En marge du match des 16èmes de finales retour de la Champions league africaine qui s’est disputé dimanche dernier, à Garoua, nous sommes allés à la rencontre du président de la fédération camerounaise de football (Fécafoot). Iya Mohammed, le sourire toujours en coin, n’était pas dans ses bureaux de la Fécafoot à Yaoundé. Il était bel et bien dans ses principaux locaux de la direction générale de la Sodecoton à Garoua. Décontracté et visiblement soucieux du devenir du football camerounais, M. Iya était plutôt assez remonté, quand il a fallu aborder ce qu’il appelle «complot et campagne visant à nous salir, orchestrés par le Minsep». Un entretien en deux parties, dont voici la première.
Camfoot.com: Vous avez vécu en direct, dimanche dernier, l’élimination de Cotonsport de la Champions league. L’équipe d’Astres de Douala, l’autre représentant camerounais est aussi tombé. Peut-on dire que le football camerounais piétine et régresse au niveau des coupes africaines des clubs, puisqu’il n’y en a plus dans ces compétitions-là ?
Iya Mohammed : Oui. Ça piétine un peu. Coton comme Astres ont été éliminés. Ceci était presque prévisible pour Astres. Par contre pour Coton, tout le monde attendait qu’il puisse remonter au moins un but. Ça n’a pas été le cas. J’ai vu le match, je pense que nous étions inférieurs à cette équipe congolaise. Il n’y a rien à redire. On a eu deux occasions franches qu’on n’a pas pu concrétiser. Bon…il faut vite oublier ces matches et préparer les futures échéances. C’est tout ce que je peux dire. Ça ne va pas bien, le football camerounais a beaucoup de problèmes. On ne récolte que ce qu’on sème! Je crois que rien n’a été fait pour qu’on obtienne les meilleurs résultats. Nous continuons toujours à traîner derrière, comparé aux grandes équipes de l’Afrique du Nord. Vous savez, un club qui n’a même pas un terrain pour s’entraîner, je ne vois pas logiquement comment il peut gagner contre une grande équipe qui a son premier terrain d’entraînement, qui a son budget, qui a tout…alors qu’ici, nous nous amusons encore. On n’est pas des professionnels, on est très très loin en arrière. Donc, il faut s’attendre à cela. Le football a pourtant beaucoup évolué. Il nous faut des infrastructures…tout ceci nous manque. Hélas ! Il ne faut pas s’étonner qu’on obtienne ce genre de résultats.
Camfoot.com: La faute à qui donc ?
Iya Mohammed : La faute, elle est collective. La faute aux clubs qui n’ont pas pu retenir leurs meilleurs joueurs; la faute à l’État qui n’a pas pu nous fournir sur quoi jouer ; la faute incombe aussi partiellement à la fédération, puisque nous n’arrivons toujours pas à avoir suffisamment de moyens, suffisamment de ressources pour pouvoir subvenir aux besoins de ces clubs, pas seulement sur le plan matériel, mais également sur le plan des infrastructures.
« Les clubs camerounais sont pauvres ; la fédération ne dispose pas des moyens ; l’État a démissionné. Voilà les conséquences aujourd’hui. »
Camfoot.com: Une expression revient toujours selon laquelle lorsqu’une équipe évolue en coupes d’Afrique des clubs, elle a le statut d’équipe nationale. Comment expliquez-vous le fait que nos équipes soient aujourd’hui abandonnées par la tutelle ?
Iya Mohammed : Justement, c’est le nœud du problème. Par le passé, c’est l’État qui finançait les déplacements, la prise en charge de ces clubs. Ce qui n’est pas le cas. Pendant quelque temps, la fédération a pris le relais. Mais, la fédération financièrement ne se porte pas bien. On essaie d’aider ces clubs. Voyez-vous quand l’équipe de Astres partait en Angola, je n’avais pas un sou pour aider ce club-là. Cela dit, ne disposant pas de moyens, nous ne pouvons pas faire ce que nous aurions voulu bien faire. Une compétition africaine au bas mot vaut 12 à 15 millions par match. Et là, personne n’a de l’argent pour entretenir ces clubs, semaine après semaine, d’autant plus qu’il y a beaucoup de clubs qui se sont engagés dans ces compétitions africaines. Donc, faute de moyens, on ne peut faire autrement. Et sachez également que, on ne créé pas une équipe comme cela. On ne peut pas jouer le championnat sans planifier qu’on peut jouer au niveau africain ! Tout est lié. Les clubs camerounais sont pauvres ; la fédération ne dispose pas des moyens ; l’État a démissionné. Voilà les conséquences aujourd’hui.
