« Le futur sélectionneur doit avant tout aimer le Cameroun. Il doit s’imprégner de l’environnement camerounais et se préparer à composer avec, à surfer entre toutes ces contingences qui nous sont propres. Il doit avoir du caractère, savoir dire non, se consacrer à son boulot. Sans a priori, je vois un homme qui est la synthèse de Claude Leroy, Guy Roux et Arsène Wenger. Existe-il ? Mais, franchement, cela ne me nuirait pas que Pierre Lechantre revienne. »
Plusieurs candidats postulent au poste de sélectionneur de l’équipe nationale de football du Cameroun. Quelle lecture vous inspire le mode de recrutement en cours ?
Jean Lambert Nang : Il y a avant tout une vérité : un grand entraîneur ne postule pas à un poste. On le connaît, on connaît sa carte de visite, son palmarès, sa personnalité ; et on va le chercher par rapport à son profil. A défaut, il est introduit dans le jeu par toutes sortes d’agents aux desseins pas toujours compatibles avec la moralité de l’entraîneur ou du sélectionneur. Je crois que ceux qui frappent à la porte du Cameroun obéissent à la deuxième catégorie. Ils sont plusieurs, ce qui rassure quant à la santé (bonne) de notre sélection nationale. Seulement, il y a un hic : qui donc est chargé de recruter un sélectionneur pour le Cameroun. La procédure réglementaire induit que la Fédération, parce que c’est elle seule qui est habilitée -par la Fifa- à parapher un contrat de football, recrute et propose au gouvernement.
Jean-Pierre Ndjemba : Je pense que le grand public dont je fais partie n’a pas une information tout à fait irréfutable sur les noms des candidats qui se bousculent à la Fécafoot et au ministère des Sports. Donc, il est difficile de se prononcer. En ce qui concerne le mode de recrutement, la méthodologie utilisée par les deux organes que sont la Fécafoot et le Minsep n’a pas été révélée. Je pense qu’il est important, compte tenu de l’importance de ce choix, que les choses soient véritablement clarifiées dans ce domaine. Sur la question, je pense qu’il y a des préalables. Le premier est que le travail de sélection de l’entraîneur se fasse en symbiose avec la Fécafoot et la tutelle. La tutelle, parce que c’est elle qui paie l’entraîneur et la Fécafoot parce que sa caution rassure l’entraîneur. En cas d’impayés, l’entraîneur expatrié se retourne vers la Fifa qui est le partenaire de la Fécafoot pour rentrer dans ses droits systématiquement. En l’état actuel des choses, je n’ai pas l’impression que ce soit le grand amour entre ces deux entités. La deuxième chose, c’est que la Fécafoot, en accord avec la Fifa, a décidé de confier la gestion opérationnelle des dossiers à une direction générale… Je vois mal cette opération se réaliser sans qu’il y ait une direction générale qui puisse préparer (élaborer les critères de notation) les dossiers et suggérer la méthodologie aux structures électives de la Fécafoot et au ministère. Sinon, on va dans tous les sens. Cette structure technique est importante parce que, dans ma vision des choses, il ne s’agit pas de choisir une personne mais un arsenal.
Au sein de l’opinion nationale, beaucoup se prononcent pour le recrutement d’un entraîneur national qui, selon Samuel Eto’o Fils, présente les mêmes qualifications que les expatriés. Avez-vous une religion à ce sujet ?
JLN : Akono Jean-Paul a bien remporté l’or aux Jeux olympiques de Sydney à la tête des Lions indomptables, et dans des conditions épouvantables. Je pense qu’Eto’o Fils se réfère à cette compétition. Au niveau de la compétence, des diplômes, du rapport aux joueurs, certainement que nos entraîneurs répondent au profil requis. Ne sont-ils pas parfois formés par ceux qui deviennent leur patron sur le terrain ? A contrario, il se pose un problème de stature. “ A beau mentir qui vient de loin ”. Les entraîneurs expatriés dégagent plus de respectabilité. Ils sont payés entre 10 et 15 millions de francs Cfa quand le local réunit à peine 500 000 F Cfa. Il est logé au Mont-Fébé, roule carrosse et entre chez le ministre sans passer par la salle d’attente. Le Camerounais n’a jamais droit aux mêmes égards. Le ministre lui parle comme à un subalterne de son ministère et lui fait parfois porter la responsabilité de certains choix de joueurs incongrus. Croyez-moi, on organise des festins pour faire chic devant l’expatrié, mais on n’hésite pas à couper dans la prime de victoire du compatriote !
