois organes ont donné leurs quitus à notre gestion. Et en plus, trois mois avant le passage de la commission d’enquête Ngack Mahop, nous avions reçu, pendant trois mois, une mission du Contrôle supérieur de l’Etat, qui n’a pas non plus trouvé à redire sur nos comptes… Et qui nous avait même félicités et encouragés !
Qu’est-ce qui se passe donc avec le contrat Fécafoot-Puma, qui fait jaser depuis longtemps, et dont la commission d’enquête n’a trouvé qu’une copie en allemand à la Fécafoot?
Ecoutez, le contrat est rédigé en allemand et une traduction verbale en français avait été effectuée. C’est comme cela dans tous les contrats : il y a toujours une langue de référence qui fait foi. Mais peu importe! Nous, ce qui nous intéressait, c’était ce que nous devions attendre de nos partenaires, c’était les chiffres, qui ne varient pas de l’allemand au français: 1 euro égale 1 euro dans toutes les langues du monde! On savait parfaitement ce qu’on recevrait comme argent et comme équipements… Et Puma a honoré jusqu’ici tous ses engagements vis-à-vis de nous : toutes les primes ont été régulièrement versées et des équipements de grande qualité ont été fournis à toutes les catégories de nos équipes nationales.
La gestion de ce contrat d’équipementier semble néanmoins vous opposer à la tutelle, qui administre les équipements fournis et qui a récemment reçu une délégation du concurrent de Puma, Adidas…
A l’époque où le ministère estimait qu’il pouvait gérer ces équipements, nous ne voyions pas de problème. Nous évitons des conflits inutiles. C’est pourquoi cette gestion des équipements a été confiée au directeur administratif des équipes nationales, qui est un chef de service au ministère. Depuis quelques mois, le ministère ne veut plus assumer cette gestion, tout simplement parce qu’il y a des coûts relatifs, entre autres, au transport et au dédouanement. Estimant qu’il n’avait pas de l’argent pour ces tâches, le ministère des Sports nous a demandé de nous en occuper, ce que nous faisons désormais.
Maintenant, le contrat Puma arrive à expiration le 31 décembre 2006. Nous allons lancer un appel d’offres pour le choix de l’équipementier des équipes nationales du Cameroun, comme nous l’avions fait la dernière fois en 2000 avant de renouveler le contrat avec Puma. Le moment venu, divers équipementiers pourront donc soumissionner et nous opérerons notre choix au mieux des intérêts de la fédération et des équipes nationales du Cameroun.
La gestion de l’équipe nationale est justement un autre foyer de tension entre le ministère et la fédération. Quelle serait la formule idéale pour que cette gestion soit sereine et efficace?
L’idéal serait d’abord de mieux gérer l’argent que l’Etat débloque souvent pour l’équipe nationale. Depuis huit ans que nous sommes à la Fécafoot, nous évaluons à 20 ou 25 milliards de Fcfa l’argent que l’Etat a dépensé pour les équipes nationales. En se basant sur le rapport Ngack Mahop rendu public par Mutations, ce sont 13 milliards qui ont été sortis du Trésor public entre 2002 et 2004. On ne connaît pas le montant des interventions de l’Etat entre 1998 et 2000, et entre 2004 et 2006. Mais c’est énorme! Qu’est-ce qui a été fait avec cet argent? Chacun peut se poser la question et se rendre compte que le gaspillage n’est pas du côté où on veut bien le voir.
En revanche, à la fédération, avec le peu que nous avons reçu de la Fifa et de nos sponsors, nous avons beaucoup investi, dans l’acquisition de nos locaux propres, aussi bien le siège social à Yaoundé que les ligues provinciales, et dans la construction en cours d’achèvement du Centre technique national. Nous avons réglé une grande partie des dettes colossales dont nous avons héritées à notre arrivée. Et chaque année, nous prenons entièrement en charge l’organisation de tous les matches internationaux disputés par les différentes catégories de nos équipes nationales et nos clubs. Ceci qui représente d’énormes sommes d’argent, quand on sait que l’organisation d’un seul match international coûte à la Fécafoot au minimum dix millions de nos francs!
