Président emblématique de Diamant de Yaoundé (1985 – 1992), il a, comme tant d’autres, marqué l’histoire du football camerounais. Agé de 57 ans (il est né le 3 juin 1952 à Mbalmayo), il vit aujourd’hui en retrait du milieu du football, mais en reste toujours aussi passionné. Dans l’entretien qui suit, Claude Ndzoudja revient sur ses années à la tête de Diamant de Yaoundé et fait une critique sans concession du fonctionnement du football camerounais pour lequel il a investi et s’est aussi tant investi. Claude Ndzoudja clame aussi sa nouvelle vie, celle-là plus spirituelle, loin des stades de football.
Ce que beaucoup de gens savent de vous, c’est que vous avez été président de Diamant de Yaoundé. Pourtant avant d’en arriver là, vous avez aussi été un sportif de haut niveau…
Effectivement, j’ai commencé comme tout le monde au collège. Dans ma tendre jeunesse, à Douala, dans les matchs inter-quartiers, j’étais le gardien de buts que tous les quartiers sollicitaient. On m’appelait Yachine. Tokoto Jean-Pierre, lui-aussi était gardien de buts et il y avait une grande rivalité entre lui et moi. L’Union de Douala, dont mon père fut l’un des fondateurs, lui a toujours reproché de ne m’avoir pas permis de jouer dans ses rangs. Lui, il privilégiait mes études, parce qu’à cette époque, être footballeur s’assimilait à avoir raté sa vie.
J’ai aussi été international de hand-ball, découvert par l’entraîneur national Tchatchoua quand je venais jouer à Yaoundé. C’est quand je suis allé en Europe que je me suis affirmé au football. J’ai été le premier gardien africain à jouer dans une équipe professionnelle en Europe. J’ai fait un test dans le Red Star, l’équipe de football de Saint-Ouen, dans la région parisienne. Le test avait été concluant. Roger Lemerre, l’entraîneur de cette équipe à l’époque, tenait absolument à m’avoir dans son équipe. Compte tenu d’une altercation que j’avais eue avec Laudu, le gardien vedette du club qui ne supportait pas ma présence, j’ai préféré signer avec Fontainebleau, un club de deuxième division.
Comment arrivez-vous à la tête de Diamant de Yaoundé ?
J’arrive à la tête de Diamant en 1985. Je revenais de France et j’étais cadre supérieur d’une société française, SER-Cameroun, une filiale du Groupe SEREL France, qui m’a affecté ici comme directeur général. Féru de football, j’allais régulièrement voir les entraînements de Diamant de Yaoundé. Au cours de ces entraînements, j’ai fait la connaissance du président Zeufack, qui avait quelques difficultés. Il m’a donc proposé de prendre le club et, tout bêtement, sans savoir ce qui m’attendait, j’ai accepté. Comme je suis un psychorigide, selon les cas, j’ai fait tout ce que j’ai pu pour que Diamant soit ce qu’il est devenu sous ma présidence. En une année seulement, nous avons accédé en première division. Une fois en première division, nous avons joué deux coupes d’Afrique, bref un bon parcours dont je ne me souviens plus très exactement. Je suis resté à la tête de Diamant jusqu’en 1992, si je ne me trompe.
Comment financiez-vous cette équipe ?
C’était un sacrifice personnel. J’étais assez nanti à travers ma société Etracam que j’avais fondée entre temps et qui employait près de 1200 personnes. Et pour avoir moi-même été footballeur, j’ai beaucoup de respect pour les footballeurs. C’est eux qui font le jeu. J’ai aussi beaucoup de respect pour les entraîneurs, parce que c’est eux qui détiennent la science du jeu. Malheureusement, quand je suis arrivé à Diamant, je me suis rendu compte que les gens n’avaient aucun respect pour ces personnes sans lesquelles il n’y aurait pas de football. Ils étaient les plus mal lotis, à cause de la malhonnêteté des dirigeants de clubs et même de la fédération. J’ai donc fait une révolution à mon niveau, en essayant de remettre les choses à leurs places. C’est-à-dire donner au footballeur et à l’entraîneur la place qui leur revenait en tant qu’acteurs majeurs du jeu. Aujourd’hui encore, je suis révolté par la manière dont les joueurs et les entraîneurs sont traités, alors que le football génère abondamment d’argent, suffisant pour leur donner le statut financier qu’ils méritent.
