Abed, beaucoup savent que vous êtes malade, mais ignorent les circonstances dans lesquelles vous avez quitté le Cameroun pour la France où vous suivez un traitement depuis un an…
De quoi souffrez-vous ?
Je suis arrivé en France le 17 novembre 2002 très mal en point, après plusieurs mois de traitement infructueux au Cameroun. Un mal qui s’était déclenché après la Coupe du monde Corée-Japon 2002. Les examens médicaux avaient indiqué la présence des cellules précancéreuses. Mes médecins ont essayé autant que faire se peut de circonscrire le mal. Cela n’a pas tenu. Au contraire, ma situation s’est aggravée. On a alors convenu que j’essaye d’aller poursuivre les soins en Europe. C’est dans ces conditions que je me suis débrouillé du mieux que j’ai pu, pour être admis à l’Hôpital Saint André de Bordeaux. Outre la ville de Bordeaux, j’avais le choix entre Lyon et Paris où mon dossier médical a été également envoyé. Je dois dire que rien n’a été facile dès le départ. Au consulat de France, j’ai été soumis aux mêmes conditions d’obtention de visa que les autres Camerounais, ce qui ne m’arrivait pas souvent. C’est avec un visa allemand de 8 jours que j’ai pu voyager finalement. De quoi je souffre ? Je ne suis pas autorisé à pouvoir le dire de manière catégorique parce que ce sont les médecins qui maîtrisent mieux la situation. Ce que je sais c’est que je suis sous chimiothérapie et qu’à partir de maintenant c’est beaucoup plus relâché, ce qui signifie que ça va vraiment beaucoup mieux.
Quand vous dites que vous vous êtes débrouillé, cela veut dire quoi concrètement ?
Il y avait d’abord un problème d’urgence. On s’est rendu compte que monter un dossier pour une évacuation sanitaire prenait beaucoup de temps parce qu’il y avait une commission qui devait siéger au ministère de la Santé. Ensuite, le dossier devait être transmis, semble-t-il, dans les services du Premier ministre avant éventuellement d’arriver aux Finances. Et en vérité, quand bien même j’aurai reçu cette évacuation, ce n’était pas sûr que le Cameroun aurait eu vraiment les ressources nécessaires pour subvenir aux frais de mes soins. Au jour d’aujourd’hui, quand je regarde les factures qui me sont envoyées (à titre d’information, Ndlr) par la Sécurité sociale, je ne suis pas loin de 300 millions Fcfa payés par l’Etat français, que je ne remercierai jamais assez. Dès mon arrivée à Bordeaux, j’ai bénéficié de la sécurité sociale qui permet d’être pris en charge par le gouvernement français.
Un an après, pouvez-vous dire que les soins reçus autorisent un espoir ?
Je dois dire que les choses seraient allées vite si je n’avais pas fait face à d’autres maux. Quand je suis arrivé le temps qu’on fasse les différents examens approfondis pour trouver le protocole idéal de traitement, j’ai eu un problème avec mon oreille gauche, qui n’entendait plus. On m’a envoyé dans un autre hôpital toujours du Chu de Bordeaux (Pellegrin, ndlr) où j’ai subi trois opérations. A l’issue de l’une d’entre elles, j’étais d’ailleurs tombé totalement sourd, à tel point qu’aujourd’hui je suis obligé de porter des prothèses auditives qui coûtent très cher et qui ne sont pas remboursées par la sécurité sociale. C’est grâce au directeur général de la Crtv, que j’avais saisi, que j’ai pu les obtenir. Voilà déjà un contre temps qui fait que les séances de chimiothérapie qui ont été programmées ne pouvaient plus être respectées à la règle. Plus grave, j’ai subi cinq chirurgies viscérales. Plus précisément, j’ai été opéré cinq fois sur le ventre à cause des occlusions intestinales à répétition.
