Que s’est-il passé dans les vestiaires des Lions Indomptables du Cameroun pendant la Coupe du Monde en Afrique du Sud ? Dans l’entretien exclusif qui suit, Benoît Assou Ekotto, international camerounais de Tottenham en Angleterre, défenseur latéral gauche des Lions nous donne sa version des faits. Sans violé ce qu’il considère comme le « secret du vestiaire »,
il confirme les nombreux conflits de personnes qui ont alimenté le séjour foireux des Lions en Afrique du Sud. Résolument tourné vers l’avenir d’une sélection nationale à laquelle il dit croire, le jeune joueur (26 ans et 12 sélections) suggère aux dirigeants du football camerounais un peu plus de professionnalisme et invite ses coéquipiers à plus de patriotisme.
Comment vous sentez-vous trois semaines après votre sortie au premier tour de la Coupe du Monde ?
Je dois dire que les premiers jours ont été très difficiles. Je n’aime pas perdre. Je prends très mal la défaite et j’ai eu un véritable choc et une grande déception due à notre médiocre performance en Afrique du Sud. Nous avions la possibilité et les moyens pour faire la fierté de notre pays et du continent tout entier, mais nous n’avons pas saisi cette opportunité. Maintenant, avec les semaines écoulées, j’ai eu le temps d’analyser certaine choses et de mettre les déceptions de coté, même si la peine reste.
A votre avis, qu’est ce qui a manqué aux Lions Indomptables au cours de cette compétition où ils étaient pourtant très attendus ?
Vous savez, il est très facile de montrer les autres du doigt et de les accuser. Je suis mon plus grand critique et préfère me centrer sur ma performance. Je ne crois pas avoir donné le meilleur de moi-même. Pour cela je suis sincèrement désolé pour tous ceux qui attendaient plus de moi. Beaucoup ont été sympa et m’ont envoyé des messages disant que j’étais bon mais je sais que les choses auraient du se passer autrement. L’addition de plusieurs facteurs a affecté notre performance, mais elles étaient pour la plupart hors terrain et je ne suis pas de ceux qui s’y attardent. Je crois que nous devons intégrer une culture de service au sein de notre équipe. Lorsque nous sommes appelés pour servir notre pays, il faut mettre les conflits personnels de coté et faire son devoir. Jouer pour son pays est un privilège et nous, en tant que joueurs, ne devons pas l’oublier. Beaucoup de gens nous regardent pour les encourager à surmonter leurs défis quotidiens et nous avons échoué dans cette mission.
Depuis votre débarque, beaucoup de choses se sont dites, par vos coéquipiers et même par vos encadreurs sur l’ambiance délétère qui régnait dans le groupe. Qu’est ce qui s’est vraiment passé ?
Eh bien, beaucoup de choses se sont passées et tellement de choses ont été dites. Mais permettez-moi de suggérer que nous regardions vers le futur. Nous pouvons facilement passer des mois et même des années à parler et critiquer ce qui s’est passé et oublier l’importance qu’il y’a à planifier le futur. Je comprends que le public veut savoir, mais je crois aussi qu’il a besoin d’une feuille de route qui servira d’antidote à cette mauvaise passe, et c’est ce que j’espère que nous ferons dès maintenant. Je crois fermement à l’intimité du vestiaire et je pense que nous, en tant que professionnels, ne devons pas parler publiquement de ce qui se passe dans l’équipe. Ce n’est pas mon truc. Je voudrai nous encourager, et le pays entier, à trouver des solutions à nos problèmes internes mais plus encore à élaborer un programme bien défini pour rétablir le Cameroun comme une puissance à respecter sur la scène internationale.
Comment se manifestait la « jalousie et la haine » entre les joueurs dont a parlé le ministre des Sports face aux députés de l’Assemblée nationale camerounaise?
La haine et la jalousie sont des termes forts que je ne voudrai pas utiliser pour décrire ce qui s’est passé. Comme je me suis évertué à le dire plus haut, je crois que le défi que nous avons est celui de se mettre en tête qu’en tant que joueur de l’équipe nationale, nous ne sommes rien d’autres que des serviteurs de notre pays. Nous sommes choisis pour servir, pour porter les rêves et les aspirations d’une nation sur un terrain de football. Ce n’est pas l’individu, mais le collectif – et cela va plus loin que les 11 joueurs sur le terrain ou les 23 dans l’équipe – qui compte. Ce sont 19 millions de Camerounais et un milliard d’Africains comme c’était le cas en Afrique du Sud. De la Fédération à l’entraîneur, au staff technique jusqu’aux joueurs, Nous avons besoin d’un leadership, pour que tous ceux qui se joignent aux Lions Indomptables comprennent que c’est un appel au devoir citoyen.
L’entraîneur Paul Le Guen a aussi affirmé que les nouveaux joueurs ont eu du mal à se faire accepter par certains anciens. Vous êtes-vous senti rejeté ?
