Le tirage au sort du 3e tour des éliminatoires de la Coupe du monde Brésil 2014 zone Afrique effectué le 16 septembre 2013 au Caire en Egypte a dévoilé des affiches explosives, à l’instar de Tunisie-Cameroun, Côte d’Ivoire–Sénégal et Ghana-Egypte, au-delà de la confrontation moyenne entre l’Algérie et le Burkina-Faso et celle plus déséquilibrée opposant les Supers Eagles du Nigeria champions d’Afrique en titre aux Walyas, l’équipe nationale de football d’Ethiopie, qui effectue un retour sur la scène africaine après trente (30) ans d’absence.
Revenons uniquement sur l’affiche Tunisie-Cameroun. Ce match suscite beaucoup de commentaires. D’abord, les Camerounais, dans leur immense majorité, ne souhaitaient pas croiser, ni les Eléphants de Côte d’Ivoire, ni les Blacks stars du Ghana, et encore moins les Supers Eagles du Nigeria. C’est la preuve que les supporters camerounais ne font plus confiance aux joueurs et encadreurs techniques de leur sélection nationale.
Elle est bien lointaine, l’époque de gloire où les Lions indomptables régnaient sans partage sur le continent africain. Quatre titres (1984, 1988, 2000 et 2002) et six participations en phase finale de Coupe du monde (1982, 1990, 1994, 1998, 2002 et 2010) sont autant d’arguments qui démontrent la suprématie du football camerounais sur le continent noir entre son premier sacre à Abidjan en 1984 et le dernier essai réussi en 2002 au Mali.
Finie l’époque où le Cameroun était considéré comme la principale puissance du football africain et gagnait, avec de la manière, toutes ses rencontres, aussi bien à domicile qu’en terre étrangère. En effet, pendant au moins deux décennies, alors que les Ghanéens étaient surnommés «les Brésiliens d’Afrique» parce que pratiquant un football technique, les Camerounais, eux, étaient comparés aux «Allemands d’Afrique». Ils étaient à la fois réputés et redoutés pour leur puissance physique et un réalisme hors pair avec des gardiens de classe mondiale comme Thomas Nkono, Joseph Antoine Bell et Jacques Songo’o. Le Cameroun savait pouvoir compter sur une certaine rigueur défensive incarnée par Emmanuel Kundé, Massing Benjamin, Ibrahim Aoudou, Rigobert Song, ou le génie maintes fois affirmé des milieux de terrain tels que Théophile Abéga, Louis Paul Mfédé, Marc Vivien Foé, Lauren Etame Mayer, Emile Mbouh et l’efficacité offensive de Roger Milla, Omam Biyik, Patrick Mboma…
Peut-être faudrait-il rappeler que c’est grâce au talent de ces footballeurs que le football camerounais a écrit ses lettres de noblesse. Pour preuve, depuis que ces joueurs qui portaient la sélection nationale sur leurs épaules ont pris leur retraite, qu’ont gagné les Lions emmenés par Samuel Eto’o l’actuelle figure emblématique de cette sélection? Pas grand-chose, sinon rien du tout !
On comprend donc assez aisément la psychose qui habitait les supporters des Lions indomptables avant le tirage au sort effectué au Caire. Ça aurait pu être pire. Reversé dans le deuxième chapeau, le Cameroun pouvait aussi bien rencontrer des équipes extrêmement difficiles à manœuvrer comme les Eléphants de Côte d’Ivoire, les Supers Eagles du Nigeria, les Blacks stars du Ghana et même les Fennecs d’Algérie qui leur gardent une dent acérée depuis le match amical avorté entre les deux sélections en novembre 2011 pour une histoire de primes non payées côté camerounais.
Au bout du compte, les Lions indomptables sont tombés sur une proie qui semble largement à leur portée. Au point de réjouir leurs inconditionnels supporters. Un coup de chance peut-être. Mais, et c’est notre deuxième constat, il serait prématuré, voire incongru et assez maladroit de croire que la double confrontation d’octobre et novembre prochains est gagnée d’avance.
Volker Finke, le coach allemand du Cameroun tente de rassurer les sceptiques lorsqu’il dit connaître «personnellement le football tunisien, ses forces et ses faiblesses pour avoir travaillé avec plusieurs footballeurs de ce pays à Fribourg entre 1995 et 2002». Mais, il demande aussi de «respecter cette équipe».