Bref, lors des 13 mois passés en France, j’ai été pratiquement interné à l’hôpital pendant 10 mois; dont au moins 7 pour des raisons chirurgicales qui n’existaient pas au moment où j’y débarquais. Plus grave, j’ai été opéré trois fois en l’espace de 24 heures, tout ça dans des conditions difficiles, à cause de la canicule qui a fait des ravages ici et là pendant l’été. Suite à l’une de ces opérations, j’ai eu le ventre totalement ballonné, parce que plein de sang. On m’a réadmis au bloc opératoire d’urgence pour l’enlever. Je ne dois pas vous cacher qu’il n’était pas évident de supporter l’anesthésie générale et la réanimation. Mais j’avais toujours la foi et la force qui m’habitent toujours. Heureusement aussi, je suis tombé sur de véritables génies, mais aussi et surtout sur des hommes de cœur. J’ai été très vite adopté et aimé par les médecins qui ont fait de mon cas un défi à relever.
Certains estiment que votre déplacement à Lyon où vous vous étiez rendu pour la Coupe des confédérations, et où vous avez rechuté, est aussi difficile à comprendre et à admettre.
A Lyon ça s’était passé de la manière la plus incroyable qu’il soit. Je peux dire que j’allais déjà très bien. Je suis donc allé voir le tournoi des confédérations à Paris, j’ai continué à Lyon où j’ai vu le match Cameroun – Etats-Unis. Le lendemain, j’allais très bien. 24 heures plus tard, j’ai eu quelques petites douleurs au niveau du ventre. J’ai cru que c’était quelque chose de passager, d’autant plus que quelques jours avant, je venais d’être opéré d’une occlusion intestinale. Par mesure de prudence, on m’a amené à l’hôpital où tous les examens (échographie, scanner, radio) se sont avérés négatifs. A un moment donné, je n’avais même plus des douleurs. Je croyais que tout était revenu à la normale. Mais, après analyse des résultats par des chirurgiens, on m’a directement admis en bloc opératoire où on m’a dit que toute la matière fécale s’était répandue dans le ventre. C’est difficile à dire, mais je crois que le plus important, c’est que je vous parle aujourd’hui. Je suis en meilleure forme que lorsque j’ai eu à couvrir la Can 2002 au Mali ou la Coupe du monde au Japon, parce que j’avais quand même déjà quelques symptômes. Actuellement, ça va pour le mieux, mais il n’empêche qu’il faut rester assez vigilant.
Permettez que j’insiste sur cet épisode. Aviez-vous l’accord des médecins pour aller vivre en direct l’ambiance de la Coupe des confédérations ?
Oui. Je peux vous jurer qu’ici, ceux qui s’occupent de moi sont des gens qui ne font rien pour le plaisir du patient. Ils font de la science. On a mis à ma disposition un véhicule et un assistant social, parce que j’étais dans un état qu’on appelait l’état de préconvalescence, au cas où j’aurais un pépin. De plus, avec les médecins, on était tombé d’accord que je rentrais au Cameroun le 2 juillet 2003. J’avais déjà fait toutes mes réservations à la Camair. Je me dis aujourd’hui qu’à quelque chose malheur est bon, car le problème que j’ai eu aurait pu me coûter très cher si j’étais revenu au Cameroun. J’insiste sur le fait qu’au moment où j’allais au tournoi des confédérations, les médecins étaient très satisfaits de mon état de santé de l’époque.
Comment avez-vous vécu les premiers moments passés avec la délégation camerounaise ?
C’était plus fort que moi. Vous ne pouvez pas savoir combien ce sont des choses qui manquent. Rien que d’y penser, j’en ai les larmes aux yeux. C’était la première fois que cela m’arrivait dans la vie de quitter aussi longtemps ma famille, mes amis, mon travail. Certes, j’étais habitué à partir, mais pour de courtes durées, deux mois au maximum, le temps d’une compétition. C’est la première fois où je partais du pays sans savoir quand je reviendrais. Et même, de l’avis de certains, sans espoir de retour vivant. Ce sont autant de choses qu’il a fallu intégrer ; vivre avec la menace d’une fin probable.
Parlez nous de vos rencontres avec les Camerounais que vous avez côtoyés pendant le tournoi, vos collègues de la Crtv, les confrères, les officiels, etc.
