« La corruption existe au Cameroun depuis bien plus longtemps qu’on ne l’imagine. Mais, c’était à des degrés moindres, compte tenu du régime autoritaire qui prévalait. On n’en parlait pas beaucoup avant 1980, mais il y avait çà et là des sanctions exemplaires. Dans le domaine du football en particulier, personne n’a oublié le scandale de la 8ème coupe d’Afrique des nations en 1972 et ses dérivés. Si la société dans son ensemble est perçue comme corrompue, le sport ne peut en être exempté » : Charles Nguini .
Bonaventure Djonkep : Vous savez, le football est une activité qui regroupe toutes les couches sociales, reflète à peu près le milieu culturel dans lequel on se trouve. Par conséquent, au Cameroun, quand on parle de corruption, pour moi, c’est la morale qui a foutu le camp. C’est la part du gain facile qui amène à faire un certain nombre de choses. Quand, aujourd’hui, dans le milieu du football, règne la corruption, vous allez vous rendre compte que c’est ceux-là qui ont eu l’habitude d’aller très vite vers le gain facile qui cherchent à arriver au sommet par des chemins détournés, au lieu de passer par les marches des escaliers. N’importe qui veut arriver très vite là où il n’a pas travaillé. C’est ce qui explique aujourd’hui que des équipes se jettent trop facilement vers la victoire facile.
La conjoncture économique qui frappe le Cameroun depuis plus d’une décennie peut-elle favoriser l’ampleur de ce fléau ?
Charles Nguini : La conjoncture économique a bon dos. Elle n’explique ni ne justifie tout. La corruption prospère dans le sport camerounais bien avant la récession économique. Souvenez-vous de l’affaire Racing de Bafoussam contre Renaissance de Bamendjoun avec ses 47 buts à 0, de celle d’Ouragan de Loum, de Caïman de Douala et de bien d’autres encore… Il faut reconnaître que depuis le milieu des années 80, ce phénomène s’est amplifié avec la précarité et l’impunité qui ont cours au Cameroun. Alors, l’on a commencé à en voir de toutes les couleurs avec des dirigeants, encadreurs, joueurs et officiels rivalisant d’ingéniosité pour trouver les combines des plus sophistiquées aux plus sordides pour tirer un gain du résultat sportif. Le phénomène s’est banalisé avec des dirigeants rapportant très librement à toute la communauté, comme des faits d’armes, leurs faits de corruption. Et cela, en toute impunité. Et puis, que faut-il penser de ce milieu où les joueurs changent d’âge au gré des circonstances au vu et au su de tous ?
Bonaventure Djonkep : Est-ce que les Camerounais pauvres se jettent facilement dans la corruption ? Je crois qu’une chose est d’être pauvre, une autre chose est de chercher à relever la tête. Ce n’est pas parce que l’économie camerounaise souffre depuis deux décennies que la corruption est entrée dans le milieu du foot. Je voudrais que l’on reconnaisse que dans le milieu du football, il y a beaucoup d’argent qui circule trop facilement ; et cela amène les gens à regarder, à chercher, à s’en accaparer rapidement. Quand je vois des footballeurs qui se font corrompre aujourd’hui, ce sont pas ceux qui ont trente ans, parce que vous parlez de la vie qui est devenue difficile au Cameroun depuis deux décennies. Ce sont des enfants qui n’ont pas fréquenté normalement, parce qu’ils voulaient vite gagner leur vie. Et une fois dans le milieu du foot, au lieu de travailler pour aller au sommet, ils voient Eto’o qui gagne des milliards pensent que, tout de suite, il faut qu’ils ramassent ce qu’ils voient automatiquement. Je ne pense pas que c’est parce que les Camerounais sont pauvres. L’instruction civique n’a plus lieu à l’école. L’absence de la culture du travail explique pour moi, au moins pour une bonne partie, cette corruption dans les milieux du football.
Les cas de corruption les plus récurrents sont observés dans le football. Quelle lecture chronologique faîtes-vous des affaires ayant trait à ce fléau dans la discipline de football ?
Charles Nguini : Autant que je m’en souvienne, la corruption a toujours existé dans le football camerounais sous forme d’arrangements, de copinage et de multiples échanges de services. Elle a surtout concerné les arbitres, dont le cas le plus patent a été celui de Christophe Tomota dans la demi-finale de coupe du Cameroun entre Olympic de Mvolyé et Léopard de Douala. En cela, comme sport roi, le football a vraiment montré la voie. L’arbitre en question a fait des aveux écrits et il a été radié. Le corrupteur, quant à lui, n’a jamais été sanctionné, et la Fecafoot a même décidé de faire rejouer le match. Ce que Léopard n’a pas accepté et a renoncé à disputer une nouvelle fois cette demi-finale. Olympic a été déclaré vainqueur sur tapis vert et a pu accéder en finale et remporter, comme une prime au vice, la coupe du Cameroun. Tout cela s’est passé au stade Ahmadou Ahidjo de Yaoundé, en 1993, devant la plus haute autorité de l’Etat. Quand je vous disais que la corruption se nourrit de l’impunité.
