Peut-être c’est le chemin de la gloire qui s’ouvre pour El Pacha. C’est du moins le souhait de tous les supporters, joueurs, entraîneurs et dirigeants de cette équipe, approchés après la première victoire (2-1) de leur équipe, dimanche dernier, sur leurs installations face à Sahel de Maroua. Suffisant, tout au moins, pour que son président général s’en émeuve. Dans cette interview, Dr Pierre Nguefack, dans une éloquence pompeuse, déroule les grandes ambitions de l’Aigle royal de la Menoua, qu’il appelle de tous ses vœux à une modernisation plurielle. Lisez plutôt…
Camfoot.com: Président, qu’apprend-on de la première victoire de votre équipe ?
Dr Pierre Nguefack : Ecoutez, le championnat de première division cette année, n’est pas une course de vitesse. Depuis que l’Oiseau de la Menoua a eu à faire trois faux pas, je vous ai dit qu’il y a encore du temps pour remettre les pendules. Donc, aujourd’hui, c’était une confirmation de ce que je pensais, depuis ce que j’ai vécu avec les gars à Buéa dernièrement. Deux défaites, un match nul et une victoire, j’ai le sentiment de fierté. Ce d’autant que la première victoire se déroule devant notre public. Je crois que les gars ont commencé à gagner, et nous souhaitons, nous tous, avec vous pourquoi pas, que ce soit le départ.
Camfoot.com: ce fut un accouchement difficile. Qu’est-ce qui peut expliquer cela ?
Dr Pierre Nguefack : Vous savez, lorsqu’il y a accouchement difficile, que ce soit par césarienne ou comment, c’est toujours l’accouchement. L’enfant est né. Tout au moins, disons qu’au début de la saison, l’équipe a connu des moments un peu difficiles. Ça peut arriver à tout le monde. Et jusqu’après, nous avons diagnostiqué le problème ; nous sommes en train d’apporter les solutions. On voit que l’Oiseau commence à respirer et il doit voler haut.
Camfoot.com: Qu’est-ce que vous avez pu alors remarquer comme problèmes après diagnostic ?
Dr Pierre Nguefack : Vous savez, si je tiens à faire le diagnostic et en donner les réponses ici à la presse, ce sera du n’importe quoi. L’Oiseau de la Menoua a démarré timidement. La plus grande difficulté c’est que nous sommes partis de la deuxième division pour la D1 avec une équipe. Et comme je vous ai dit l’année dernière, l’équipe qui a évolué en D2 ne doit être pas la même qui va évoluer en première division. Et cela demande du temps pour restructurer, et de faire en sorte que les gars démarrent aussi efficacement que les autres équipes.
Sachez que les équipes qui nous ont gagné dès les premières journées étaient des clubs qui étaient déjà en première division, qui avaient déjà leur effectif, qui avaient déjà de l’expérience. Et nous, il fallait refaire notre groupe et donner un coup de pouce aux gars pour qu’ils puissent fonctionner. Aujourd’hui, le travail est fait. Mais, nous ne pouvons pas vous dire qu’il est définitivement fait. Une équipe de football, ça se construit tous les jours. Dès lors que le Mercato nous permet, on essaie d’apporter les solutions à des postes qui ont été fragilisés, au vu des observateurs avisés comme vous.
« L’apport du congrès ne peut pas être un financement sur lequel l’on doit spéculer pour gérer une saison…Une équipe de football aujourd’hui et, je l’ai créée depuis deux ans, doit être gérée comme une entreprise moderne ».
Camfoot.com: Ne trouvez-vous pas qu’il est impératif de convoquer un congrès de l’Aigle de Dschang, de peur qu’on ne dise pas que le président Nguefack aurait confisqué l’équipe ?