Quand on est dans une situation comme la mienne, il y a des choses sur lesquelles on préfère ne pas s’appesantir parce que la tentation est parfois trop forte d’interpréter les faits d’une certaine façon. J’ai diversement apprécié leurs comportements. Certains affichaient un air de compassion, ce qui ne m’a pas plu. Parce que je n’ai pas envie de faire pitié. Je ne voudrais pas qu’on ait pitié de moi. Ce qui m’est arrivé est arrivé, le bon Dieu sait pourquoi, et si je vais m’en tirer ou non. Et quelques fois, l’indifférence des gens, je parlerai même d’ingratitude pour certains, me réconforte plutôt. Mon contact avec les gens à Paris était comme ça. J’ai retrouvé les gens avec la même hypocrisie que je connais toujours, les faux semblants ; mais aussi, parfois, des amitiés sincères…
Lors d’une visite à Saint André, vous me disiez un jour, en me prenant à témoin, qu’il y a des gens au pays qui racontent que vous êtes décédé.
J’avoue que personnellement je ne suis pas naïf au point de croire que c’est tout le monde qui applaudirait de deux mains en entendant que je suis encore en vie. Je sais qu’il y en a un très grand nombre qui espérait me voir «partir» plus tôt. On dit qu’à quelque chose malheur est bon. Je n’aurais jamais voulu être malade pour découvrir qui sont vraiment les hommes. Mais c’est arrivé. C’est la fatalité et cela m’a porté beaucoup d’enseignements. Vous dire que je suis déçu ne serait pas juste, parce que ce serait faire preuve d’une extrême naïveté. Il y a ceux qui m’ont maintenu leur estime, leur amitié, il y a ceux qui à l’extrême opposé ont raconté tout ce qu’ils ont voulu raconter sur moi, ont même engagé des actions méchantes, négatives à mon encontre, et il y a au milieu ceux qui m’ont carrément ignoré.
Comment envisagez- vous votre avenir ?
Ma vie est entre les mains de Dieu et des hommes de bonne volonté. Je ne peux pas dire ce que sera mon avenir. J’ai encore mes ressources physiques et intellectuelles pour continuer mon travail. Mon souhait c’est de le faire vraiment et de gagner ma vie. Il s’agira sans doute de recommencer à zéro, petit à petit, progressivement pour essayer de me refaire une nouvelle vie, un nouveau monde. Au jour d’aujourd’hui, c’est comme si un incendie avait dévasté ce que j’avais bâti pendant 20 ans. Tout est parti en fumée. Ce ne sera pas le plus facile mais j’espère que je trouverai suffisamment de bonnes volontés qui m’aideront à reprendre pied dans la société camerounaise.
Vous pensez peut être, en le disant, à la prochaine Coupe d’Afrique des Nations ?
Si je n’y suis pas, ce ne sera pas à cause de moi ni de ma santé. Il y a une hiérarchie qui décide de ceux qui doivent couvrir les événements. Moi je suis en meilleure forme que je ne l’étais en 2002. C’est un exercice que je recommencerai avec grand plaisir, d’autant plus que je peux me dire qu’après un an de jachère, je suis encore plus fertile que je ne l’étais avant ayant eu le temps de faire l’économie des expressions, des analyses et des commentaires. Ce serait pour moi une occasion en or pour ressortir tout cela.
Un dernier mot sur la société française?
J’avoue que personnellement beaucoup d’idées reçus sur la France ont disparu. C’ est un univers que j’ai appris à découvrir et à comprendre. Si l’on s’en tient aux progrès médicaux, c’est très vrai ce qu’on dit, c’est l’un des meilleurs exemples dans le monde, le plus bel exemple de protection sanitaire qui existe. Je les en remercie, je remercie surtout le seigneur qui m’a permis de pouvoir connaître et vivre cette expérience même douloureuse. Cela dit, il faut savoir mettre les choses à leur place. Pour rien au monde je ne trouverai un pays mieux que le mien, mieux que le Cameroun. Quant à vivre ou mourir, je préfère que ce soit à côté des miens au Cameroun. Je suis là parce que je suis malade une fois que je peux reprendre pied dans ma société, je repars, quitte à revenir quand il le faut pour le contrôle ou d’autres soins. Je crois que lorsqu’on se met en tête que chez soi tout est mauvais et qu’ailleurs tout est bon, forcément, on finit par ne retrouver que du mal chez soi pour ne voir que du bien ailleurs. Je crois qu’il est trop tard pour moi d’y penser. Mon retour est imminent.
Norbert N. Ouendji