« Je me souviens de la finale Union – Port en 1997. Le plus grand joueur de l’Union, Bertrand Ngoulé n’allait pas jouer parce qu’il avait mal. J’ai décidé qu’il devrait jouer. Les dirigeants ont demandé comment j’allais m’y prendre. Je leur ai répondu que j’ai mon plan et quand un militaire est en embuscade, il ne parle pas à haute voix. »
Il est le plus ancien kinésithérapeute et le plus vieux en activité. Il compte 35 ans de métier, en a 61 ans lui-même. Le Sergent n’a pas encore repris du service depuis le début de ce 45e championnat. Mais l’heure de la retraite, n’a pas encore sonné. Le soigneur de l’Union de Douala se dit prêt à retrouver son poste.
En cette deuxième journée de championnat, le banc de touche des Nassaras est dépourvu d’un homme dont la présence colle fortement à l’image des « Verts-blancs » de la capitale économique. Cela ne souffre d’aucune contestation, car même dépourvu de ses couleurs traditionnelles, la formation de l’Union de Douala est reconnue dans tous les stades du Cameroun par son soigneur, pardon son inconditionnel kinésithérapeute. Sergent Makaya, c’est ainsi que l’appellent affectueusement tous ses admirateurs. Tous émerveillés par sa fidélité, son engagement, sa réactivité, sa sympathie, sa sportivité et sa bonne humeur qu’il sait seul distiller à tous ceux qu’ils croisent lors des matches de son équipe aussi bien dans qu’en dehors des stades de football.
Depuis Guider, à la première journée la non-présence du Sergent Makaya a retenu de prime à bord toutes les attentions. Surtout intriguées par la présence d’un nouveau visage qui exerçait comme soigneur de l’Union. En lieu et place de…l’ancien infirmier de la garnison militaire, le Sergent-chef Pascal Blaise Makaya. Et très vite, les supputations d’une retraite, mais alors bien méritée fusent de toute part. C’est plein, d’admiration et d’éloge que les propos qui partaient d’un public qu’on sait particulièrement rigoureux parlaient d’un homme qui a servi le football passionnément et de manière désintéressée.
En réserve
Derrière la loge de réserve de l’Union de Douala, un sexagénaire, tout de vert vêtu, polo vert et le bas d’un survêtement de la même couleur avec des pieds enfilés dans une paire de tennis sans chaussette, était lourdement assis. Comme un apprenti ! Suivant le match avec une attention qui cachait mal les atomes crochus qui sont siens avec le football et surtout avec l’une des deux équipes dont il portait les couleurs. D’ailleurs sa tête dodelinait au rythme du déplacement du ballon sur l’aire de jeu et le reste de son corps accompagnait la gestuelle défensive ou offensive des joueurs de l’Union. Ce genre de personne, il ne faut jamais souhaiter l’avoir derrière vous dans un gradin, auquel cas votre arrière train subira les assauts répétés de ses coups de pieds incontrôlés. Accompagnés des soliloques du genre : «Décidément rien ne nous réussit aujourd’hui», devant le manque de réussite des joueurs de l’Union ou «Omgba Zing, c’est méchant !», qualifiant le coup de sifflet de l’arbitre dans les dernières minutes du match. Pour autant, ce n’est pas un revanchard. Pour preuve, lorsque quelques supporters l’approchent à la fin d’un match perdu pour trouver très vite le bouc émissaire, il s’indigne et essaie de convaincre ces incrédules qu’une défaite s’accepte.
Cet homme n’est autre que Pascal Blaise. Des prénoms méconnus du grand public. Comme un apprenti, il est assis à même le sol, la mine patibulaire qui montre qu’il sort progressivement d’une fièvre erratique qui a eu la particularité de lui donner des oedèmes et des exanthèmes. Il y a encore des séquelles. Malgré tout, il est resté une personne allégorique. Donnant d’emblée la signification de son nom en Bangangté, sa langue maternelle : «Makaya veut dire, personne ne doit traverser». Avant de nous expliquer la cause de son absence du banc de touche. Il n’est pas question d’une retraite, car il n’entend pas s’esbigner de ses fonctions de soigneur encore moins du football. Toutefois, il précisera que «l’arrêt, ce sera certainement pour cette fin de saison». La question qui demeure est celle de savoir comment se fera cette sortie de scène pour cet acteur qui aura œuvré pendant 35 ans avec fierté dans une fonction ingrate mais ô combien exaltante, celle de soigneur : «Même sans avoir eu de récompenses cette fonction me plait». S’il était joueur, son jubilé serait bien méritée. Mais il est soigneur, c’est par un hommage particulier que sa retraite devrait être sanctionnée. Le football camerounais en général et l’Union de Douala en particulier le lui doit.