J.P.N : Je ne vois pas de quoi se mêle Monsieur Eto’o Fils. Il est footballeur, je ne vois pas quelle opinion il a à donner sur l’entraîneur. Parce que, si on se lance dans cette voie, on pourrait se retrouver avec un entraîneur commandité ou imposé par des joueurs et qui sera à leur merci. Il faut totalement exclure les footballeurs de ce processus. Je pense que le football et le footballeur, c’est un tout qui part des plus jeunes jusqu’aux seniors. Je pense qu’il y a toute une restructuration, un réaménagement des encadrements techniques des équipes nationales à mettre en place. Il faut une approche globale, c’est pour cette raison que je vous parlais d’un directeur général qui va proposer cette méthodologie globale et non personnalisée. Deuxième chose, même s’il faut choisir les Camerounais, il ne faut pas que ce soit toujours les mêmes noms. Entre-temps, il y a d’autres Camerounais formés qui exercent tant ici qu’à l’extérieur avec des clubs professionnels. Mais, un expatrié me semble encore nécessaire pour nous aider à choisir les compétences camerounaises en vue d’un pool d’experts. Le statut des encadreurs des équipes nationales doit être revu de manière à ce que toutes les mesures d’accompagnement soient codifiées pour qu’on ne dise plus que le national n’a pas les moyens de l’expatrié. Dans l’immédiat, on désigne un expatrié de haut niveau et compétent comme manager général, qui non seulement va assurer le travail d’entraîneur, mais, surtout, va piloter le grand jury de tous ceux qui seront pressentis pour les staffs techniques de toutes les équipes nationales de football.
En tant qu’observateur de l’environnement dans lequel ont évolué quelques entraîneurs nationaux de l’équipe nationale du Cameroun, quelles auront été les plaintes récurrentes ?
JLN : Le principal reproche qu’on est généralement amené à faire aux entraîneurs de l’équipe nationale c’est leur assujettissement à l’autorité du sport ; une soumission parfois aveugle qui les mène à s’asseoir sur les fondamentaux. Des ministres interviennent ainsi de façon intempestive dans l’emploi du temps quotidien de la sélection nationale. Des réunions interminables se succèdent sans que l’on se soucie de la récupération des joueurs. La politique est partout présente comme si les joueurs ne savaient pas qu’ils sont là pour défendre un drapeau, une nation. Et l’entraîneur est happé, impuissant face à ces collusions qui mettent à mal son planning. A tout moment, on peut tirer un joueur de la sieste pour honorer une visite de courtoisie inopinée de quelque patriarche. En clair, ce qui complique le travail des entraîneurs au Cameroun, c’est qu’ils ne sont réellement seuls comptables de leur sélection. Les vrais patrons sont ailleurs. Tout au plus, on leur demande de donner les noms des onze titulaires et des trois remplaçants, le reste de la liste étant composé de cousins et de fils des amis du décideur.
J.P.N : Ils ne sont pas bien payés que les expatriés, ils n’ont pas les mêmes avantages… J’ai envie de leur demander pourquoi donc accepter d’assumer ces missions si vous estimer que ce qui vous revient est insuffisant et ne vous permet pas de travailler ? L’expatrié qui arrive négocie un contrat. Pourquoi le Camerounais accepte de travailler pour s’en plaindre après ? Il faut avoir une approche globale, tout doit être codifié pour que chacun sache à quoi il a droit. Les entraîneurs nationaux se plaignent aussi du manque d’indulgence des Camerounais. En général, quand un sélectionneur fait des choix objectifs, il n’y a aucune plainte. Les plaintes commencent à fuser à partir du moment où il y a des choix bizarres. Ils devraient apprendre à être objectifs, honnêtes, à ne pas être influencés par ce que gagnent les joueurs.
Plusieurs entraîneurs expatriés ont également dénoncé, à maintes reprises, l’environnement autour des Lions indomptables du Cameroun, notamment les collusions et pressions de toutes sortes. Quelle est la part de vérité de ces accusations ?
JLN : Je l’ai déjà dit plus haut. Pour qui veut véritablement exercer comme sélectionneur au Cameroun, il n’y a pas de place. A moins de se contenter du peu d’espace que l’on laisse à l’expression du professionnalisme, généralement à l’approche des grandes compétitions, aucun entraîneur ne peut accepter de patauger dans tant d’amateurisme. Mais, la chance du Cameroun c’est de toujours avoir disposé de sélectionneurs qui tombent passionnément amoureux des Lions indomptables. Sinon, ils auraient tous démissionné avant le terme de leur contrat. Figurez-vous, ce sont eux-mêmes qui recherchent les camps de préparation, négocient la libération des professionnels, achètent parfois leur billet d’avion pour une mission de prospection à l’étranger, pour être à la fin remercié comme des tocards avec de nombreux mois d’arriérés de salaires !