Même si la Tunisie a été repêchée trois jours avant le tirage au sort suite à la disqualification du Cap-Vert qui avait aligné un joueur non qualifié lors du match disputé le 7 septembre à Radès, elle reste une formation extrêmement compétitive et habituée à jouer des grandes compétitions. Ses chances de qualification restent intactes face au Cameroun, compte tenu du resserrement des valeurs dans le football africain des sélections, confirment des spécialistes.
Classés 46e mondial au classement de la Fédération internationale de football association (Fifa) du mois de septembre, les Aigles de Carthage de Tunisie, champions d’Afrique 2004 pour quatre participations en Coupe du monde (1978, 1994, 2002, 2006) joueront à fond leurs chances pour trois raisons.
D’abord participer à la 20e édition de la Coupe du Monde de football au Brésil. Ensuite, laver l’affront subit au cours des précédentes sorties face au Cameroun (victoire des Lions indomptables (3-0) en demi-finale de la Can Nigeria-Ghana 2000, double victoire du Cameroun 2-0 et 1-0 au dernier tour des éliminatoires du Mondial Italie 1990 et 2-2 à la Can 2010 en Angola). Et, enfin, susciter de l’espoir au peuple tunisien meurtri par deux années d’instabilité sociopolitique.
Les Aigles de Carthage ont recruté un nouveau coach, Ruud Krol. Le Néerlandais ne dispose plus de beaucoup de temps. Il va néanmoins s’appuyer sur des professionnels expérimentés évoluant en France, en Allemagne, en Belgique et en Asie. Une bonne partie des joueurs sont également issus des clubs du championnat local, Espérance de Tunis, club africain et Etoile de Sousse qui figurent parmi les meilleures équipes africaines depuis plus d’une décennie.
Il faudra marquer plus de buts que l’adversaire sur l’ensemble des deux matches. Et les bruits des vestiaires viennent davantage compliquer la tâche aux Lions indomptables. Le départ annoncé de Samuel Eto’o vient encore semer le doute dans les esprits des dirigeants et joueurs camerounais. Un coût dur pour le pays. D’où l’indignation d’Albert Roger Milla: «Est-ce qu’on va pouvoir marquer des buts sans Samuel Eto’o ?», a-t-il demandé récemment face aux journalistes.
La préoccupation du meilleur joueur africain du siècle selon le quotidien français L’Equipe en 2001 est aussi celle de plusieurs camerounais et notamment le Syndicat national des footballeurs du Cameroun, dont le président David Mayebi a signé la semaine dernière une lettre demandant au capitaine de ne pas abandonner le navire actuellement en eaux troubles. Des tractations engagées au sommet de l’Etat vont probablement aboutir, dans les jours à venir, à l’envoi, en Europe, d’émissaires du gouvernement, pour négocier les conditions d’un retour en sélection du N°9 des Lions indomptables, quadruples Ballon d’or africain, «tueur né» selon ses fans.
Seulement, la seule présence de ce dernier ne garanti pas automatiquement la victoire, encore moins la qualification. Il faut encore composer avec les tâtonnements tactiques de Volker Finke et la prétendue «malédiction» du stade Ahmadou Ahidjo. A trois reprises, les Lions indomptables ont raté la qualification devant leur public médusé. En 2005 face à l’Egypte (1-1) pour le Mondial 2006 en Allemagne. Ensuite, en 2011, contre le Sénégal (0-0) pour les qualifications de la Can Gabon-Guinée équatoriale 2012. Le bus des Lions avait été vandalisé, plusieurs voitures de particuliers brûlées et des boutiques saccagées à la fin du match. Enfin, un autre triste souvenir, c’est l’élimination de la Can 2013 en Afrique du Sud, suite à une victoire insuffisante (2-1) obtenue sur le Cap-Vert alors qu’il fallait gagner par au moins 3 buts d’écart après la défaite (0-2) du Cameroun à Praia au match aller.
Tous les indicateurs montrent donc que le match contre la Tunisie est loin d’être gagné d’avance. Pour parler comme les statisticiens, «c’est du 50-50». Le football camerounais est malade depuis près d’une décennie. Il ne faut jurer de rien et surtout, arrêtons de fantasmer et de croire que le tirage au sort a été clément pour le Cameroun.
Seules une bonne préparation et une discipline de fer au sein de la sélection nationale pourraient permettre aux Lions indomptables d’arracher leur qualification face aux Aigles revanchards. En tout cas, c’est tout le mal qu’on leur souhaite.
Par Jean Robert Fouda