Souvenirs, souvenirs !
Mais avec ou sans ses honneurs, il sert et aura servi le football avec passion. «J’ai trop aimé l’Union, même si on me donnait tout l’or du monde je ne serais jamais parti». Cet amour n’est pas celui d’un autodidacte comme pense l’imagerie populaire. S’il et vrai que le pseudonyme de Sergent est lié au grade le plus élevé qu’il a occupé dans l’armée, la fonction de soigneur qu’il a occupé dans l’Union depuis 1969 alors qu’il n’avait que 16 ans l’a conduit à l’obtention d’un diplôme d’infirmier breveté, spécialisé en médecine sportive, à Pau-France. Une formation qu’il mettra avec application au service du football. Et il en a d’ailleurs gardé des faits d’arme. C’est le cas de Biyeteck, un ancien joueur de l’Union junior, Panthère et de l’Aigle de Nkongsamba. II a même été meilleur buteur d’une saison en division 1 au Cameroun. Seulement, parti pour une aventure professionnelle, il reviendra avec un mal de genou qui amènera les médecins européens a lui déclaré un arrêt définitif : «Avec la bénédiction de Dieu et de toute la science que j’ai apprise, je suis arrivé à le guérir au bout de 3 mois. Au point que de retour en Italie, les blancs émerveillés, ont cherché à savoir qui avait réussi un tel exploit». Aujourd’hui, «Il ne peut pas arriver au Cameroun sans arriver chez moi», continue-t-il. Une grande reconnaissance. Sa principale richesse.
Dommage que chez nous, la fonction de soigneur dans les équipes, soit restée un poste de larbin. Pourtant, Sergent Makaya essaie de démontrer qu’il est important et que le soigneur comme on l’appelle au Cameroun, au lieu de kinésithérapeute peut au même titre que l’entraîneur contribuer à la victoire. «Je me souviens de la finale Union – Port en 1997. Le plus grand joueur de l’Union, Bertrand Ngoulé n’allait pas jouer parce qu’il avait mal. J’ai décidé qu’il devrait jouer. Les dirigeants ont demandé comment j’allais m’y prendre. Je leur ai répondu que j’ai mon plan et quand un militaire est en embuscade, il ne parle pas à haute voix. A quelques minutes du match, j’ai fait ce que j’ai appris et puis la cheville malade portait deux bandes et la cheville non malade quatre bandes. Ce qui la rendait plus distinctive. Port savait qu’il était malade. Et les consignes étaient données de le sortir le plus vite. Les joueurs de Port ont passé le temps à taper la cheville non malade. Nous avons remporté la finale et le malade a été désigné l’homme du match. C’est un grand souvenir !»
S’il peut se réjouir de ses exploits individuels tout comme collectifs et souvent des avantages que ce poste lui aura procurés notamment faire le tour du monde avec l’Union, il reste qu’en revanche, il a aussi essuyé les quolibets de sa hiérarchie. «Dans l’armée, j’étais toujours mal noté parce que mes supérieurs mentionnaient que j’aimais l’Union plus que l’armée». Une lapalissade. Il reste tout de même que Sergent Makaya qui exercera encore pour sa dernière année a fait pas mal d’émules parmi lesquels un de ses 8 enfants. Une fille, qui est docteur en médecine sportive. Elle n’a pas la même réputation que son père.
Le Sergent, au propre comme au figuré, a vu arriver et passer sous ses yeux des joueurs qui ont pris leurs galons sur l’aire de jeu à l’instar du général Ndoumbé Lea, du Marshall Moïse Wekin et du Caporal… tous deux de l’Aigle de Dschang. Mais il dit ne pas avoir le moindre regret. La vie l’a gâtée au regard des joies émotions et même des peines vécues au côté de l’Union. Sa progéniture et aussi l’autre source de satisfaction. Lui reste et demeure le Sergent Makaya, le seul et l’unique, le rare acteur du football gradé de l’armée.
Mathieu N. Njog