Entretien exclusif avec l’international camerounais, banni de la sélection nationale depuis le retour à la Coupe du Monde 2010 en Afrique du Sud.
Le Cameroun a affronté le Sénégal le 04 juin dans le cadre des éliminatoires de la CAN 2012, mais vous étiez absent. Pourquoi ?
Je souffre d’une blessure au genou gauche qui me tient éloigné des terrains.
Votre forfait a fait l’objet de nombreuses polémiques, certains ont émis des doutes sur cette blessure.
Ma blessure est bien réelle. Elle a été constatée par des examens à Londres et confirmée par une contre-expertise à Yaoundé.
On dit que vous n’en n’êtes pas à votre premier coup. Vous auriez déjà simulé une blessure en Coupe du Monde contre les Pays-Bas.
C’est moins simple que cela. Je ressentais depuis la veille une douleur au mollet qui s’est accentuée pendant les échauffements d’avant-match. Certes, en envisageant la question de façon purement égoïste, j’aurais pu dissimuler cette blessure et débuter la rencontre avec tous les risques que cela comportait pour l’équipe et pour moi. Mais il m’a semblé qu’il valait mieux céder la place à un joueur disposant de tous ses moyens. J’assume pleinement cette décision. D’ailleurs, ceux qui m’ont suivi par la suite ont pu se rendre compte de ce que cette blessure a perduré et perturbé mon début de saison.
Avec le match nul enregistré samedi dernier, le Cameroun est privé de la prochaine CAN. Quel commentaire vous inspire cette élimination ?
De la déception et le sentiment que nous aurions pu mieux faire.
Votre retour fait suite à une longue période d’absence chez les Lions. Comment avez-vous vécu votre convocation.
Avec le plaisir de retrouver le public camerounais et de défendre les couleurs de mon pays.
Savez-vous pourquoi vous avez été écarté de cette équipe ?
Il vaudrait mieux interroger ceux qui ont pris cette décision pour en savoir quelque chose. Personne n’a rien voulu me dire, donc le mystère reste entier pour moi. Sachez cependant que j’ai vécu cette situation comme une immense injustice.
On a laissé entendre que vous vous étiez fait l’auteur d’actes d’indiscipline.
Lesquels ? Si c’est le cas, pourquoi laisser entendre plutôt que de le dire officiellement ? Pourquoi ne m’a-t-on donc pas traduit devant une commission de discipline comme je l’ai demandé à plusieurs reprises?
Comme footballeur professionnel j’ai appris que toute équipe digne de ce nom dispose d’un code de bonne conduite et que ce code constitue le socle sans lequel aucun succès n’est possible. Or, notre équipe manquant de règles, certains ont entrepris, maladroitement et égoïstement, d’imposer les leurs, avec pour conséquence directe l’échec qui constitue souvent le meilleur révélateur de ce type de carence. Par la suite, observez l’après Coupe du Monde, en lieu et place d’une analyse profonde des causes de la débâcle, certains se sont précipités ici et là pour absoudre leurs propres responsabilités en désignant des boucs-émissaires. Mon nom, avec celui d’autres, semblent n’avoir servi qu’à cela.
Pensez-vous que tous les problèmes sont réglés à ce jour ?
On ne peut pas régler tous les problèmes en si peu de temps. Il ne faudrait pas non plus demander la lune. Mais ce qui me gêne est que la quasi-totalité des germes qui ont conduit à la défaite de la CAN et à l’humiliation de la Coupe du Monde 2010 sont encore présents. Nous sommes dans le recommencement. Or, moi qui rêve d’une revanche pour le Cameroun en 2014, je milite pour que la préparation de cette édition de la Coupe du Monde commence dès aujourd’hui. On ne s’est pas fait du bien en perdant une année.
Avez-vous demandé des garanties avant de réintégrer l’équipe ? Certains ont dit que vous avez, après votre bannissement, refusé à votre tour de revenir chez les Lions.
Je ne sais pas ce qu’il en est des autres, mais moi je n’accepte pas que le Cameroun quitte une Coupe du Monde sans le moindre point et en avant-dernière position. Qui plus est, avec un groupe de joueurs qui était parfaitement capable de faire mieux. Je n’ai pas encore digéré cela et j’avoue que j’en suis resté au stade de cette frustration. Moi je porte le maillot du Cameroun pour le défendre au mieux, pour rendre honneur à nos couleurs, pas pour faire de la mauvaise figuration.
