Dans cette deuxième partie de notre entretien de lundi dernier à Garoua avec M. Iya Mohammed, il est question de la gestion du football dans le triangle national. Le président de la Fecafoot se penche sur les différents problèmes qui minent les ligues provinciales et des dures réalités du championnat national, entre autres…
Camfoot.com: Certains entraîneurs notamment Lamine N’diaye de Cotonsport se plaignent de l’omniprésence des agents véreux qui déroutent leurs joueurs talentueux, faisant en sorte que leur effectif soit élastique…
Iya Mohammed : Que voulez-vous que je vous dise. Je pense que vous étiez au Caire. Vous avez entendu, vous avez peut-être rencontré le nombre de joueurs qui sont là-bas et qui cherchent des contrats. Mais qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ? Les dispositions de la Fifa aujourd’hui ne nous permettent pas à retenir les joueurs ! Donc, chaque joueur a droit de gagner mieux sa vie. Ici, si on n’arrive pas à donner même cent mille francs Cfa par mois à un joueur; c’est tout à fait normal qu’il puisse chercher fortune ailleurs. Il revient à ces clubs de faire un effort, de donner au moins un minimum. Vous ne pouvez pas attendre qu’on joue pour votre club et être incapable de payer à un joueur un bon salaire par mois. Donc, devant cette pauvreté de nos clubs, nos joueurs préfèrent aller trouver fortune ailleurs. C’est logique ; c’est normal.
Camfoot.com: Président, qui doit être agent de joueurs au Cameroun ? Quelles encadrements avez-vous fait ?
Iya Mohammed : Eh bien, il y a tout un test à faire ! il n’y a pas de problème… La Fifa nous envoie des tests et les candidats peuvent après avoir passé des tests et rempli toutes les conditions requises à la fois à la fédération et à la Fifa, être automatiquement agents de joueurs. Les vrais agents de joueurs, on ne les voit pas. Il y a toujours de faux agents, des soi-disant managers qui ne sont pas qualifiés; des clandestins. Malheureusement, ce sont ceux-là qui sont en train de pourrir l’atmosphère, de pourrir l’ambiance. Et puis, même certains entraîneurs sont en cause, puisque ce sont eux-mêmes qui essaient de trouver des clubs à leurs joueurs. Donc, c’est un pourrissement général. Bref, je le redis, c’est une responsabilité collective. Il doit avoir une prise de conscience générale. Mais, c’est aussi l’état de l’économie du Cameroun qui ne permet pas que des clubs puissent gagner de l’argent, de subvenir à leurs besoins.
Camfoot.com: Ces agents clandestins n’auraient-ils pas des acoquinements au niveau de la fédération ? Comment comprendre qu’un joueur puisse avoir le quitus ou la libération pour aller disputer un championnat étranger sans que son équipe ne soit informée ?
Iya Mohammed : Non ! Il faudra que vous sachiez quand même que nous, nous sommes respectueux des règlements de la Fifa. Il y a un délai. Il y a un minimum de 8 à 10 jours, s’il n’y a pas de réponse de la part du club ou de la fédération, ce transfert devient automatique. Donc, les choses sont très compliquées contrairement à ce que les gens pensent. Aujourd’hui, le délai donné par la Fifa pour répondre à une demande de certificat international est tellement court que nous n’avons pas le temps matériel pour chercher, localiser les joueurs, etc. Donc, les gens deviennent automatiquement transférables. C’est un environnement qui a beaucoup changé. D’ailleurs, nous avons l’intention, si nous disposons des moyens, d’inviter très bientôt quelqu’un de la Fifa pour venir nous faire un exposé ici sur tous ces règlements concernant les joueurs, d’autant plus qu’ils changent au fil des mois. Il y a lieu que les gens puissent savoir à quoi s’en tenir dans ce métier. Mais, j’avoue que ces choses ne sont pas faciles.