Dr Pierre Nguefack : Ecoutez, une équipe de football aujourd’hui et, je l’ai crée depuis deux ans, doit être gérée comme une entreprise moderne. Vous ne pouvez plus continuer à prendre une entreprise comme une équipe de football et ne faire que la lecture d’une comptabilité à une colonne, celle des dépenses. Détrompez-vous, la seule source de financement n’est pas de réunir les gens et de leur demander des dons. Sans ignorer cette source-là, qui est le congrès, où on réunit les gens, ils cotisent un peu de leur argent qui, ici à l’Ouest chez nous les Bamiléké, est considéré comme des sacrifices que toute la population donne pour que leur équipe évolue dans de bonnes conditions, l’apport du congrès ne peut pas être un financement sur lequel l’on doit spéculer pour gérer une saison.
Cette saison, nos besoins prévisionnels sont de 117 millions. Pendant le parcours, si nous entamions la course vers la coupe du Cameroun, il faut corriger ces données à la hausse. Avez-vous déjà entendu qu’en une saison, par un système de congrès, l’on a pu réunir ne serait-ce que 10% de cette valeur ? Je vous dirais tout de suite Non. Néanmoins, on ne peut pas l’ignorer parce que, ce sont des vieilles méthodes. Lorsque le football n’était que le jeu populaire, il n’y avait pas beaucoup d’exigences comme aujourd’hui, on ne payait pas les joueurs, il n’y avait pas les histoires de primes de signatures, ainsi de suite. La population se réunissait et cotisait de l’argent pour donner aux joueurs. Mais, aujourd’hui, il faut trouver d‘autres sources de financement.
Là je fais appel aux supporters de l’Aigle royal de la Menoua pour leur dire que, leur équipe ne saurait être confisquée par quelque individu que ce soit. Ça reste leur équipe. Mais, leur équipe est entre les mains de quelqu’un qui sait gérer la chose publique. Je ne peux pas orienter l’équipe maintenant vers n’importe quoi. Je suis néanmoins compréhensif. Tout dépendra des propriétaires de l’Aigle royal de la Menoua – parce que les vrais propriétaires sont ces supporters-là, tous les ressortissants et sympathisants qui manifestent une volonté envers l’équipe au-delà des frontières de la Menoua. Cela dit, je tiendrai compte de la demande pressante de notre porte-feuille supporters quant à la tenue d’un congrès. Mais, quant aux modalités et aux échéances à prévoir, nous y sommes penchés. Nous allons élaborer un calendrier des congrès, pas du congrès. Nous voulons, toujours dans notre politique, faire des congrès dans toutes les villes où nous supporters sont nombreux, surtout dans toutes les villes où nous allons rencontrer une équipe pendant le championnat 2005. Durant lesquels nous allons expliquer aux supporters comment leur équipe est gérée. L’essentiel pour nous n’est pas automatiquement de collecter de l’argent. Néanmoins, nous acceptons les dons de nos supporters comme signe de bénédiction pour que l’Aigle continue toujours à bien jouer.
« Vous ne serez pas étonné que, d’ici le mois de mai, l’équipe dirigeante actuelle (…) donne une autre formule à la gestion du club qui sera, peut-être, une Société anonyme à but sportif. »
Camfoot.com: Vous parlez de modernisation de l’Aigle de Dschang. Qu’est-ce qui est fait pour entériner les mesures que vous avez annoncées depuis la saison dernière ?