Donc c’est un fait que j’ai pris un coup, auquel s’est ajoutée l’injustice que j’évoquais tantôt.
Mais ce n’est pas du tout mon genre de demander des garanties. J’ai juste fait savoir que dans mon esprit tout n’était pas au beau fixe et qu’il me fallait du temps pour reconstituer mes ressources. Mais la décision de ma présence appartenait à d’autres personnes qui ont su faire preuve de patience et j’en profite pour les remercier.
Un autre fait est venu se greffer à cette situation délicate, vous auriez refusé de serrer la main de Samuel Eto’o.
Il ne faut pas donner à ce geste plus d’importance qu’il n’en mérite. D’abord parce que nous sommes des footballeurs professionnels et que chacun de nous devrait être capable de faire en sorte que les aspérités de nos rapports n’aient aucune influence sur nos rendements sur le terrain. Personnellement, mon devoir est de récupérer les ballons et de servir mes partenaires, y compris Samuel, sans aucune considération de ce qui peut nous opposer par ailleurs. Ce devoir reste pleinement en rapport avec mon engagement chez les lions.
Ensuite, parce qu’en réalité il y a des choses plus importantes à régler dans la vie de cette équipe que des histoires de mains non serrées.
Mais ce genre de situation est de nature à perturber l’ambiance de groupe.
Ceci n’est vrai qu’à la condition qu’il soit établi que l’ambiance est bonne.
Elle ne l’est pas ?
Il y a encore beaucoup de choses à faire de ce côté. Tout le monde, par exemple, s’est comporté pendant longtemps comme si l’aspect psychologique était secondaire dans la préparation d’une équipe. Donc on a laissé des joueurs subir des brimades, intimidations et autres frustrations, comme si cela n’aurait aucune conséquence sur nos prestations. Et quand la majorité d’un groupe est mal à l’aise il n’y a rien à en attendre. Il faut impérativement corriger cela. Certes, on ne peut pas échapper à la pression lorsqu’on intègre les Lions Indomptables. Mais il y a une forme de pression inutile et nocive qu’il faut s’attacher à gommer pour éviter de gaspiller les influx.
En 2010, il y a eu de gros moyens déployés, par l’Etat notamment, pour nous mettre dans les meilleures conditions de compétition. Malheureusement l’argent ne suffit pas. Il est un moyen parmi d’autres, et les autres n’ont pas suivi.
Vous êtes apparemment coutumier de mouvements d’humeur. En vous emparant du maillot n°4 pour manifester votre désaccord avec la non-sélection de votre oncle Rigobert Song, vous ne vous êtes pas forcément mis en situation de donner des leçons sur le plan de la psychologie du groupe, et plus largement de la discipline.
En admettant même que cette histoire soit vraie, il faut commencer par informer vos lecteurs sur le fait qu’il n’existe pas chez les Lions une règle d’attribution des numéros aux joueurs. Donc ce n’est pas commettre un acte d’indiscipline que d’arborer tel ou tel numéro, car en cela il n’y a pas de violation de règle. Je peux donc choisir de porter le premier numéro qui me tombe sous la main, surtout lors d’un match amical.
Ce rappel fait, je n’ai pas arboré le maillot n°4 pour manifester quoi que ce soit. Je ne l’ai pas davantage arraché des mains de quiconque en proférant tels propos que d’aucuns m’ont prêtés.
Il s’est trouvé que son récipiendaire, nouvel arrivant dans le groupe, a manifesté sa gêne à hériter d’un numéro qui avait longtemps appartenu à un joueur de la trempe de Rigobert Song, au motif que cela créerait en lui une pression difficile à supporter. J’ai tenté en vain de le convaincre de ce qu’il lui fallait se départir de ce genre de préoccupation et revêtir le maillot qu’il avait reçu sans aucune appréhension. C’est face à son insistance que je me suis résolu à le soulager en récupérant ce numéro qu’il éprouvait des difficultés à assumer. Cette scène s’est déroulée devant témoins.
Là encore, mon souci était l’état psychologique de ce coéquipier qui subissait déjà, d’une certaine façon, la circonstance d’être un nouvel arrivant. Dans un contexte où la pression de l’enjeu n’était déjà pas facile à gérer pour lui, j’ai pensé que celle du numéro n’était pas indispensable.
Les choses, pour moi, se seraient passées exactement de la même façon s’il s’était agi du n°8 ou du n°17.
Revenons à Samuel Eto’o. Comment jugez-vous sa présence au sein des Lions ? Pouvez-vous cohabiter tous les deux?