Camfoot.com: La presse a rendu publics les résultats de la commission Mahop qui aurait décelé un trou de trois milliards au niveau de la fédération. Avez-vous été informé de ce manquement grave?
Iya Mohammed : Tout d’abord, je n’ai pas eu le privilège de lire ce rapport. Je pensais que la moindre des choses serait qu’on me donne le rapport pour en prendre connaissance et que je puisse quand même me défendre. Ce n’est pas le cas. Certaines personnes disposent de ce rapport, et en exploitent à leur guise alors que le principal accusé n’a jamais été tenu informé. Moi, je n’ai pas reçu de manière officielle ce rapport. Donc, il m’est très difficile de vous donner réponse à quelque chose que je n’ai pas vu. Comme tout le monde, j’ai entendu dire que j’aurais détourné trois milliards ; d’après le rapport. Mais, ce rapport officiel, je ne l’ai pas vu ! Personne ne me l’a donné. Ils n’ont pas estimé nécessaire de me donner ce document. Bon, si c’est comme ça que les choses doivent fonctionner, vous conviendrez facilement qu’il y a déjà l’intention de nuire.
« Depuis que je suis à la Fécafoot, je n’ai jamais reçu un franc de l’État camerounais. »
Camfoot.com: L’actualité a été dominée par cette affaire que les gens qualifient même du Scandale de Bilbao, parlant de ce match amical qu’avaient livré les Lions indomptables contre la sélection basque, où il y aurait eu des fuites d’argent. Qu’en est-il exactement ?
Iya Mohammed : Ecoutez, c’est très facile… Ça fait longtemps que le ministre nous accuse d’avoir détourné 100 mille dollars. Mais, il n’a qu’à apporter la preuve! Moi, je dis de manière catégorique, pour ce que je sais, il n’y a jamais eu de transactions, en dehors de la transaction officielle passée par notre organisation de matches amicaux. D’ailleurs, je pense que c’est dans votre journal que j’ai lu que M. Ribeiro (chargé des matches amicaux) a l’intention de porter plainte contre toutes ces personnes qui essaient de ternir son image, de ternir l’image de la fédération. Moi, je n’ai absolument rien à me reprocher. Je n’ai jamais reçu quoique ce soit. La somme que nous avons reçue, la somme officielle, le ministre sait comment nous l’avons partagée : 50 % aux joueurs, nous avons payé les primes olympiques, en plus ce qui d’ailleurs devait leur revenir. Vraiment, l’argent a été géré selon les dispositions prévues en la matière. Maintenant, s’ils ont des preuves que nous avons pris de l’argent, je dis qu’ils n’ont qu’à nous apporter ces preuves-là. Ça fait depuis la Can qu’on en parle, mais personne n’apporte aucun document ou une preuve qu’on aurait reçu cet argent.
Camfoot.com: Monsieur le président, est-ce tous ces problèmes seraient à la base du déclenchement de toutes ces poursuites et enquêtes qui sont menées ces derniers temps à la fédération ?
Iya Mohammed : Écoutez, moi je ne sais pas. Je ne sais vraiment pas. Tout ce que je constate c’est qu’aujourd’hui, nous sommes des accusés. On nous livre à la vindicte populaire. On essaie de nous salir, de ternir notre image et notre réputation pour des raisons que j’ignore. Ce que je sais, et depuis que je suis là, c’est que je n’ai jamais reçu un franc de l’État camerounais. Ça c’est d’un. De deux, l’argent que la Fifa nous donne n’est pas destiné au gouvernement ou à l’État camerounais. De trois, pendant la période de l’enquête, le ministère a perçu 13 milliards de FCFA d’après l’information qui m’est revenue. Je n’ai jamais été associé à la gestion de cet argent. Je n’ai jamais bénéficié de quoi que ce soit depuis que je suis là, au niveau de la fédération. Donc, je ne vois pas l’argent que je n’ai pas reçu. L’argent de la Fifa qui n’est pas destiné au gouvernement, qui est objet d’enquête, en plus, l’argent que nous avons pu chercher nous-mêmes en allant voir des sponsors… Tout ce que je sais, depuis 44 ans que la fédération existe, et je n’ai hérité que des problèmes. A ma prise de fonction, la fédération n’existait que de nom : pas d’archives, pas de comptabilité, des dettes de plus de 700 millions, des arriérés de salaire, pas d’installation…Il n’y avait rien. Rien! Et aujourd’hui, je vois quand même où on est.