Dr Pierre Nguefack : Je peux vous dire, une de mes plus grandes difficultés c’est que, je suis le président qui doit gérer les mutations. La première, c’est le passage de l’équipe de la deuxième en première division. Elle ne s’est pas faite sans gêne parce que, nous avons pris l’Aigle au moment où l’Aigle souffrait péniblement. Il fallait d’abord redresser et puis, mettre l’équipe en compétition. L’un des constats que nous avons faits, c’est que, depuis des années, tout en remerciant tous ceux qui sont passés comme managers dans cette équipe, l’Aigle est resté sans aucune base structurée à l’intérieur de sa propre cité, donc à Dschang. Imaginez-vous un seul instant : l’Aigle, pendant plus de vingt ans, n’a pas eu de bureaux à Dschang. Je n’ai pas à vous cacher. Quand vous n’avez pas de bureaux, vous ne pouvez pas avoir une comptabilité financière fiable ; vous n’avez pas une administration pouvant vraiment faire les courriers de l’équipe et faire les réponses, parce que l’équipe est sollicitée par des institutions diverses. Que ce soit la Fécafoot, le club des supporters, les banques, nos sponsors, etc. Il fallait organiser tout ça. Ce qui n’est pas chose facile. Nommer les hommes en fonction de leur compétence.
Camfoot.com: Les hommes compétents manquent-il dans la Menoua?
Dr Pierre Nguefack : J’ai eu la chance d’avoir des gens qui, sur le plan footballistique, étaient hyper compétents. Mais, il fallait réformer les mêmes gens pour qu’ils comprennent que, l’équipe étant encore une entreprise privée, la compétence footballistique seule ne suffit pas. Il faut amener maintenant les gens à comprendre d’autres valeurs : gestion du club, gestion financière, gestion des hommes, etc. Et là, ce n’est pas facile parce que les gens sont déjà entrés dans les habitudes depuis plus de 20 ans. Ils savent que, après un match, on va chez le président, on s’assoit, il organise une bonne nourriture, on mange, on boit, il envoie la main dans la poche, demande combien de joueurs doivent percevoir les primes, il les paie, etc…Aujourd’hui, il me faut créer les infrastructures de gestion moderne. Que nous mettions en place un service financier qui fait appel aux instruments intermédiaires modernes, c’est-à-dire les banques. Il faudrait que, compte tenu de la lecture que l’on fait de l’Oiseau de la Menoua, à savoir une équipe très populaire, nous fabriquons des produits dérivés de l’équipe ( tee-shirts, stylos, casquettes, etc) qui vont faciliter son autofinancement.
Au-delà de ces gadgets, qui entrent dans la gestion traditionnelle d’une équipe moderne, l’objectif de l’Aigle de Dschang, je l’ai dit depuis l’année dernière, est de faire en sorte que l’Aigle royal de la Menoua ait autour de lui des unités entreprises de taille moyenne qui puissent générer des frais qui puissent supporter les frais les plus élémentaires tels que les primes d’entraînements et de match. Au lieu des cartes de supporters, on innove, en pensant beaucoup plus élégant de mettre à la disposition de nos supporters, les autocollants dont les prix seront inhérents aux différentes catégories sociales. C’est dire, tout le monde sera concerné. Sur ce plan, il faut redynamiser les clubs de supporters à travers le triangle national. Vous ne serez donc pas étonné que, d’ici le mois de mai, l’équipe dirigeante actuelle de l’Aigle convoque un Conseil d‘administration et donne une autre formule à la gestion du club qui sera, peut-être, une Société anonyme à but sportif.
« La popularité de l’Aigle ne doit pas fragilisée par la mise en place d’une méthode qui exclut nos supporters aux petits revenus.»
Camfoot.com: Ce serait alors une innovation majeure et d’emblée difficile à entrer dans les mœurs à Dschang…
Dr Pierre Nguefack : Ecoutez, cela ne se fait pas par des chantages d’inter-quartiers comme certains apprentis sorciers sont en train de proférer. Lorsque vous amenez une méthode de gestion assez délicate et précieuse comme la transformation des statuts, il faut faire ce qu’on appelle la pédagogie de proximité, c’est-à-dire vous faites les petites réunions selon les regroupements régionaux des supporters. C’est dans cette optique que je suis allé au Nord dernièrement où j’ai expliqué aux gens ce que je veux faire réellement. Je leur ai expliqué ce que c’est qu’une entreprise anonyme à but sportif et qui doit être gérée en conseil d‘administration. Parce que les apprentis sorciers malheureusement, dès qu’ils s’agitent dans les banlieues wouriennes c’est-à-dire à Douala, ont cette mentalité du fait qu’ils sont habitués à gérer leur fonds par la notion des « amis du 12 », « les amis du 8 » qu’on appelle autrement les tontines, croient que le conseil d’administration d’une entreprise c’est s’arrêter, cotiser les fonds et se disperser. Non. C’est plus complexe que ça.
