Depuis sa démission de la fédération camerounaise de football le 22 juin 2011, l’ancien homme à tout faire du président de la Fécafoot, Iya Mohammed, resté silencieux jusqu’ici, est sorti de sa réserve. Au cours de cet entretien, nous ferons avec lui le tour des grandes questions qui se posent au football camerounais.
Après avoir dressé un bilan sombre de la situation dans laquelle est engluée de football au Cameroun, le président de l’Etoile Filante de Garoua nous a entretenu, entre autre, de la situation particulière que vit Samuel Eto’o Fils.
Mohammed Iya a, selon lui, fait régresser le football camerounais de dix ans en un seul mandat. Il lui suggère de ne pas briguer un autre mandat à la tête de la Fécafoot.
Entretien…
Camfoot.com: Selon nos informations, Iya Mohammed devrait présenter officiellement sa candidature. Est-ce une bonne idée ?
Abdouraman Hamadou: Je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Aujourd’hui, il ne représente pas une solution pour l’avenir. Il est question de l’avenir de ce football. Quand on voit ce qui s’est passé avec le mandat qui s’achève, si nous résonnions en termes de bilan, il n’y a aucune raison que Mr Iya Mohammed se représente à la présidence de la Fécafoot. Mais maintenant, tout dépend ! Pour l’intérêt du football camerounais, il doit passer la main, pour le bien supérieur du football camerounais.
Quel message lui adressez-vous avant la tenue de l’Assemblée générale ?
Le seul message est que s’il aime ce football, s’il aime ce pays, qu’il passe la main et organise une alternance crédible. Qu’il laisse le jeu politique se faire et qu’il tire sa révérence. Il a suffisamment apporté. Je pense qu’il est temps qu’il se retire, et que d’autres personnes prennent le relais de la gestion de notre football, des personnes dévouées, à même de privilégier davantage les intérêts de notre football.
Pour moi, ce n’est pas une histoire de personne. Je pense que ces quatre dernières années, le président Iya a détruit tout ce qu’il a construit. Je crois que nous sommes revenus à la case de départ. C’est le signe qu’il faille laisser les choses avant que les choses ne vous laissent.
L’argument dans le camp Iya est qu’il a la mission d’achever la construction du nouveau siège de la Fécafoot avant de se retirer. Cet argument tient t-il la route ?
Le siège de la Fécafoot représente même tout le mal qu’on puisse faire à ce football. Ce siège n’a pas sa place dans la situation actuelle de notre football. Les Ligues départementales, donc la base de notre football, sont dans la rue. Ces Ligues ne fonctionnent pas du tout. Les Ligues régionales fonctionnent au dixième de ce qu’elles devraient faire. Les compétitions séniors au Cameroun sont organisées en complète violation des principes fondamentaux du football. Quand je vois qu’on soit entrain de prendre deux milliards pour la construction d’un nouveau siège, alors que la Direction technique nationale (DTN), qui est le cœur même de ce football ne peut organiser que des séminaires financés par la FIFA et la CAF, je me dis que ces deux milliards pouvaient faire beaucoup de choses.
Ces quinze dernières années, la Fédération camerounaise de football a engrangé plus de cinquante milliards de recettes propres. Quand vous regardez le paysage de notre football, ressentez-vous cela ? Je ne ressens cela nulle part. Encore moins comme je suis de l’autre côté de la barrière.
Je suis président d’un club aujourd’hui (Etoile filante de Garoua ndlr) et je sais comment ça se passe. Je pense que ce n’est pas digne pour notre football. C’est tout ce qui me fait penser que c’est une dépense de prestige. C’est une dépense à des fins électoraliste et non pour le football camerounais. Je pense qu’aujourd’hui, nous devons travailler pour notre football. Il faut connaitre ses problèmes, ses besoins et y apporter des réponses.