Bonaventure Djonkep : Il y a eu des précédents dans ce pays comme ceux de Tonnerre- Cetef, Mont-Cameroun-Racing de Bafoussam l’année passée. Cette année-ci, on a parlé un tout petit peu de Astre- Sable, et, pour couronner tout, ce cas Bamboutos qui, vraiment, est venu tout gâter. Donc, ce sont des phénomènes qui sont légion. Et n’oublions pas que depuis une bonne dizaine d’années, on parle très souvent des arbitres camerounais qui sont corrompus. Avec, par exemple, Coton sport qui ne gagne pas honnêtement ses matches. Je crois que c’est un phénomène qu’il faut combattre si on veut relever la tête. Parce que c’est un phénomène qui mine effectivement le football camerounais.
Votre commentaire au sujet de l’affaire Bamboutos, récemment relégué en D3 par la Fécafoot pour pratique de corruption ?
Charles Nguini : Pour une fois que la Fecafoot applique ses propres textes, ce n’est pas moi qui vais m’en plaindre. La sanction peut paraître sévère, mais elle a été prise par les organes juridictionnels compétents en la matière, sur la base de faits rapportés par les officiels du match. Ce sont les modes de preuve généralement admise en matière de droit du sport qui est un droit spécifique. Dura lex, sed lex. Malheureusement pour ces cas -là, il n’y a pas de sanction intermédiaire du type retrait de points, amende ou rétrogradation en D2, par exemple. Il faut bien commencer par montrer l’exemple en matière de corruption sportive. Sinon, l’on ne sanctionnera jamais personne. Il faudra alors bien se résoudre à retirer des règlements de la Fecafoot toute sanction relative à la corruption.
Bonaventure Djonkep : Une chose est de reconnaître qu’il y a eu corruption, une autre est de prouver et, enfin, sanctionner. Tout à l’heure, j’ai évoqué le cas de Tonnerre-Cetef ; jusqu’aujourd’hui, on n’a jamais su effectivement ce qui s’est passé. On a seulement vu le championnat du Cameroun passer de seize à dix-huit clubs. J’ai parlé de Mont-Cameroun-Racing de Bafoussam ; on est venu nous dire à un certain moment que la paix sociale amène les dirigeants de la Fecafoot à lever la sanction de Mont-Cameroun. Très bien. Voilà Bamboutos qui se trouve dans la même situation et on ne veut rien entendre. Ce qui m’ennuie le plus, c’est le fait de prendre deux cas similaires et de sanctionner de deux manières différentes. Si on avait commencé par sanctionner Tonnerre et Cetef, Mont-Cameroun et Racing de Bafoussam, aujourd’hui, il n’y aurait pas de problème Bamboutos. Les gens auraient pris de bonnes habitudes. L’embêtant chez nous, c’est que quand cela concerne x, on frappe et quand il s’agit de y, on ne frappe plus. Personnellement, il était question qu’on sanctionne avec la dernière énergie les équipes qui se jettent dans ce fléau-là.
A quelle échelle pouvez-vous attribuez la part de responsabilité des différents acteurs dans cette crise ?
Charles Nguini : La responsabilité première est celle des dirigeants de Bamboutos qui ont enfreint l’éthique sportive d’après ce qui ressort du dossier de la procédure. La Fecafoot a constaté, puis sanctionné les faits dénoncés. Les supporters de Mbouda ont rué dans les brancards en invoquant ce qu’ils considèrent comme une injustice. Les autorités politiques ont tenté de concilier les parties et de calmer le jeu. Tout cela ne me surprend nullement, compte tenu de la mesure prise qui s’apparente à une mort sportive …
Vous êtes revenu sur le cas de Racing de Bafoussam, Cetef, Tonnerre etc… Comment expliquer que ces cas n’aient pas connu les mêmes sanctions ?
Charles Nguini : Les affaires que vous évoquez ont été néfastes pour le football camerounais et une certaine gestion des affaires publiques d’une manière générale. Imaginez – vous que pour la première fois en football, l’on a attribué 6 points à deux clubs (Tkc et Cetef) disputant un même match et qu’il a été impossible d’effectuer un classement final du tournoi Inter poules, réduisant la Fédération à admettre, en violation de ses dispositions réglementaires, 18 équipes en D1. Le tournoi Inter poules dans sa forme actuelle a été l’objet de tellement de scandales, ces dernières années, que chacun ne peut que se réjouir de sa disparition prochaine. Quant à l’affaire Mount Cameroon contre Racing, elle fait partie d’un domaine où argent, politique et chantage ont tissé toutes sortes d’ententes sur le dos du football. Chacun sait ce qui s’est passé. Heureusement que, pour cette circonstance, le tort a été causé à Impots F.C, équipe sans assise populaire et ne pouvant, par conséquent, pas menacer la paix sociale que l’on brandit à chaque occasion. La messe a été dite et la corruption consacrée grand vainqueur aux Awards des mics-macs politico- sportifs.
