C’est l’histoire classique que tous les potaches de ma génération de latinistes manqués connaissent bien : le coq trouve une perle pendant qu’il picore à gauche et à droite à la recherche de sa pitance. Mon illustre confrère Gustave Samnick, généralement posé et réservé, est tombé en pâmoison en août dernier, dans les colonnes de notre journal, devant les grues chinoises au carrefour Warda à Yaoundé. Qui pourrait lui en vouloir ?
L’évolution des choses sur le front des infrastructures sportives à la sauce chinoise au Cameroun suscite deux réflexions qui, j’espère, n’entameront pas l’enthousiasme du célèbre observateur. En premier lieu, les Chinois, comme le coq de Phèdre, finissent toujours, à force de picorer large, par trouver une perle. Ensuite, sous couleur de mise en garde, je crois utile de rappeler qu’un Chinois en Afrique, comme le train de la défunte Régifercam, peut en cacher un ou plusieurs autres.
Je demande un peu d’indulgence de la part de mes lecteurs pour la petite digression qui suit. Le financement des infrastructures dans un pays en voie de développement obéit à une règle banale : un bailleur de fonds étranger consent un concours important au pays demandeur bénéficiaire et, en retour, obtient invariablement un traitement de faveur au double plan de l’exploitation des ressources et de la taxation. Chez les Chinois, les ressources sont généralement avancées par la Banque d’export import de Chine, une machine à subventions, à l’entreprise chinoise ayant gagné l’appel d’offres. Celle-ci exécute les travaux, avec du matériel et des ouvriers chinois.
Revenons au Cameroun, au stade Paul Biya et à la China National Machinery and Equipment Import and Export Corporation (CEMEC) et reconnaissons illico ceci : qu’est-ce que cela peut bien nous faire de savoir qui construit quel stade et dans quelles conditions, pourvu que nous obtenions, enfin, un stade digne de ce non ? Rien, sans doute. Ou peut-être.
J’en conviens volontiers : nous ferions tout pour obtenir un stade de football comme il y en a en Côte d’Ivoire, en Guinée Équatoriale ou même à Bamako. Cela dit, regardons les choses bien en face, et posons-nous quelques questions. Le MINSEP et le Premier ministre ont admis que nous n’avions pas un sou à nous pour réhabiliter les structures existantes, encore moins pour construire quoi que ce soit. Alors, existe-t-il un seul gogo camerounais qui croirait que les Chinois ont quitté la Chine pour venir bâtir des stades chez nous, nous les livrer, et repartir chez eux avec seulement leurs bols de riz ? Y a-t- un de mes lecteurs qui sait quelle est la contrepartie camerounaise négociée par le MINSEP ou qui penserait que nous n’avons rien donné ni promis ?
Il n’y a aucune raison objective que nous ne sachions pas à quelle sauce les Chinois vont fatalement finir par nous manger. Et, sur la foi des opérations incroyables que la Chine a exécutées en Afrique depuis une dizaine d’années par la CEMEC interposée, il y a lieu de croire que la pilule ne va pas passer sans mal. Cette fameuse CEMEC est un tentacule boulimique présent sur tous les secteurs ; elle est dans l’import-export d’avions, de véhicules, de navires, de machines-outils ; elle est prestataire de services, vendeuse et productrice sur les marchés des mines et carrières, de la construction de barrages, des télécommunications, des routes, des chemins de fer… Ce qu’il faut surtout retenir, c’est que la plupart des interventions, sinon toutes, sont des projets sous aide de prêts du Trésor chinois. En clair : la CEMEC est le bras séculier de la Chine conquérante, à preuve l’Angola et le Gabon.
En 2005, la Chine a accordé à l’Angola un prêt de 2 milliards de dollars pour le financement d’infrastructures. En retour, Luanda s’est engagé à attribuer aux entreprises chinoises 70 % des contrats pétroliers. Vous avez bien lu, 70 %.