Samuel Eto’o est incontestablement le meilleur d’entre nous et l’un des tous meilleurs joueurs du monde. Il n’est donc aucun doute que sa présence dans un groupe comme le nôtre est particulièrement précieuse compte tenu de son apport technique et mental. Avoir Samuel avec nous nous procure une certaine sécurité, un certain confort.
Il est en plus un aîné et le capitaine de cette équipe. Pour ces raisons, sa parole compte. Nous lui devons notre écoute et tout le respect qu’il mérite. Et je le dis en parfaite sincérité.
Mais comme tout être humain, même s’il y met de la bonne foi et de la bonne volonté, il n’est pas à l’abri de l’erreur. C’est pourquoi il importe que l’équipe soit organisée de telle sorte que l’impact des erreurs qui pourraient éventuellement se glisser dans son action soit minimisé. Or, je pense qu’il a été livré à lui-même, je dirais même abandonné. Tout le monde s’est effacé comme si personne d’autre n’avait de responsabilité dans cette équipe et ce qui devait arriver est arrivé. Il est très loin d’être le seul à blâmer, si tant est qu’on en soit encore là.
La question de notre cohabitation ne se pose donc pas passées les limites de l’intrigue et du sensationnel. Ce qu’il faut interroger, c’est la qualité du cadre dont nous bénéficions et sa capacité à absorber les chocs que pourrait subir l’équipe.
Vous rejetez donc sur les dirigeants la responsabilité de tout ce qui est arrivé ?
Les dirigeants sont responsables par définition. Leurs responsabilités n’ont donc pas besoin de moi pour leur incomber. Je leur propose juste de tirer toutes les leçons du passé, sans m’inscrire dans un processus judiciaire où une sentence succèderait à un jugement. Je suis à la recherche d’amélioration.
Ceci dit, je relève aussi la responsabilité des joueurs. Ils doivent prendre leur part dans l’émergence du meilleur. Abandonner aux autres, Samuel compris, la lourde charge des tâches à accomplir est irresponsable. Il nous faut nous impliquer davantage, ne serait-ce que dans ce qui concerne la vie à l’intérieur du groupe. La construction d’une chaîne interne de solidarité et de responsabilités requiert l’engagement de tous. Cette solidarité, et le mieux-être qui l’accompagne, nous rendront tous, individuellement et collectivement, plus forts.
Certains diront que cette prise de position annonce une guerre autour du leadership, et même pour le capitanat.
Ce risque est nul. Mon propos n’a absolument rien à voir avec le capitanat. Il me semble d’ailleurs que le poste n’est pas à pourvoir.
Je pense simplement que dans un groupe comme le nôtre, chaque équipier doit se sentir concerné par le leadership de l’équipe, sans que cela ne change rien à la configuration des hiérarchies. Donc je n’en appelle pas à un leadership de contestation ou d’antagonisme. Je veux des leaderships complémentaires et constructifs, portés par chacun d’entre les joueurs, à partir de la place qu’il occupe dans le groupe. Cela est parfaitement envisageable sans que ne s’engage une guerre pour les postes ou toute autre forme d’opposition futile.
Comment expliquez-vous que votre attitude vis-à-vis de Samuel Eto’o ait conduit à votre exclusion du groupe ? Croyez-vous que vous serez de nouveau appelé dans cette équipe?
Je n’ai pas été exclu du groupe. J’avais obtenu l’accord de quitter l’hôtel dès la confirmation par la contre-expertise de ma blessure, c’est-à-dire avant même la survenance de cet incident. Il n’y a par conséquent aucune relation de cause à effet entre les deux événements.
Quant à votre deuxième question, c’est au sélectionneur de dresser la liste des joueurs faisant partie de l’équipe. Et comme je l’ai déjà dit c’est avec plaisir que je reviendrais défendre les couleurs de mon pays si je suis appelé.
Un mot sur votre carrière : Arsenal éprouve des difficultés à remporter des titres. N’éprouvez-vous pas l’envie d’intégrer un club plus compétitif ?
Arsenal est déjà un club très compétitif qui, à bien y regarder, a souvent manqué de chance, perdant à plusieurs reprises sur des détails. Les dirigeants travaillent à trouver les solutions qui nous permettront de franchir les marches qui nous séparent des trophées, il faut leur faire confiance. Je pense que d’ici à la fin de mon contrat en 2016, nous y arriverons.
Propos recueillis par Haman Mana