Entre une qualification et une élimination, la différence tient parfois à très peu de choses. Le Cameroun en fait, une nouvelle fois, l’amère expérience. L’équipe du Cameroun est repartie. Pas Pierre Womé Nlend. Les joueurs sont rentrés dans leurs clubs, pas Pierre Womé Nlend. Car le défenseur de l’Inter de Milan n’est jamais venu en Egypte.
Les dirigeants sont retournés au pays.
Une désillusion de plus dans la vie des « Lions Indomptables » qui ont connu beaucoup d’immenses joies et autant de périodes de désespoir. Il s’en est fallu de si peu que l’équipe continue sa route. Un simple tir au but.
Réussi, raté ; raté, réussi. Une véritable loterie, bien préférable à la pièce jetée en l’air autrefois pour départager les équipes qui n’avaient pu le faire sur le terrain. Beaucoup ont été contraints de se soumettre à cette séance des tirs au but aussi éprouvante pour les nerfs des joueurs que pour ceux des supporteurs. Et quelques uns parmi les plus grands, les plus célèbres ont failli à l’instant du tir qui allait ou pouvait faire la décision. Roberto Baggio, par exemple, lors de la finale de la Coupe du monde 1994. Son échec personnel laissait le titre au Brésil.
Au Caire, il y a longtemps que la séance de tirs au but avait commencé. Eto’o le premier, Drogba ensuite ; un Camerounais puis un Ivoirien en alternance. Fait exceptionnel, sans doute unique dans les annales du football de ce niveau, les joueurs de chacune des deux équipes, de l’avant-centre au gardien de but, s’étaient soumis à l’épreuve. Pas un n’avait manqué la cible. Il fallait repartir de zéro. Eto’o s’élançait, son tir passait largement au-dessus de la barre. Son camarade et rival de l’autre camp, Drogba, ne tremblait pas. Son essai, sans coup férir, était transformé. La Côte d’Ivoire entrait en demi-finale. Fin de route, en revanche, pour les « Lions Indomptables » qui avaient paru si inébranlables dans la compétition au point, pour beaucoup, de devenir le favori de l’épreuve.
Samuel Eto’o, meilleur joueur d’Afrique, meilleur buteur du tournoi, meilleur buteur de la Liga avant de venir à la CAN, un des grands d’Espagne et d’Europe, avait failli comme un joueur plus anonyme du groupe, moins célèbre. Comme Pierre Womé Nlend ce 8 octobre 2005. Le tir du défenseur avait frappé la base du montant gauche des buts égyptiens et le Cameroun, à la toute dernière minute de ce match-sésame, s’était laissé dépasser par la Côte d’Ivoire qui lui raflait la place en jeu pour le prochain voyage en Allemagne. Le joueur en a souffert dans sa chair et dans son âme. Le public le rendant responsable de l’ « humiliation ». Il était puni d’indignité nationale. Parce qu’il s’appelait Womé, qu’il était défenseur et n’était pas une star, simplement un joueur de devoir, indispensable mais moins visible. Oublié naturellement le fait que ce soit grâce à un de ses tirs au but, dont il s’était fait la spécialité, que le Cameroun avait remporté le titre olympique à Sydney.
Womé était impardonnable. L’entraîneur l’avait couché sur sa liste des joueurs pour la CAN. Une main ferme avait barré d’office son nom. Womé était le mouton noir des « Lions Indomptables ».
Que va-t-il advenir de Samuel Eto’o ? Rien naturellement. Parce que son échec n’est qu’un incident regrettable, mais un incident comme il s’en produit régulièrement sur les stades. On ne brûle jamais une idole en activité quand elle a encore beaucoup de médailles à gagner pour la gloire de tous.
Womé n’est pas Eto’o. Mais Pierre Womé Nlend est un joueur de football comme l’est Samuel Eto’o. Ils font le même métier.
Non, Pierre Womé Nlend n’est pas coupable !
par Gérard Dreyfus