Tous ceux qui sont de bonne foi savent ce que nous avons fait. Malgré tout, c’est nous qu’on accuse comme des corrompus, des détourneurs. Que vous voudriez-vous qu’on fasse?… J’espère que cette justice qui sera interpellée sera juste. Dans la mesure où, je dis bien, ce n’est pas la première fois que le Cameroun participe à la coupe du monde. Ça fait des années qu’on y va. Personne n’a jamais posé des questions sur ce que devenait l’argent, quelle destination prenait l’argent récolté, ce qui a été fait. Moi, je dis que j’ai des choses à prouver sur ce que j’ai fait de l’argent. De l’argent soit que nous avons gagné parce que nous sommes crédibles (nous avons pu signer des contrats avec des sponsors), soit de l’argent que la Fifa a payé et qui n’est pas destiné à l’État. Toutes les preuves sont là. J’avais voulu être correct vis-à-vis du gouvernement. J’étais conscient des mauvaises relations qui existaient entre la fédération et le gouvernement, j’ai donc fait un pas. J’ai même initié cette convention. Donc, je ne vois pas sur quel plan je suis fautif. J’avais voulu normaliser nos relations, mais voilà où est-ce qu’on en est aujourd’hui. Malheureusement.
Camfoot.com: LA Fifa a-t-elle réagi depuis que ces enquêtes ont commencé à la fédération ?
Iya Mohammed : A ma connaissance non, rien d’officiel. J’ai simplement demandé à la Fifa, pour prouver ma bonne foi, de m’envoyer tous les documents relatifs à l’argent que j’ai reçu depuis que je suis là. Ce que la Fifa a fait. Et c’est vraiment très loin des chiffres que j’ai vus circuler dans les médias; rien à voir avec les dizaines de milliards que vous avez évoqués.
Camfoot.com: Votre tête gênerait-elle certaines personnes ?
Iya Mohammed : Peut-être. Tout ce que je sais, c’est qu’il y a une machination. Il y a un plan de me détruire, pas seulement au niveau de la fédération, mais aussi de m’empêcher de jouer un rôle public dans ce pays. C’est le sentiment que j’ai.
Camfoot.com: Et s’il arrive que ces personnes poussaient le bouchon plus loin, capituleriez-vous ?
Iya Mohammed : Moi, je pense que le problème n’est pas là. Personne ne me dit « cessez d’être le président de la fédération ». Personne ne m’a posé ce genre de question ; je constate tout simplement que depuis un certain temps je ne gère que des difficultés. La tutelle ne me facilite pas la tâche. Bon, mais, je suis aussi un combattant. Je vais me défendre avec le dernière goutte de mon énergie. Et puis bon, si le destin a décidé autrement, personne ne peut échapper à son destin.
« Je sens qu’il y a un complot …c’est plus qu’un complot. Il y a toute une machine qui veut me détruire, qui veut atteindre cette fédération. Je le regrette sincèrement (…) Puisque cette affaire risque d’être devant les tribunaux bientôt ».
Camfoot.com: Président, si on vous demandait quelles relations entretenez-vous avec l’actuel ministre des Sports…
Iya Mohammed : Moi, je n’ai aucune relation avec lui… Mais, c’est le patron du sport. C’est la tutelle, et je lui dois tout le respect requis. On n’a pas de problème particulier.
Camfoot.com: Votre sentiment suite à la démission d’Artur Jorge à la tête des lions indomptables ?
Iya Mohammed : Disons que le ministre m’a demandé ma lecture de la situation. Je lui ai dit ce que j’en pense. Je lui ai aussi donné mon point de vue sur cet encadrement de notre équipe nationale. Il y a trop de gens dans l’encadrement. À quoi nous servent les préparateurs psychologiques et autre médiateur ? Il faudrait rationaliser ! Il y a des choses qui se passent, de manière peu classique. J’attends sa réaction, qu’il me donne, comme cela a été le cas pour Artur Jorge, un quitus clair pour que la fédération cherche l’entraîneur. J’entends par ci et par là qu’il aurait commis des gens pour chercher un entraîneur. Si c’est cela, il n’y a pas de problème.
Entretien avec Kisito NGALAMOU, à Garoua
À Suivre…