Le cas du Gabon, dont s’est gaussé largement Le Gri-Gri International, est beaucoup plus inquiétant. La Banque d’export import de Chine a accordé, par CEMEC interposée, un prêt de 1 600 milliards de francs à la COMIBEL (Compagnie minière de Belinga), société financée uniquement par la partie chinoise, qui détiendra 85 à 90 % du capital, laissant le reste aux Gabonais, en échange d’un traitement préférentiel sur les taxes d’exploitation des ressources naturelles et des bénéfices.
C’est comme cela que la Chine intervient en Afrique ; c’est probablement comme cela qu’elle est entrain d’entrer chez nous. Mais on peut désirer un stade de football à tout prix et opposer une résistance crédible à la voracité des Chinois, c’est-à-dire négocier des termes d’un contrat sans hypothéquer des pans entiers de notre économie. Nous voulons croire que le MINSEP y veille et, surtout, qu’il dévoilera aux simples citoyens que nous sommes les dessous des tractations en cours. Nous sommes des enfants, comme il croit sans doute, mais nous exigeons de connaître le coût des jouets qu’on nous donne.
Les 415 millions d’euros dont il a été fait mention représentent quoi au juste ? S’il s’agit d’un prêt du Trésor chinois, quel taux est servi sur ce concours remboursable sur 9 ans ? Ces ressources seront-elles gérées par le Cameroun ou, comme le font toujours les Chinois, s’agit-il simplement d’un transfert direct à une société chinoise qui n’a de compte à rendre qu’à la Chine ? Y a-t-il un différé d’amortissement ? Le gouvernement camerounais a-t-il versé un acompte ? Une fois l’ouvrage livré, l’exploitation et les bénéfices d’exploitation reviendront entièrement-ils entièrement au Cameroun ? Quel est vraiment l’intérêt de la société Lafamba de Roger Melingui dans cette affaire?
Par ailleurs, il est curieux d’apprendre que le choix de la CEMEC a été motivé par l’intervention de notre ambassade en Chine et par les conseils du machin de M. Melingui. Cela veut-il dire qu’un marché aussi important a été passé sans appel d’offres international ? Nos ambassades en Egypte, au Maroc ou en Afrique du Sud ont-elles été mises à contribution ? Pourquoi pas ?
Mais il y a autre chose. M. Li Changxin, le chef de la délégation chinoise à Yaoundé est-il différent de M. Yang Sheng Li ? Mes connaissances en chinois sont certes limitées, mais je pense fortement qu’il s’agit de la même personne. M. Yang Sheng Li est en fait le grand patron de la China National Machinery and Equipment Import and Export Corporation France. Son adresse : 64-66, avenue Gambetta, 92400 Courbevoie (France). Téléphone : 331 47 88 95 12.
C’est logique et c’est clair. C’est par cette branche que la Chine intervient d’ordinaire en Afrique francophone. La CEMEC de M. Yang Sheng Li est particulièrement active dans les deux Congo, avec par exemple le vieux projet du barrage d’Imboulou cher au Marxiste Marien Ngouabi et réactivé en 2002 avec des conditions financières scandaleusement favorables aux Chinois ; la réhabilitation du chemin de fer Kinshasa-Matadi en RDC…
Les Camerounais sont peut-être des couillons comme le pensent tous ces gens en chemise amidonnée qu’on voit sur les photos des gazettes. Mais une chose que nous savons tous est qu’aucun marché le moindrement juteux ne passe habituellement chez nous et en Afrique francophone sans la bienveillante bénédiction de la France. L’activité chinoise est tolérée chez nous pour une raison bien simple : les Français ne s’intéressent plus qu’aux projets à grande valeur ajoutée (pétrole, nucléaire). Ils peuvent donc laisser aux Chinois l’infrastructure, dont se servent ces derniers pour garantir un approvisionnement en matières premières à vil prix.
Que M. Edjoa fasse donc construire des installations à Yaoundé seulement ; c’est déjà ça. Mes lecteurs ont une seule demande : le ministre peut-il s’assurer que les Chinois acceptent un différé d’amortissement de 50 ans avant de commencer à nous faire ça dur ? Comme ça, le gros d’entre nous sera déjà mort. Tant pis pour les autres.