J.P.N : Dans tous les clubs de football, toutes les équipes nationales, il y a toujours des collusions. C’est une partie intégrante du métier et c’est à l’entraîneur de savoir gérer ces pressions. Quand on est entraîneur, on écoute et on tranche. Si l’autorité qui vous emploie estime que votre décision n’est pas bonne, alors elle prend ses responsabilités et l’entraîneur décide de démissionner. Pour Artur Jorge qui a parlé de pression, s’il a cédé, alors il n’est pas un entraîneur.
Pensez-vous qu’un national puisse échapper aux contraintes et pesanteurs de cet environnement ? Si oui, quelles en sont les préalables à observer ?
JLN : S’il est déjà pénible pour un expatrié de travailler dans les règles de l’art, qu’en serait-il pour nos compatriotes ? Ils n’ont aucune considération de la part du ministre des Sports qui estime que c’est un grand privilège qu’il leur a fait de les nommer à ce poste, et fait planer en permanence sur leur tête le spectre de la destitution. Un entraîneur camerounais qui s’engage avec le Cameroun doit s’attendre à toutes les humiliations publiques. Devant les joueurs et autres affidés de la cour royale qui accompagne le ministre, tout le monde lui parlera sans égard. Passe encore qu’on gagne. Mais en cas de défaite, n’importe qui lui reprochera ses choix stratégiques, ses choix de joueurs et même sa façon de s’habiller. Dur, dur…
J.P.N : Un seul préalable, quand vous faites ce métier, il faut être objectif. Il faut être droit et cohérent dans vos choix. Dès que vous commencez à subir des influences, il est difficile de s’en sortir. Il faut choisir les joueurs qu’il faut parce qu’ils sont les plus méritants. Et vous devez pouvoir l’expliquer au public parce qu’il y a toute une communication à développer. Quelqu’un comme Artur Jorge n’a jamais communiqué. Il met une équipe en place sans dire pourquoi il choisit tel et non tel autre. En coupe du monde, il y avait toujours des conférences de presse. Il doit expliquer au Camerounais ce qu’il fait, quelles sont ses perspectives ou ses choix ? Il faudrait que seul le mérite guide les choix.
Quel serait, à votre avis, le profil du futur entraîneur de l’équipe nationale de football du Cameroun ?
JLN : Le futur sélectionneur doit avant tout aimer le Cameroun. Il doit s’imprégner de l’environnement camerounais et se préparer à composer avec, à surfer entre toutes ces contingences qui nous sont propres. Il doit avoir du caractère, savoir dire non, se consacrer à son boulot. Sans a priori, je vois un homme qui est la synthèse de Claude Leroy, Guy Roux et Arsène Wenger. Existe-il ? Mais, franchement, cela ne me nuirait pas que Pierre Lechantre revienne.
J.P.N : Je suis clair, dans l’état de confusion actuelle, il ne faut pas pousser un Camerounais au suicide en lui confiant l’équipe nationale. Il y a toute une restructuration à amorcer, toute une réorganisation à mettre en place. C’est la raison pour laquelle il faut quelqu’un d’assez costaud à la direction générale de la Fécafoot pour mener à bien cette affaire, mettre les gens sur orbite et préparer la prise en main de cette responsabilité. Tout se prépare ! Il ne faut pas envoyer dans l’état actuel un Camerounais à la boucherie pour que dans trois mois, il soit vilipendé ou insulté. C’est quelque chose qui doit se préparer.
Quel serait son cahier de charges à court, moyen et long terme ?
JLN : Nous qualifier pour la Can 2008, et la coupe du monde 2010. Redonner une âme aux Lions indomptables et, par conséquent, redonner le goût du football aux Camerounais. La matière est là. Les moyens ne manquent jamais.
J.P.N : Il y a deux choses, pour cet ultime entraîneur expatrié qu’on prendrait. Première chose, la qualification pour la coupe du monde 2010 pour nous permettre d’arriver le plus loin possible, c’est-à-dire au-delà des quarts de finale. Deuxième chose, nous aider à mettre en place tous les staffs techniques des équipes nationales, y compris ceux qui vont être à ses côtés pour le transfert des compétences. Nos entraîneurs ne se recyclent pas.
Propos recueillis et
Publié le 19-07-2006