L’ancien portier des Lions indomptables du Cameroun nous a volontiers formulé ses impressions au sujet de l’attribution samedi de la Coupe d’Afrique des nations 2019 au Cameroun. Le footballeur à la retraite analyse les contours politico-sportifs du dossier du Cameroun, tout en y décelant les couacs qui en dépit de tout, lui ont assuré la victoire devant ses colistiers ivoiriens, guinéens ou encore zambiens.
Dans cet échange, «Jojo» s’est voulu plus profond en faisant une lecture entre cette CAN et l’héritage qu’elle lèguera au football camerounais, non sans évoquer en prospective les lendemains des Lions indomptables dans la compétition en question. Entretien…
Bonjour Joseph-Antoine Bell
Bonjour !
Quelle réaction vous suscite la désignation du Cameroun comme pays organisateur de la CAN 2019 ?
Je pense que c’est d’abord une très bonne nouvelle pour le pays. Je crois qu’on sait tous que c’était une décision politique, c’est une volonté politique. Donc, c’est une très bonne nouvelle pour ceux qui jouent au football de savoir que ceux qui n’y jouent pas pensent à eux.
Est-ce qu’on peut penser que la longue disette qui a duré 42 ans après l’organisation de la dernière en 1972 a aussi motivé la décision de la CAF ?
Si vous dites ça pour le Cameroun, que diriez-vous pour les autres candidats. Dans ces conditions, on aurait tout simplement choisi la Zambie qui ne l’a jamais organisé. Non, je ne crois pas du tout que ce soit uniquement ce critère là. Le Cameroun a beaucoup d’atouts pour pouvoir accueillir des étrangers et la CAN. Vous savez très bien comme Camerounais le nombre de colloques ou de séminaires que vous entendez tenir au Cameroun. Donc, les autres aiment bien venir chez-nous. En réalité, ils nous auraient reproché de ne jamais organiser chez-nous mais, on s’est toujours vantés de pouvoir gagner chez les autres.
Selon vous, cette attribution tient davantage à la consistance du dossier technique du Cameroun ou à la force de son lobbying ?
Non, je ne crois qu’il ait eu une grande compétition. Souvenez-vous qu’on a attribué en même temps aux autres, à la Côte d’Ivoire 2021 et la Guinée 2023. Donc finalement, ce n’est pas une grande compétition. C’est plutôt, je pense, la victoire de la volonté ; c’est-à-dire de se manifester et de constituer un dossier. Ce dossier se constitue en tenant compte des exigences du cahier de charges de la CAF. En réalité, ce qu’ont réussi les pays qui se sont vus attribuer une organisation, c’est qu’ils ont réussi à démontrer qu’ils pouvaient remplir un cahier de charges.
Les politiques ont également joué un rôle incontournable dans l’acquisition de cette compétition, non ?
Je pense précisément que dans d’autres situations, ce sont les hommes du foot qui font du lobbying auprès des politiques pour démontrer la nécessité et l’intérêt d’organiser une compétition, et qui arrive à convaincre et à obtenir l’adhésion du monde politique pour les appuyer pour présenter un dossier. Alors que là, c’est l’inverse. Nous ne l’avons pas fait. Et donc, c’est le monde politique qui se sentant prêt, sentant qu’il pouvait planifier la construction des infrastructures, a poussé le monde sportif à aller défendre un dossier qu’il a constitué. Mais la seule CAN qu’on avait organisée jusqu’ici avait été obtenue de manière contraire. En 1970 à Khartoum (Soudan), le ministre des sports, Mbombo Njoya avait tenté de présenter une candidature à la volée. On dira peut-être que ce ne serait plus possible aujourd’hui mais, c’était une candidature basée sur rien du tout. C’était une proposition du genre, nous on aimerait organiser la prochaine. Et beuh, la CAF l’a pris au mot, et c’est au retour de Khartoum que le président Ahidjo a été quasiment mis devant le fait accompli par le monde du sport, et qu’il s’est mis en carte pour pouvoir présenter les deux stades que nous avons jusqu’à ce jour. Donc là c’était le monde du foot qui avait sollicité le monde politique pour organiser une compétition. Cette fois, ça été l’inverse. Et comme ce n’est que le monde du sport qui peut présenter un dossier, quelque soit ceux qui le monte derrière, c’est le monde du sport qui le présente. Mais, il faut savoir que les deux mondes, contrairement à ce qu’on essaye de faire croire, sont liés pour le bien du sport. Mais simplement, il ne faut pas que les liens soient des liens malsains.