Je ne crois pas. Vous pouvez m’envoyer dans le désert du Sahara et je m’y ferais. C’est ma nature, c’est mon caractère. Certains aiment être entourés et d’autres préfèrent ne pas être dérangés et d’autres encore se sentent à l’aise dans les deux cas. En ce qui me concerne, il n’y avait pas de complot pour mettre les nouveaux mal à l’aise. En tout cas, je n’aurai pas tenu compte si j’en avais été victime. C’est toujours difficile lorsque vous êtes nouveau. Vous attendez qu’au moins une ou deux personnes vous aident à vous sentir chez vous. J’ai essayé avec les plus jeunes que moi et je crois qu’en général ils s’y sont faits.
Certains joueurs ont critiqué les choix techniques et même le casting de Paul Le Guen. A votre avis, quel est la part de responsabilité du coach dans votre échec à la Coupe du Monde ?
Ecoutez, je suis un joueur et mon travail c’est de jouer. Si j’étais entraîneur, je serai alors mieux placé. Je peux avoir mon avis sur ce que Paul Le Guen a fait et que j’ai cru mal placé. Mais ce serait plus utile si je disais aussi ce qu’il aurait du faire. Nous avons eu trois matchs, trois classements différents et nous les avons tous perdus. Nous avons mieux joué contre le Danemark que contre le Japon et notre meilleure performance était contre la Hollande qui s’est retrouvée en finale. Mais nous avons perdu et il n’y a pas de trophée pour les bons perdants. Perdre peut devenir une habitude ; nous avons perdu nos cinq derniers matchs et n’avons pas gagné les neuf derniers. Pour moi, je déteste perdre et j’aimerai que nous ayons un entraîneur qui dit à ses joueurs qu’ils n’ont aucun intérêt à perdre en dépit de toutes les leçons que l’on peut tirer d’une défaite. Nos joueurs ont le potentiel et la passion du jeu, mais nous avons besoin de direction vers un idéal qui battit le succès, où nous refusons la médiocrité, où pour la victoire nous mettons les conflits internes de coté. Un entraîneur est nécessaire pour cela.
Qu’est ce qu’il faut faire pour qu’il y ait une bonne ambiance dans les Lions ?
Je crois que cet épisode est un signe de bon augure. Ce serait formidable si nous utilisions cette mauvaise passe pour établir une feuille de route pour Brésil 2014. Une feuille de route qui prévoit une équipe, un système, un style, une philosophie, un « éthos », et des méthodes. Si nous pouvions définir nos objectifs pour la Can 2012 et commencer les préparatifs pour 2014 dès maintenant, tous ceux qui franchiront alors la tanière des Lions sauront à quoi s’attendre. Les meilleurs équipes travaillent ensemble et il y’aura une bonne récolte en 2014 pour ceux qui auront deux qualités : le professionnalisme et l’expérience mis à la disposition d’un entraîneur avec lequel ils auront fait un bon bout de chemin. Si nous avons un objectif commun, nous aurons la meilleure équipe. Il y aura des luttes certes mais ces luttes contribueront à construire une équipe et un objectif noble.
Est-ce que vous êtes d’attaque pour reprendre avec les Lions dès le mois de septembre prochain avec les éliminatoires de la Coupe d’Afrique des nations?
Si je suis sélectionné j’en serai très honoré et prêt à répondre à l’appel. Je sais, après avoir parlé avec certains de mes collègues que nous voulons tirer les choses au clair. Tout reprend en septembre et je pense que d’ici là ce serait bien de planifier 2014. De la sorte nous pourrons rectifier les erreurs de l’Afrique du Sud.
Le Cameroun est à la recherche d’un nouvel entraîneur. Quel serait le bon profil pour vous ?
Je crois que la compétence devrait être le premier critère. Mais nous avons besoin d’une stratégie à long terme et un entraîneur qui la suit. Un entraîneur qui comprend les difficultés liées à la gestion d’une jeune équipe et les défis que cela implique. Regardez l’Espagne par exemple, ils se sont fixés un objectif et les joueurs que nous avons vus à la coupe du monde ont joué ensemble et ont développé un style de jeux dans lequel ils se sentent à l’aise depuis plusieurs années. Cela ne se fait pas en un jour. Nous avons besoin d’un entraîneur prêt à rester pendant un bon moment. Camerounais, étranger, même de la planète Mars, qu’importe ! Je crois juste qu’il devrait être compétent et respectable.
Pour finir, vous nous annonciez dans une précédente interview que vous viendrez au Cameroun pour vos vacances. Est-ce toujours à l’ordre du jour ?
Ça l’est toujours. J’aurai pu être au Cameroun pour un séjour d’une semaine avant de reprendre les entraînements. Mais mon club a écourté mes vacances pour préparer la pré-saison aux Etats-Unis. La façon dont s’est déroulé la Coupe du Monde a annulé beaucoup de plans. Mais je négocie avec mon club pour avoir quelques jours et venir au pays. Je suis aussi des cours et garde espoir que je serai au pays avant le début de la saison.
Propos recueillis par Jean-Bruno Tagne et Naïda Bebey Elisabeth (Stagiaire)