En même temps, nous assumons pleinement toutes nos charges de fonctionnement sans attendre une quelconque subvention. Qu’est-ce qu’on n’aurait donc pas fait en huit ans avec 25 milliards?
Je dis donc que notre équipe nationale ne doit pas être gérée comme elle l’est jusque là. Il est clair dans nos statuts que la gestion de l’équipe nationale revient à la fédération, et on en est capable. Si la tutelle nous laisse faire davantage, au lieu de nous saboter, on pourrait avoir de quoi financer largement toutes nos équipes nationales. Souvenez-vous que pour la Coupe du monde 2002 au Japon, grâce aux partenaires de la fédération et à nos contacts personnels, nous avons pu obtenir que les Lions indomptables soient pris entièrement en charge pendant dix jours (la Fifa ne prend les équipes qualifiées en charge que cinq jours avant le début de la compétition), ce qui a permis au trésor public de réaliser une économie de près de 350 millions de Fcfa.
Le problème, c’est qu’on nous empêche même de prendre des initiatives. Apparemment, cela n’arrange pas certaines personnes que notre équipe nationale soit prise en charge. Souvenez-vous de Béziers en 1998: on nous avait proposé une prise en charge gratuite des Lions indomptables, mais la tutelle avait refusé parce qu’il fallait absolument que l’Etat dépense de l’argent inutilement. En 2002 par contre, quand le ministre nous a autorisé à négocier, la fédération a obtenu que tout le séjour de la sélection à Nakatsué au Japon soit gratuit. On peut voir la même efficacité sur les matches qu’on nous a laissé négocier comme celui contre l’Allemagne en novembre 2004. Il y a également ces contrats de sponsoring que nous avons conclus et qui n’existaient pas auparavant.
Si la fédération prend la gestion quotidienne de l’équipe, quel serait le rôle de l’Etat?
Nous pensons que l’Etat devrait concentrer ses efforts financiers à la construction des infrastructures. Imaginez le nombre de stades que les 20 à 25 milliards dont je parlais tout à l’heure auraient pu construire!
D’ailleurs, nous envisageons sérieusement la possibilité de prendre entièrement en charge le financement de nos équipes nationales afin de permettre à l’Etat de réaliser des économies qui pourront lui permettre d’investir dans les infrastructures qui sont actuellement le véritable talon d’Achille de notre football.
Pour nous, l’idéal serait donc que l’Etat renforce la crédibilité de la fédération afin que celle-ci puisse chercher les moyens pour gérer le football à tous les niveaux. Pour l’instant, on est très loin de cet idéal. Imaginez que le ministère envoie souvent des fonctionnaires fouiller dans les comptes des entreprises qui nous ont fait confiance, Mtn, Orange, Brasseries, pour leur demander quel montant elles ont donné à la Fécafoot! La tutelle détient pourtant les copies de tous ces contrats !
Ces visites incessantes sont gênantes pour la crédibilité de la fédération et même pour l’image de notre pays.
Vous ne parlez pas de l’argent que le gouvernement donne à la fédération?
Quel argent? Nous n’avons jamais reçu 1 franc du gouvernement depuis 1998 que je suis président de la Fécafoot. Au contraire, avant même la signature de la convention, c’est la fédération qui soutenait déjà le ministère de façon informelle. C’est ainsi qu’à Béziers en 1998, sans y être contraint, nous avions remis 130 millions de Fcfa au ministre de l’époque, comme contribution de la Fécafoot à l’opération Coupe du monde France 98, parce que nous voyions les difficultés qui se présentaient à l’équipe. Plus récemment encore, pendant le passage de M. Precheur à la direction générale, en moins de quatre mois, malgré la suspension de la convention, il a été mis à la disposition de la tutelle la somme de 156 millions de francs CFA. Vous constatez donc que la tutelle reçoit de l’argent et de l’Etat et de la fédération sans que nous n’ayons aucune visibilité en ce qui concerne son utilisation.