Camfoot.com: Mais, il y a que la réalité est là. Ces joueurs vident le championnat local, qui finalement n’a plus de consistance. Est-ce que cela vous ébranle un tout petit peu ?
Iya Mohammed : Mais écoutez…je reconnais ! Je reconnais ! Je vois ce qui se passe ! À peine un joueur est champion du Cameroun, à peine il est sollicité de gauche à droite qu’il veuille partir. Certains joueurs partent même sans être sollicités ; ils partent traîner en Europe, en Amérique du Nord, en Afrique du Sud, en espérant qu’à partir de là, ils peuvent trouver des contrats professionnels. Ce sont des joueurs qui en réalité ne sont pas affirmés; des joueurs moyens. À peine ils passent deux années en première division, ils pensent qu’ils sont arrivés ! Et il y a toujours des personnes qui font rêver. Moi je connais des cas d’un ou deux joueurs qui avaient des contrats assez corrects avec Cotonsport, qui pensaient pouvoir aller en Europe parce qu’ils ont crû à un soi-disant manager. Mais aujourd’hui, ils ne sont nulle part ! Donc, ces joueurs-là doivent faire attention.
Camfoot.com: Parlant de championnat, nous sommes à sept journées de la nouvelle saison. Quelles impressions en avez-vous jusqu’à présent ?
Iya Mohammed : Jusque-là, ça se passe bien. Il est vrai que nous n’arrivons toujours pas à respecter le calendrier comme on aurait voulu. Mais, vous-mêmes voyez-vous le problème : moi j’aurai voulu partir à Yaoundé hier (dimanche, 2 avril, ndlr), il n y’a pas d’avion. Aujourd’hui, il n’y a pas d’avion. Je partirai peut-être demain (mardi), pratiquement la nuit. Donc, qu’est-ce que vous voulez ? C’est la réalité du pays. On ne peut pas quant même voyager par la route et jouer ! Par le passé, ces distances étaient couvertes, facilement par les avions. Moi, je me souviens il y a 20 ans, il y avait deux fois par jour des vols sur Douala et sur Yaoundé à partir de Garoua. Aujourd’hui, je peux pratiquement dire qu’il y a deux vols par semaine. Ceci n’est pas normal. Comme entre-temps, beaucoup d’équipes du Nord sont montées en D1 – en l’occurrence Sahel, Espérance, Coton -, forcément tout ceci pose des problèmes s’il n’y a pas des vols réguliers entre le Nord et le sud du pays.
« Il faut vraiment être de mauvaise foi pour ne pas reconnaître que Cotonsport a ses propres mérites…»
Camfoot.com: Après sept journées, des voix s’élèvent pour réprimer le comportement des arbitres. Quelles sont les dispositions prises par la fédération pour juguler ce mal qui revient régulièrement ?
Iya Mohammed : Écoutez, moi je pense que ces arbitres-là sont censés être les meilleurs. Ils ont été testés ; certains sont des internationaux. Nous avons retenu les meilleurs des meilleurs. Maintenant, il peut avoir des cas à problème; il peut avoir un manque d’appréciation d’un arbitre qui peut fausser un résultat ; mais, laissez-moi vous dire, on a connu aussi ce genre de problèmes lors de la Can. Donc, moi je ne peux pas dire que nous avons les plus mauvais arbitres. C’est tous les jours qu’on constate, qu’on regrette les erreurs des arbitres. En dehors d’un cas qui m’a été signalé il y a quelques jours, à savoir l’arbitre du match Bamboutos – Coton (1-1, 7ème journée, ndlr), moi je n’ai pas reçu d’autres plaintes. Encore que, ce seul rapport ne saurait être unanime, parce que, certains observateurs m’ont fait part d’un arbitrage correct de cet officiel. Tantôt on parlait d’un but hors-jeu, tantôt d’un but marqué à la main. Donc, il y a tellement de contradictions, et je commence à croire que ce cas n’est pas si vérifiable, si avéré tel qu’on nous laisse croire.