Il se dit que vous avez dépense beaucoup d’argent pour vous attacher les services d’un joueur comme Mbouh Emile…
Tous ces joueurs le méritaient. C’était des porteurs de valeur. Je vous donne un exemple. Quand j’ai fait monter Diamant en première division, chaque joueur a touché comme prime, une somme de 5 millions de Fcfa. Vous pouvez le vérifier, ils sont encore vivants. Et tout cet argent sortait de ma poche. J’adore le football. C’est pour cette raison que j’y ai mis de mon argent, avec tout ce que j’ai eu comme conséquence : la méchanceté féroce des gens, l’ingratitude, etc. N’eût été ma croyance en Dieu, aujourd’hui, je ne serais plus rien. Mais grâce à Dieu, et grâce aux investissements qu’il m’a inspirés à l’époque, j’ai encore beaucoup de réserves…
Comment une telle aventure a-t-elle pu prendre fin ?
Quand je suis arrivé dans le football, j’avais une certaine vision, un peu comme celle que Gilbert Kadji a aujourd’hui. Je voudrais en profiter pour dire que si les gens aiment le football…
Si vous permettez, nous y reviendrons…
Voilà. Donc, je disais que tous les joueurs de Diamant avaient un salaire à la fin du mois. Les meilleurs joueurs du Cameroun étaient donc obligés de venir au Diamant pour avoir les meilleurs salaires et les meilleures conditions de travail. En coupe du monde 90 par exemple, j’avais six joueurs dans l’équipe camerounaise et qui étaient presque tous titulaires. Je peux citer Kana, Mbouh, Massing, Angibeau, etc. C’est pour dire que j’avais une vision que les footballeurs appréciaient.
Et comment donc l’aventure a-t-elle pris fin ?
En fait, quand j’ai pris le Diamant, j’y ai tellement mis de moyens que j’ai été combattu par des énergies négatives. Mes adversaires ont donc tout fait pour que mes affaires tombent. Ils ont détruit mes affaires et comme je n’avais plus de quoi financer le club, il ne pouvait que tomber. J’ai donc démissionné, quelqu’un d’autre a pris le club, un charlatan, qui a vendu les joueurs que nous avions formés, pour s’enrichir. Or, ces joueurs n’étaient pas destinés à la vente. On les formait pour le développement du football camerounais. Il a dilapidé les fonds qui restaient au club et le club a disparu. C’était devenu son commerce.
Est-ce que vous regrettez d’avoir tant investi dans le football camerounais ?
Non. Je ne le regrette pas, pour une seule raison : j’ai donné du bonheur aux gens. Seulement, si c’était à recommencer, je n’aurais plus fait confiance à certaines personnes dont j’ai découvert la malhonnêteté pendant et après qu’ils soient partis du Diamant. Je suis toujours un passionné de foot. La preuve, je regarde régulièrement les matchs du championnat anglais, italien, français, espagnol, etc.
Vous citez tous le championnats, sauf celui du Cameroun…
Je ne le regarde pas. Parce qu’il ne m’intéresse pas. Vous savez, je suis toujours aussi passionné du football comme je l’ai dit, mais il se trouve simplement que je suis déçu et écœuré par la gestion du football camerounais au plus haut niveau, c’est-à-dire la fédération. Je suis choqué de la manière dont on traite les joueurs, les entraîneurs et même les arbitres. Je suis choqué de voir que la plupart des gens qui entrent dans le football, c’est essentiellement pour leurs intérêts égoïstes. Quand ils veulent par exemple faire la politique, ils commencent par le football pour se faire connaître. Je n’ai pas encore vu quelqu’un qui aime véritablement le football pour le football et non pour ses intérêts égoïstes. Après le départ de Issa Hayatou de la Fécafoot, la gestion du football camerounais a commencé à connaître son déclin.
Que pensez-vous alors de la possible candidature de Gilbert Kadji à la présidence de la Fécafoot ?
Cet homme dont j’ai lu quelques bribes du programme dans les journaux, a la même vision que j’avais pour le football camerounais. Pourquoi ne pas lui donner la possibilité d’appliquer ce programme pour le développement de notre football ? J’invite donc le président Iya, à défaut de lui céder sa place, de lui donner au moins la vice-présidence pour qu’ils mettent ensemble ce programme en œuvre pour le développement du football camerounais. Il a déjà fait des choses qui sont palpables, sans être à la tête de la fédération. Contrairement à des gens qui ne connaissent rien du football, qui n’ont rien fait dans le football, mais vivent du football. Je pense qu’il faut encourager cet homme à se présenter. Je lui dis, fonce ! Présente toi ! Et aux délégués qui vont élire, je leur demande, s’ils aiment vraiment le football, de voter pour cet homme, afin qu’il mette sur pied la vision qu’il a du football.