Je compare cette histoire de siège à deux milliards, à un père de famille qui n’arrive pas à soigner ses enfants correctement, qui n’arrive pas à les nourrir, qui ne les envoie pas à l’école, mais qui s’achète une Ferrari et vient la garer à la maison sous leur regard. C’est bien d’avoir un siège fonctionnel et tout le prestige. Mais c’est encore mieux de construire un football camerounais à la base. De le rendre performant, en organisant le football des jeunes. Dieu seul sait combien il y a de choses à faire dans ce football, pour qu’il devienne fonctionnel.
Avant de construire un siège, il faut passer par autre chose. Quelqu’un doit arriver dans notre beau siège, quand il doit regarder comment on fonctionne, il verra que c’est le néant. Quelle impression, c’est le paraitre qui est plus important ou c’est la réalité ?
La Fécafoot est un milieu que vous maitrisez très bien. Pensez-vous qu’à l’intérieur, on puisse commanditer des meurtres ?
Je connais l’Institution, mais les hommes vous savez, ils sont ondoyants et divers. Je ne peux pas savoir ce qui peut se passer dans la tête d’un individu ou d’un groupe d’individus. Je ne peux pas répondre à cette question, car l’homme est toujours imprévisible. Je ne saurais vous répondre objectivement.
Pour préciser, Samuel Eto’o, le capitaine des lions indomptables dit être menacé de mort par la Fécafoot. Les hommes étant divers et ondoyants, est-ce possible ?
Il a certainement ses raisons. Je pense que Samuel, ça fait quinze ans qu’il est dans cette équipe nationale. En ce qui me concerne, durant ces quinze années, je n’ai pas souvenance d’une attitude de cette nature.
Je me dis qu’il a ses raisons que je ne connais pas. Je ne sais pas ce qui se passe, mais je suis étonné. J’aimerai marquer mon étonnement que les gens en arrivent là ! Comment les dirigeants de la Fédération en occurrence le président a pu laisser une telle situation dégénérer ? Je suis encore à me poser des questions parce que ce n’est pas normal que les choses arrivent, où elles en sont aujourd’hui.
Qu’est ce qui se passe, est-ce que notre football est administré ? J’ai l’impression qu’il y a un vide complet au niveau de la Fédération et qu’il y a de graves défaillances, non seulement au plan administratif, mais aussi managériale.
En termes de bilan, comme jugez-vous la Fécafoot ?
Quand je regarde les quatorze dernières années, je constate que nous avons régressé de dix ans. Je sais de quoi je parle. Mais je suis curieux de voir qu’est ce qui sera brandi aux camerounais comme bilan de ce dernier mandat. Quand vous avez un mandat, vous avez une responsabilité. Ce n’est pas seulement les cent trente trois membres qui avaient élu le président en 2009. Ils détenaient des mandats de leur base. C’est le mandat de tous les camerounais. Quand vous avez un tel mandat, vous devez expliquer à ceux qui vous ont mandaté ce que vous en avez fait.
Je suis curieux de savoir ce que les dirigeants de la Fédération vont avancer comme raison, pour justifier ce recul sur tous les plans : organisationnel, administratif et de l’organisation de nos sélections nationales. Nous n’avons jamais connu une pareille période de toute l’histoire moderne de notre football qui a commencé en 1972 avec les Lions Indomptables. Je crois que c’est la première fois que nous vivions une situation d’une telle envergure et qui aille aussi loin.
Y a t-il des hommes susceptibles de donner une nouvelle orientation au football camerounais ?
C’est à la famille du football de le savoir et de trouver ces hommes. Ils se connaissent, ils savent qui est qui et qui peut faire quoi dans ce milieu. Nous nous connaissons tous dans cette famille. Nous n’avons pas à désigner quelqu’un. Mais la certitude c’est que l’avenir n’est pas avec Mr Iya. L’avenir est ailleurs. Pour chercher cet avenir et apporter une meilleure garantie à notre football, ce sont les débats. Il faut que les gens viennent et donnent leurs idées. Car il est question d’un débat d’idées. Il faut montrer qu’on connait le football, qu’on connait ses problèmes et qu’on est capable d’apporter des solutions justes pour le sortir du trou dans lequel il est en ce moment. Ce n’est pas une histoire de personnes ou d’individus. Nous avons une situation et il faut des solutions.