Moi je voudrais que, la popularité de l’Aigle ne doit pas fragilisée par la mise en place d’une méthode qui exclut nos supporters aux petits revenus. Si un groupe de supporters cotise leurs 100 francs, ou leurs 1000 francs, se met en association et envoie leur fonds au conseil d’administration, ces supporters sont beaucoup plus importants que quelqu’un qui sort 50 millions ! Parce qu’ils constituent notre base, des gens qui peuvent nous donner la voix. Des mauvaises langues parleront de groupe de pression, mais pour nous, c’est un bon groupe, ce sont nos vrais supporters. Avant de se lancer dans ce genre d’aventure, il faut lancer le thermomètre dans toutes les couches sociales, afin que l’équipe qui aussi populaire soit soutenue à tous les niveaux.
Camfoot.com: Que vous inspire finalement la suite du championnat ?
Dr Pierre Nguefack : Vous savez, tous les jours, nous faisons les efforts pour être à l’écoute des journalistes, des observateurs du football, des encadreurs, etc, pour qu’on nous dise ce qui manque à l’équipe. Nous tenons tous ces éléments en compte pour que l’Oiseau de la Menoua maintienne le cap de la victoire. À titre d’exemple, juste au sortir du match de dimanche dernier, l’entraîneur m’a dit qu’il a besoin de deux très bons joueurs, mûrs et expérimentés pour faire le mélange avec les jeunes. Et moi je lui ai dit : « Faites des efforts pour qu’on puisse trouver ces oiseaux rares et vous me proposez. On va tout faire pour vous les offrir ».
Camfoot.com: Justement, il semblerait que cet entraîneur aurait, déjà, ces éléments sous la main, et le dernier mot ne serait attendu que de vous…
Dr Pierre Nguefack : Heureusement que vous êtes un journaliste de bonne qualité, et vous dîtes « Il semblerait ». Pour l’instant, vous êtes au conditionnel. J’ai cru entendre qu’il a émis un vœu, et j’ai donné mon affirmation. S’il les avait quelque part, il devrait me les présenter. Donc, on est prêt pour que l’Oiseau de la Menoua soit toujours géré dans de bonnes conditions et que, sur le plan de la compétition, nous soyons toujours en tête.
Camfoot.com: Vous dîtes que vous êtes prêt. Pourtant, d’un moment à l’autre, vous pouvez vous jeter dans un avion pour repartir. Ne trouvez-vous pas que votre éventuelle absence prolongée pourrait jouer en défaveur de votre équipe ?
Dr Pierre Nguefack : Il faut faire la différence entre un club de football et une pouponnière ou un orphelinat. Comme je vous l’ai dit plus haut, l’équipe ne doit pas être identifiée à une personne. Les clubs de football se gèrent aujourd’hui comme de grandes entreprises. Il est vrai, pour certaines raisons comme booster les joueurs, il faut, de temps en temps, assister à leurs matches, les encourager. Parce que je fais partie des plus grands supporters de l’Aigle. Avant d’être le président-directeur général de l’Oiseau de la Menoua, nous sommes d’abord un bon supporter. Lorsque l’occasion me retrouve au Cameroun pour que je puisse être auprès d’eux, je le fais. Mais quant à la gestion quotidienne, pour que les joueurs aient leurs primes d’entraînements, de matches gagnés, nous avons mis en place une organisation moderne. Les problèmes sont résolus systématiquement par une banque en place à Dschang.
Propos recueillis par Kisito NGALAMOU