Il faut absolument un changement de mentalités dans la gestion du football camerounais, si nous voulons qu’il se développe. Iya Mohammed a fait son temps. Je n’ai rien contre ce monsieur, mais ce n’est pas un footballeur dans l’âme.
Qu’est ce qui vous choque à ce point dans le fonctionnement de la Fécafoot, au moment où tout le monde s’accordent à dire qu’il y a eu des avancées ?
Vous me faites rire ! Il faut être intellectuellement malhonnête pour prétendre qu’il y a des avancées dans la gestion du football camerounais. Quelles avancées ? Vous parlez de quoi ?
La Fécafoot a déjà au moins un siège, alors que ce n’était pas le cas à l’époque, pour ne prendre que cet exemple là…
Là, vous allez me faire mourir de rire. Si avoir un siège peut faire partie du bilan d’une association, je pense qu’on est là en plein délire. Avoir un siège, c’est d’une banalité incroyable. Même les petites tontines de quartier ont des sièges. Que les gens soient un peu sérieux ! N’importe quoi ! Avant que je ne parte du football, j’ai dénoncé la fédération comme étant une mafia. Rien n’a changé. Pour quelqu’un qui aime le football comme moi, lorsqu’il regarde comment la fédération fonctionne, il se rend compte que c’est une bande de copains qui sont là beaucoup plus pour leurs intérêts égoïstes que pour le football. C’est mon avis. Je n’ai rien contre ces gens-là, je ne parle pas des individus, mais je parle de la structure. Je déplore leur manière de gérer le football. Il est temps qu’ils passent la main.
Le football camerounais est premier en Afrique et nous avons été en finale de la prestigieuse ligue africaine des champions. On peut aussi mettre cela à l’actif de la Fécafoot…
Nous avons une chance extraordinaire d’avoir des joueurs très talentueux. C’est quelque chose que nous avons dans le sang. Il y a une autoformation de nos joueurs. Les bons résultats que nous avons ne font pas partie d’une véritable politique de formation de joueurs mise en place par la Fécafoot. Non ! C’est l’arbre qui cache la forêt. Il y a un problème fondamental dans le football camerounais. Si l’argent que génère le football pouvait véritablement contribuer au développement du football camerounais, nous serions déjà très loin. L’argent que génère le football sert plutôt les intérêts égoïstes des dirigeants. Je n’ai rien contre les individus, mais je dénonce simplement une manière de faire. Ce que je pense, beaucoup de Camerounais le pensent aussi, mais peut-être tout bas.
Je vais vous prendre un exemple. Quand vous voyez un homme comme Bell. Je ne suis pas toujours d’accord avec toutes ses positions, mais j’apprécie son courage. C’est quelqu’un qui peut apporter beaucoup au football camerounais. Mais regardez comment il est combattu. Au point d’être obligé, aujourd’hui, de démissionner de la présidence d’un club dans la Sanaga Maritime, parce que des gens sont viscéralement contre toute idée qui peut venir de lui. Voilà une valeur que nous perdons. Ce monsieur, à un moment donné, a voulu être président de la Fécafoot. Est-ce que cela n’aurait pas été une bonne chose pour le football camerounais ? Mais les fossoyeurs du football ont tout fait pour le singulariser à cause de sa vision non conformiste. J’apprécie Bell, pour le courage de ses pensées. Il faut des gens de cet acabit pour contribuer au développement de notre pays.
Que feriez-vous à la place de l’équipe actuelle de la Fécafoot ?
Il faut s’entourer des gens les plus compétents dans le domaine. Il y a des anciens footballeurs au Cameroun qui sont intellectuellement assis et qui peuvent à juste titre contribuer au développement du football camerounais. Ils ne demandent que ça. Pourquoi ne pas les associer ? Personne ne peut réussir tout seul. Les gens à la Fécafoot se comportent comme des personnes qui tiennent un gâteau et ne veulent pas le lâcher. Quand vous regardez la guéguerre entre le ministère des Sports et la Fécafoot, vous croyez que l’objet social de cette bataille c’est quoi ? C’est à cause des intérêts égoïstes. Les gens ne veulent pas qu’on regarde ce qu’ils font à la Fécafoot. C’est un panier à crabes. Le jour où les gens vont se battre uniquement pour le football, il y aura un progrès extraordinaire. Je vais vous faire une révélation pour vous montrer que les gens se battent pour diriger le football camerounais qu’ils ne connaissent même pas. Nlend Paul a rencontré le président actuel de la Fécafoot quelque part. Il s’est présenté à lui et lui a dit « c’est moi Nlend Paul ». Et le président de la Fécafoot a répondu qu’il ne le connaît pas ! Donc Iya Mohammed ne connaît pas Nlend Paul, cette légende du football camerounais. C’est tout dire ! Il faut laisser le football aux gens qui aiment le football.