A l’image de ce qui c’est passé samedi. On avait une situation et la solution est venue du capitaine des lions indomptables. Il a créé cette solution. Il a montré qu’il porte bien son grade du plus ancien de la sélection. Il a montré qu’il pouvait apporter.
Mais en ce qui concerne le président Iya, il a montré qu’il pouvait apporter. Mais ces quatre dernières années, il a montré qu’il pourrait être un très grand handicap pour le football camerounais. Aujourd’hui, il faudrait tirer des leçons de tout ce que nous avions vécu pendant quatre ans. Je puis vous le dire, je suis très bien placé pour vous le dire. Il faudrait qu’il passe définitivement la main. Dans ce cas, il gardera définitivement une place dans la famille du football camerounais. Car personne ne pourrait effacer ce qu’il a fait.
Depuis quelques temps, le slogan le football aux footballeurs est à la mode. Partagez-vous ce point de vue ?
Je n’ai rien contre cette idée. Mais il ne suffit pas qu’on ait été ancien footballeur pour diriger la Fédération ou une quelconque structure. Il faut que les footballeurs montrent qu’ils ont une bonne connaissance du football camerounais, de la gestion, de l’administration et des problèmes du football. A mon avis, ils devraient dans ce cas logiquement être privilégiés. J’ai toujours pensé qu’à compétence égale, la priorité devrait revenir aux personnes qui ont pratiqué le football.
Il faut aussi savoir que le football aujourd’hui ce n’est pas le terrain. Le terrain représente 30% du football et les 70% restants sont réservés à l’administration, à la gestion, aux finances, au management, au marketing… C’est une complexité qui va au-delà des valeurs qu’on a pu avoir sur le terrain. Platini peut être placé comme exemple de réussite dans ce domaine.
Je suis d’accord qu’à compétence égale, la priorité revienne aux footballeurs. Mais le football moderne a évolué. Ce n’est plus uniquement le terrain, il est pluri-dimensionnel et nécessite d’autres compétences, parmi lesquels celle de meneur d’hommes. Mais il faut à l’avance connaitre les problématiques de base de notre football.
Avez-vous des visées ?
Pas du tout ! Les gens m’ont toujours posé cette question, je leur ai dit que ce n’est pas seulement en étant président de la Fédération camerounaise de football qu’on peut servir le football camerounais. Le football, on peut le servir partout et à tous les niveaux. Je l’ai servi à la Fécafoot pendant plus de dix ans. Je continue avec Etoile Filante de Garoua. Je suis de l’autre côté de la barrière, je travaille au quotidien pour ce football. Je n’ai pas d’obsession à être à la tête de la Fédération.
Je dis aujourd’hui, nous sommes dans l’impasse et la solution doit venir de l’intérieur. Et c’est à la grande famille du football de s’unir afin de trouver des solutions objectives pour sortir notre football du gouffre et lui redonner ses lettres de noblesses. Mon obsession s’est de voir le football que nous aimions tous arriver à sa maturité et être organisé comme il se doit. Parce qu’en réalité, le football camerounais n’a jamais été organisé comme il se doit dans notre pays depuis les indépendances. Personne ne peut expliquer comment nous avons obtenu tous les résultats que nous avions obtenus. Ce n’est pas le résultat d’une politique bien élaborée, bien pensée, bien exécutée, bien mise en œuvre, non ! C’est le fruit de la chance si je puis me permettre car nous avions eu des générations de joueurs doués.
Les choses continueront toujours ainsi ?
Il faut qu’on s’organise. Le problème est ailleurs, ça joue au niveau de l’administration, de la gestion. Pour que le football sur le terrain fonctionne bien, il faut que le reste de 70% qui se passe dans les bureaux se passe très bien. Il faut construire ce football et à ce moment nous pourrions nous attendre à des résultats.