Camfoot.com: Parlant justement de ce match que nous avons couvert à Mbouda. Il se dit que le président de la Fécafoot qui est, au même moment, directeur général de la Sodecoton, l’entreprise qui sponsorise Cotonsport de Garoua, influencerait, même indirectement, les arbitres. Il n’y a-t-il pas là, apparence de conflit d’intérêt?
Iya Mohammed : Écoutez…(Hésitant) C’est un fait historique! Je suis le président de la fédération. Mais, avant cela, je suis un cadre de la Sodecoton depuis plus d’une vingtaine d’années. Nous avons créé un club, qui s’appelle Cotonsport. Ce club qui a commencé par la ligue, puis est monté en seconde division. A tenté trois fois pour accéder en première division, ce n’est qu’à la troisième fois qu’il a pu réussir. Depuis, on est régulièrement au top niveau. Les gens doivent être réalistes. Donnez-moi un club qui dépense ne serait-ce que de la moitié de ce que nous dépensons à la Sodecoton pour avoir une équipe performante. Nous avons mis tout ce qu’il faut ! Regardez le stade (de Garoua), c’est nous qui l’avons quand même mis à ce niveau: nous avons fait des forages, nous l’entretenons, ça nous coûte beaucoup de l’argent. On ne peut pas dépenser trois cents à trois cent cinquante millions par an pour entretenir une équipe et attendre qu’elle soit la dernière de la classe ! Si les autres pouvaient faire autant d’efforts, nous aurions aujourd’hui beaucoup de bons clubs.
Moi, je connais beaucoup de personnalités qui sont aussi responsables des clubs… en ce moment, que peut-on dire du Milan AC, puisque son président est le premier ministre italien, et propriétaire de certains médias? Il y a des cas semblables, des cas pareils dans le monde entier. Je pense qu’il faut même imiter ce que fait la Sodecoton; d’autres sociétés peuvent aussi faire autant. Contrairement à ce que pensent certaines personnes, c’est la seule façon si nous voulons assurer un minimum de vie sportive et sociale dans les provinces. Parce que, sans Sodecoton, sans Cotonsport, je ne pense pas que le Nord aurait des équipes en première division. Espérance de Guider, Sahel de Maroua sont là aussi parce que la Sodecoton avait constitué un exemple à suivre. Donc, je pense que c’est comme ça qu’il faut voir les choses. Il faut vraiment être de mauvaise foi pour ne pas reconnaître que Cotonsport a ses propres mérites en dehors d’avoir le directeur général de la Société qui la sponsorise, qui se trouve être président de la fédération.
Camfoot.com: À l’Ouest, certaines voix de présidents des clubs ont menacé de boycotter le championnat pour protester contre la réhabilitation de certains membres exclus lors des barrages…
Iya Mohammed : Écoutez, ce n’est pas moi qui réhabilite qui que ce soit. Nous appliquons les textes réglementaires. C’est l’assemblée générale qui a décidé ainsi. Donc, les gens doivent savoir cela.