Gérer l’équipe nationale suppose notamment choisir un sélectionneur. Vous êtes à l’origine du recrutement de Artur Jorge, qui a démissionné. Où en est-on avec le dossier du coach des Lions indomptables?
Artur Jorge a lui-même donné les raisons pour lesquelles il s’en va. Je le regrette sincèrement, parce que je pense que c’est l’un des meilleurs entraîneurs que les Lions Indomptables ont eus depuis longtemps. Sous sa conduite, l’équipe nationale avait déjà retrouvé sa cohésion, son efficacité et son pouvoir de séduction. Les Camerounais étaient fiers de leur équipe, malgré les éliminations malheureuses en Coupe du monde et à la Can. Mais l’environnement n’était pas propice pour que ce technicien valeureux puisse continuer son travail.
S’agissant de sa succession, je voudrais qu’un mandat clair soit donné par le ministre à la fédération pour la recherche d’un nouveau sélectionneur. Ce qui se passe actuellement, c’est que, d’un côté, la fédération prospecte officiellement, et de l’autre, des individus totalement étrangers au dossier prospectent aussi. Cette ambiance n’est pas bonne.
Ce que nous reprochons, dans le fond, au ministère des Sports, c’est de vouloir contrôler et gérer à la fois, ce qui n’est pas possible. On ne peut pas gérer et nous demander par la suite de rendre compte. C’est comme si on refusait de tirer les leçons des erreurs du passé. Nous, nous avons voulu la paix, la stabilité, la normalisation de nos rapports avec la tutelle. Et nous avons tout fait pour cela, malheureusement j’ai l’impression que nous avons eu tort de vouloir bien faire.
Vous venez de lancer un appel d’offres pour le recrutement d’un directeur général à la Fécafoot. Le départ en cours de mandat du Français Patrick Precheur est-il un échec pour vous?
Nous sommes très embêtés, dans la mesure où M. Precheur est parti sans laisser de trace, sans qu’il y ait une passation de service en bonne et due forme avec son successeur. Il a filé à l’anglaise, et nous essayons de reconstituer certains dossiers laissés en suspens. C’est clair que c’est une situation gênante. Mais cela fait partie des leçons de la vie. C’est une expérience qui va nous servir pour l’avenir.
Maintenant, après avoir constaté le départ de M. Precheur, l’Assemblée générale, lors de la réunion du 11 mars dernier, nous a donné mandat pour le recrutement d’un nouveau directeur général.
Par souci d’équité, de transparence et d’efficacité, nous avons sollicité l’expertise d’un cabinet spécialisé dans le recrutement de hauts cadres. Ce cabinet va recevoir et trier les candidatures, mener les interviews et procéder à toutes les vérifications nécessaires avant de nous communiquer son verdict final.
Aujourd’hui, tout Camerounais ou toute Camerounaise répondant au profil défini, a toutes les chances de se voir confier le poste de directeur général de la Fécafoot.
Avec toutes ces difficultés que vous signalez, êtes-vous toujours à l’aise sur votre fauteuil de président? Aviez-vous déjà rêvé de diriger le football camerounais?
Ecoutez, honnêtement, avant de devenir président de la Fécafoot en 1998, je n’avais aucun programme ni projet dans ce sens. Moi, j’ai toujours été un passionné du football. Je pensais que je pouvais apporter quelque chose dans la marche de ce football, d’abord à la tête de la Ligue provinciale du Nord, puis au sein du conseil d’administration de la Fécafoot et enfin quand les circonstances m’ont porté à la présidence en 1998. Mais j’avais sous-estimé l’adversité et la résistance des individus au changement, à tous les niveaux. Je ne m’attendais pas à une telle farouche opposition, à ces luttes permanentes. Nous avons trouvé une fédération qui n’existait pratiquement pas et nous en avons fait aujourd’hui une institution crédible gérée dans la transparence.
Autrefois, j’étais très sensible à ce qui se disait et se racontait, à toutes ces manoeuvres malsaines autour de mon action. Aujourd’hui, je suis aguerri. J’ai tellement reçu de coups qu’un coup de plus ou de moins ne va pas me décourager.
Entretien mené par Emmanuel Gustave Samnick, Mutations