Arthur Jorge au cours d’un stage organisé en 2005 pour les joueurs n’ayant jamais été convoqués en équipe nationale du Cameroun a dit que s’il y a un pays africain à même de remporter la Coupe du monde, ce serait le Cameroun, au vu du potentiel, du nombre et de la qualité technique des joueurs qui n’ont jamais intégré la tanière. Vous comprenez que Dieu nous a gâtés, et c’est à nous de tirer le meilleur de ce don qui nous a gracieusement été offert.
En un mot, serez vous ou pas candidat aux élections à la Fédération camerounaise de football ?
Aujourd’hui, ce n’est pas mon ambition. Mon ambition est que ce football soit construit, qu’il aille de l’avant. Je suis prêt à contribuer à la bonne marche de ce football, à quelque niveau que ce soit (…)
Y a t-il un plan Marshall pour sortir le football camerounais de ce chaos ?
Les solutions sont là. Il faut une volonté politique à tous les niveaux. Nous avons eu à explorer toutes ces solutions dans le cadre du Forum national sur le football. Nous y avions fait un énorme travail, les solutions sont là. Il doit falloir savoir les mettre en place jusque dans les détails. Ceci ne peut se faire qu’avec des hommes et des femmes compétents, désintéressés et entièrement dévoués à la cause de notre football.
Pourquoi avoir démissionné de la Fédération camerounaise de football ?
A un moment donné, je ne me reconnaissais plus dans tout ce qui se passait. Il y avait des méthodes de « voyous ». On était plus au service du football camerounais. C’était le contraire. C’était ce football qui était au service de quelques personnes. Ce n’était pas ça ma vision des choses.
Il y a certainement eu une confusion. Le président Iya croyait que je lui étais loyal. Ce n’était pas vrai. Car j’étais loyal à l’institution. Tant que le président œuvrait dans le sens de l’intérêt de la Fédération, je l’ai toujours suivi. Mais à partir du moment où j’ai constaté que ce n’était plus ça, c’était l’inverse je me suis arrêté.
Huit mois avant ma démission, Mr Iya et moi on ne s’adressait pratiquement plus la parole. La rupture était totale. Je suis fier de m’être arrêté et de ne l’avoir pas suivi sur cette voie. Je ne dois pas loyauté à une seule personne fusse t’elle président de la fédération.
J’ai mes convictions et Mr Iya le sait et je suis prêt à mourir pour ces convictions.
Quel bilan faites-vous de votre séjour à la Fédération ?
(…) Aujourd’hui je suis fier car la quasi totalité des réformes que peut revendiquer le président Iya sont, je pourrais dire, de mon initiative. Les championnats Mtn Elite One et Two. C’était presque au prix de ma vie car à la veille du conseil exécutif, j’avais reçu des menaces de mort. Les gens me disaient, vous allez passer sur nos cadavres. Mais nous avions réussi à apporter ces réformes, pour bouger les lignes et faire évoluer les choses. Et toutes les personnes qui sont à la fédération y compris Mr Iya en premier, ils savent que nous avions fait avancer les choses.
Je ne reculais jamais quand j’avais des convictions et que j’avais la certitude que ces convictions étaient fondées. Je n’ai pas travaillé seul. Nous étions un groupe et je pense que ceux avec qui nous avons fait tout ça mesurent pleinement ce recul de dix années dont je parlais au début de notre entretien. C’est malheureux (…)
Par rapport au sacrifice que nous avions eu à faire et que je vois aujourd’hui où nous en sommes, je me dis que c’est la vie. Il faut regarder de l’avant car ça fait partie de l’histoire.
Aujourd’hui je suis là et j’aimerais contribuer. Mon ambition première est de penser à ce débat et de faire en sorte que les choses évoluent dans le bon sens.
Propos recueillis par James Kapnang à Yaoundé