On n’est tout de même pas obligé d’être footballeur pour prétendre diriger la fédération…
Je n’ai pas dit ça. Effectivement, on n’est pas obligé d’être soi-même footballeur pour être dirigeant de foot. Mais quand même ! Il y a des gens qui adorent le foot. Regardez Ngassa Happi. On sent qu’il adorait le football. Regardez Koungou Edima. On sent qu’il adorait le football. Je ne veux pas parler de ma personne, parce que le porc ne se dit jamais gras. Mais quand j’étais dans cette affaire, j’étais passionné au point d’oublier ma famille et mes enfants.
Quel est le dirigeant sportif camerounais qui vous a le plus marqué ?
Il y en a deux : messieurs Kalkaba Malboum, le président du Comité national olympique et sportif et Issa Hayatou, le président de la Caf. Voilà deux personnalités qui, partout où elles sont passées, ont su s’imposer par la vertu du travail, leur honnêteté et leur intelligence dans la gestion des hommes. Quand Issa Hayatou est parti de la présidence de la Fécafoot, il a laissé des sommes importantes dans les caisses de la Fédération. Si quelqu’un peut me démentir, qu’il le fasse. En plus, les deux ont été eux-mêmes des sportifs de haut niveau. M. Kalkaba, en dehors de l’athlétisme, a été international de hand-ball à la même époque que moi. Issa Hayatou a été champion du Cameroun en athlétisme. C’est donc cet amour du sport qui les a amené à faire ce qu’ils ont fait et continuent à faire pour le sport.
Est-il est possible que Claude Ndzoudja revienne au football de façon active ?
Non. Dans la vie, il y a un temps pour chaque chose et une chose pour tous les temps, la parole de Dieu. Je suis un croyant biblique. J’ai été coordonnateur national du ministère de la Voie au Cameroun, une filiale de The Way International, un ministère à l’échelle mondiale de recherche, d’enseignement et de communion bibliques ; un ministère non confessionnel, dont le siège se trouve dans l’Ohio rural aux Usa. Je rends grâce à Dieu de m’avoir donné de beaux enfants et surtout une femme merveilleuse qui m’a toujours supporté… Je veux mettre toute mon intelligence, ma force et ma croyance pour les rendre heureux, en développant le mieux possible tout ce que j’ai investi. Je veux aussi bien vivre et tranquillement, pour le restant de mes jours. Revenir activement au football, non. Je peux, peut-être, donner mon avis en tant que quelqu’un qui connaît le football et qui peut sporadiquement intervenir, s’il est sollicité et si son emploi du temps le lui permet.
Qu’est ce que le football vous a rapporté ?
En tant que dirigeant de club, mon plaisir c’était de voir les enfants vivre du foot, parce que je les payais décemment. J’ai aussi formé des gens qui sont devenus de très grands joueurs. Mais en terme d’argent, je n’en ai pas gagné. Au contraire, j’y ai mis beaucoup d’argent. Je ne considère pas ça comme une perte. Pour moi, le bonheur c’est de voir les gens heureux. Quand je peux contribuer au bonheur de quelqu’un, c’est également du bonheur pour moi de le faire. J’aime les gens. Et, pour moi, aimer c’est partager, c’est donner. Comme Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son fils unique, Jésus-Christ, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle.
Les Lions Indomptables vont commencer les éliminatoires de la coupe du monde dès le mois prochain. Quelles sont leurs chances ?
Les Lions ont toutes leurs chances. Mais pour que tout aille bien, la Fécafoot doit travailler en union sacrée avec le ministère des Sports et de l’Education physique. Nous avons de très bons joueurs, qui ont beaucoup de talent et une grosse envie d’aller à la coupe du monde. Il n’y a pas de raison qu’on n’y réussisse pas, s’il y a cette union sacrée.
Propos recueillis par Jean-Bruno Tagne