On perçoit dans vos propos des regrets, nés du fait qu’aucun footballeur, encore en activité comme à la retraite n’ait été associé à la candidature du Cameroun…
Je crois que nous avons la chance d’être encore sur un continent où ces choses là ne comptent pas beaucoup et où la concurrence n’est pas vide. Mais sur le plan international, notre dossier, en tout cas, les dossiers lui ressemblant auraient eu cela comme faiblesse. Il faut savoir que dans un monde concurrentiel, un tel dossier serait apparu comme marquant un divorce entre le monde des fonctionnaires ou des technocrates et le monde des sportifs. Or, le prétexte de tout cela c’est le jeu. Donc, vous ne pouvez pas avoir autour du dossier et avoir comme ambassadeurs du dossier des sportifs, alors que c’est précisément ce que vous chantez tous les jours. Les footballeurs des Lions indomptables, tout ce vous leur reprochez, vous le faites au nom du statut d’ambassadeur ; quand ils se comportent mal, c’est au nom du statut d’ambassadeur que vous dites qu’ils ont mal représenté le Cameroun, qu’ils vous ont fait honte, ceci et cela. Et quand ils le font bien, même quand ils ne sont pas sous le maillot de l’équipe nationale, vous voyez en eux des ambassadeurs. Comment se fait-il que vous puissiez présenter un dossier de candidature en leur nom sans eux ? C’aurait été mal perçu dans un monde concurrentiel. Nous avons la chance d’appartenir encore à ce monde où vous avez trois candidatures et on vous les étale sur trois éditions.
Ils ont été oubliés, mais ce sont bel et bien eux qui seront au cœur de cette grand’messe de 2019. Et les Lions indomptables actuels en phase de reconstruction, les voyez-vous atteindre la maturité à échéance et remporter leur CAN à domicile ?
Déjà, la reconstruction est quelque chose de naturel. Il ne faut pas en faire une singularité dans la mesure où personne n’est éternel. Et donc, les joueurs viennent à l’équipe nationale et repartent. Quand vous en avez beaucoup qui sont de la même génération, qui sont à peu près du même âge, il y a des chances qu’ils s’arrêtent au même moment. Donc, la reconstruction ne peut pas être évoquée comme étant un handicap ou quoi que ce soit. Bien que l’équipe nationale actuelle soit en reconstruction, personne ne serait prêt à lui pardonner un échec quelconque dans un match. Donc, même en reconstruction, on essaye de gagner. La preuve c’est que dans la reconstruction, on essaye d’aller à la prochaine CAN, et quand on sera en décembre, tout le monde rêvera de la gagner. On n’acceptera pas de ne pas figurer parmi ceux qui prétendent la gagner, à plus forte raison dans quatre ans. Et dans quelques mois, nos joueurs auront quatre ans de plus et ne seront donc plus en reconstruction (rires), et je pense qu’à ce moment là, si on n’est pas capables de gagner, on ne pourra pas évoquer la reconstruction.
Est-ce qu’à l’occasion de cette CAN le Cameroun pourrait grandir vers une véritable professionnalisation de son football dans toutes ses composantes, si tant est qu’elle lui lèguera quelques infrastructures de qualité ?.
(Rire) Je pense que le développement du football ne dépend absolument pas de l’attribution de la CAN. Ça dépend d’une volonté et de la capacité de ceux qui dirigent le football national de pouvoir concevoir son développement et son évolution. Donc, la CAN, si elle pouvait faire cela, je pense que le Burkina Faso depuis 1998 (date à laquelle elle a abrité la compétition, NDLR) devrait être champion d’Afrique dans les clubs, champion d’Afrique chez les jeunes et dans le football féminin. Ça n’a pas été le cas. Le mali a organisé une CAN et derrière, il n’est pas champion d’Afrique des clubs. La Guinée-Equatoriale pareil, le Gabon et nous-mêmes en 1972. Bien au contraire on a connu la déprime. Je pense que c’est davantage un problème de conception que vous soulevez. C’est-à-dire de pouvoir rattacher l’organisation de la CAN à une évolution de notre football national. Je ne dis pas que ce ne sera pas le cas parce que je ne sais pas qui aura à gérer tout ça. Je conçois parfaitement qu’on peut imaginer et atteler les deux choses, maintenant démontrer avec les exemples du passé qu’on ne peut pas croire que le passage de la CAN laisse un héritage qui vous fasse bondir de trois ou quatre étages pour devenir autre chose. Ce n’est pas la CAN qui fait cela. C’est vous, votre volonté, votre capacité, et vos compétences locales, qui peuvent faire qu’à la suite d’une grande compétition internationale, qu’on ait construit un héritage qui fasse que les bénéfices se ressentent après le passage de ladite compétition.
Merci Joseph-Antoine Bell.
Je vous en prie.
Entretien avec Armel Kenné