Camfoot.com: Il y a le cas du Littoral où les voix se sont levées pour réprimer le maintien d’un membre, David Mayebi pour ne pas le nommer…
Iya Mohammed : Moi, je vous ai dit. La fédération a ses textes. C’est l’assemblée générale qui a pris cette décision. Au niveau du bureau exécutif, nous avons longuement débattu de ce problème. Vous savez, il faut toujours apporter des preuves d’une accusation. Le tout n’est pas de dire qu’il a volé de l’argent ; Il faut apporter des preuves matérielles. Il ne faut pas quand même oublier que ceux qui l’ont accusé ne montrent pas de décharge où Mayebi a pris de l’argent. Qu’ils nous montrent une pièce où Mayebi…ce n’est d’ailleurs pas Mayebi qui gérait le compte dans le Littoral, à ma connaissance. Sachez quand même que c’était Djombi Doff et Tchato (Abraham) qui étaient les trésoriers ! Tchato dit que Mayebi a pris l’argent, mais ce n’est pas lui qui gérait le compte? Ça veut dire que quelqu’un a dû sortir de l’argent pour remettre à Mayebi. Cette personne-là, il lui revient de se signaler et nous en apporter la preuve. On ne doit pas donner 14 millions ou 25 millions sans une décharge. Donc, faute de preuve, nous ne pouvons pas croire à quelqu’un qui ne nous apporte de preuve. Ce que je veux, c’est la preuve. Ce que le comité exécutif veut c’est la preuve. Mayebi a pris l’argent tel jour, avec au moins un document à l’appui. Néanmoins, nous sommes allés au niveau de Mtn pour mener des enquêtes. Ils nous ont informés de ce qui s’est réellement passé. Maintenant, il ne faut pas dire que, parce que Mtn a donné une petite subvention à Mayebi pour entretenir son journal (Journal de l’Afc, ndlr), on va confondre ça avec l’argent de la fédération. Il ne faut pas oublier que les comptes de la Ligue ont été approuvés par les commissaires aux comptes. Je ne peux pas comprendre que ce sont les mêmes qui reviennent aujourd’hui pour dire qu’il y a des problèmes.
Tout ce que je sais, c’est qu’on a apporté des relevés. Sur les relevés il y a plusieurs retraits. Et je n’ai pas vu un retrait qui corresponde à la somme que Mayebi aurait touchée. Ça c’est d’un. De deux, je n’ai pas une décharge qu’il ait pris de l’argent. De trois, ce n’est pas lui qui a les signatures sur les comptes. On me dit qu’il est allé voir Mtn pour avoir de l’argent. Effectivement, Mtn nous a dit que, hors convention, ils ont a apporté une aide, comme ils le font à beaucoup de journaux, à plusieurs sociétés, beaucoup d’organisateurs événements, etc. Est-ce vraiment une preuve suffisante pour aller mettre quelqu’un en prison ? Moi, je ne pense pas. Je ne suis pas fermé. Au niveau de mes enquêtes, je n’ai pas trouvé un cas précis, un cas approuvé de détournements. Et puisque les enquêtes ne sont pas terminées; si c’est le cas je rends compte au comité exécutif, à l’assemblée générale. Et en toute souveraineté, celle-ci peut prendre une décision.
Camfoot.com: Il se dit que l’argent destiné à la Ligue du littoral passerait d’abord entre les mains de David Mayebi. Comment cela serait-il possible ?
Iya Mohammed : Ce n’est pas possible. Je ne me souviens pas qu’il ait reçu de l’argent… La fédération ne donne pas de l’argent comme ça. Qu’on nous montre cette décharge. Je dis, c’est facile. Des gens doivent cesser quand même de porter atteinte à des personnes comme ça ! C’est pareil, on nous accuse d’avoir détourné trois milliards. Moi, je voudrais bien qu’on m’apporte des preuves que j’aurai détourné cet argent qui appartenait à la fédération.
Camfoot.com: Un dernier mot à la communauté du footballistique?
Iya Mohammed : Écoutez, nous sommes en difficulté certes. Mais, ce n’est pas la première fois que l’on nous met dans cette situation. Je voudrais sincèrement remercier l’assemblée générale, c’est-à-dire les membres de cette fédération qui sont conscients de la situation, qui m’ont donné leur quitus. Je leur remercie très sincèrement parce qu’ils sont restés soudés derrière moi. Je leur dirai donc que je ne poserai pas des actes de nature à discréditer cette fédération. Mais maintenant, je sens qu’il y a un complot… c’est plus qu’un complot. Il y a toute une machine qui veut me détruire, qui veut atteindre cette fédération. Je le regrette sincèrement. Mais, qu’ils continuent à avoir confiance en nous, puisque cette affaire risque d’être devant les tribunaux bientôt. On a confiance en cette justice camerounaise.
Entretien avec Kisito NGALAMOU, à Garoua