Bonaventure Djonkep : C’est justement de cela que je parle, c’est-à-dire, être léger par rapport à x et être regardant par rapport à y. Il faudrait qu’à un certain moment, qu’on se décide de commencer à frapper, sinon on va éternellement tourner en rond. C’est dommage que ceux-là qui, aujourd’hui, regardent avec beaucoup de minutie le cas de Bamboutos aient tourné le dos hier par rapport à un président comme Essomba Eyenga qui s’est mis à la télévision nationale pour déclarer que c’est lui qui a fait de Coton sport de Garoua le champion du Cameroun. Parce que Coton sport de Garoua lui avait donné de l’argent. Quand un monsieur comme celui-là déclare une chose pareille, aussi grave, on ne fait rien. Aujourd’hui, il est normal que le président de Bamboutos se lève à la tribune, sorte de l’argent, le mette dans une enveloppe, va la donner à son directeur sportif qui remet au capitaine de l’équipe adverse. On n’a rien fait. Bamboutos, aujourd’hui, se retrouve dans une situation que Coton et Tonnerre auraient dû connaître hier. Pourquoi sanctionner Bamboutos aujourd’hui alors que hier, on n’a pas sanctionné le Coton et le Tonnerre. Pourquoi sanctionner Bamboutos alors qu’on n’a pas sanctionné Mont Cameroun et le Racing ? Si on avait commencé à sanctionner, à frapper les uns et les autres, il n’y aurait pas de continuité, peut-être que Bamboutos ne serait pas arrivé à ce stade. Il faudrait qu’on essaye de rassembler tout le monde, baliser un terrain, mettre les statuts qu’on pourra suivre demain.
Les immixtions du politique dans la gestion du sport ne sont-elles pas un facteur dopant de ce phénomène dans le sport ?
Charles Nguini : Sous l’apparence du divertissement dans le cadre du sport amateur pratiqué chez nous, le sport est devenu le dépositaire de nos ambitions de toutes natures. Par son action multiforme, l’autorité politique a tendance à interférer dans la gestion des Fédérations sportives avec plus ou moins de bonheur. Imaginez-vous qu’au pays des Lions indomptables, il est plus aisé de former un gouvernement de 65 membres que de désigner un entraîneur de football ? Les rapports entre les Fédérations sportives et leur tutelle gagneraient à être mieux codifiés par la signature (longtemps annoncée) des décrets d’application de la charte des sports. Parce que l’activité sportive est d’abord un monde de droit au centre duquel domine la règle. Hors de ce cadre, toute action peut être perçue comme une ingérence et sanctionnée comme telle
Bonaventure Djonkep : Lorsque toutes ces forces s’impliquent dans une affaire de football, est-ce que la Caf et la Fifa ne vont pas en profiter pour nous créer des problèmes ? C’est ce qui m’embête. Parce que ces institutions-là estiment que les politiques doivent rester en dehors du sport. Et ce dossier a été tellement médiatisé qu’aujourd’hui, les dirigeants de la Fécafoot ne savent plus où donner de la tête. On ne peut plus dire que les instances internationales du foot que je viens de citer ne sont pas bien au fait de ce dossier. Il suffit que la Fécafoot commette la moindre erreur pour que la sanction de la Caf ou de la Fifa tombe sur sa tête. Il faut traiter ce dossier avec beaucoup de minutie.
Quelles solutions préconisez-vous pour réduire l’ampleur de la corruption dans les milieux du sport ?
Charles Nguini : Je n’ai pas de solution miracle. Il me semble toutefois primordial que les différents acteurs du sport commencent par observer des règles consistant en la seule motivation de leurs athlètes par des moyens licites et moraux. Ils doivent d’abord prendre l’engagement de s’abstenir de proposer, accepter où solliciter quelque avantage, sous quelque forme que ce soit, en relation avec une rencontre sportive. Ensuite, il importe que les faits constatés soient systématiquement sanctionnés.
Finalement, j’appelle de mes vœux l’adoption, par toutes les Fédérations sportives nationales, d’un code d’éthique. L’assainissement des mœurs sportives passe par là.
Bonaventure Djonkep : Précédemment, je vous ai parlé des états généraux. J’ai essayé de dire qu’il faudrait qu’on rassemble tous les acteurs pour baliser le terrain afin de mettre un terme à tout ce qui s’est passé, et ensuite mieux préparer le futur. Si on ne jette pas des bases solides pour le futur, cela va être très embêtant de dire qu’on commence par Bamboutos alors que, hier, on a laissé tel ou tel autre. Je pense que les acteurs du football doivent se retrouver quelque part pour baliser un terrain pour que tout le monde suive demain.
Propos recueillis par David Nouwou et Olivier Mbéllé (Stagiaire)