Ce n’est pas vraiment parce que j’ai été recalé au service militaire en 1971 pour cause d’élongation verticale inférieure à 170 cm que j’ai tardé à vous féliciter pour la nouvelle étoile qui vient d’être épinglée à votre épaule.
De fait, me rappelant votre seule sortie connue dans le civil, en 1988, à la tête de la LINAFOOT, je devrais plutôt substituer à l’hagiographie de rigueur l’oraison funèbre qui s’impose dans votre situation. Malheureusement, face à l’insolente et inexplicable longévité de M. Zoah au MINSEP, je dois reconnaître que mes oraisons funèbres n’ont plus le poids d’antan. Cela dit, mon Général, je tiens à attirer votre attention, au moment où vous prenez la tête de la Ligue de football professionnel, sur deux ou trois évidences.
La première évidence est que vous n’avez pas le temps. Vous ne pouvez rien bâtir de solide en deux ans. Combien de temps pensez-vous qu’il faut, dans l’état de décrépitude actuel, pour créer une vraie ligue de football, élaborer des règles crédibles, instaurer un système de recours et d’arbitrage de griefs, éradiquer la corruption, insuffler l’esprit de respect des règles, recruter les personnes qu’il faut avec des missions précises ? Trois ans ? Cinq ?
Vous vous rappelez, n’est-ce pas, le défilé militaire du premier anniversaire de l’indépendance en 1961 ? Vous étiez déjà là. Vous avez remplacé le sinistre Charles Gros à la tête du redoutable Premier bataillon de l’armée camerounaise en Sanaga-Maritime ; vous avez laissé vos marques au Secteur militaire de l’Ouest (SMO) dès 1963. Mon Général, vous donnez de votre personne depuis plus de 50 ans. C’est beaucoup.
La deuxième évidence est que, manifestement, vous pensez que les hommes que vous avez commandés avec un certain bonheur depuis plus de 50 ans sont les mêmes que vous allez fréquenter dans vos nouvelles fonctions. Vous vous trompez. Je sais que je m’adresse à un ancien de l’École d’application de l’artillerie de campagne de Châlons-sur-Marne, mais je souhaite quand même, au bénéfice de mes lecteurs, vous renvoyer au Manuel du soldat en campagne, la bible des Armées, le compagnon et le code de conduite de tout militaire sachant militer. Question : « De quoi sont les pieds du fantassin ? » Réponse : « Ils sont l’objet de soins constants.» Question : « Que met-on dans son fusil ? » Réponse : « Une confiance inébranlable. » Question : « Quand doivent avoir lieu les défilés ? » Réponse : «L’après-midi s’il pleut le matin et le matin s’il pleut l’après-midi. » Question : « Que suit la balle en sortant du fusil ? » Réponse : « Elle suit les règles de la balistique. »
Voilà, mon Général, l’état dans lequel ont été formés les hommes que vous avez commandés toute votre vie. Des hommes mus uniquement par le devoir d’obéissance. Des hommes qui ne posent pas de questions, qui exécutent les ordres sans rechigner ni chercher à comprendre. Vous n’en rencontrerez pas beaucoup dès maintenant.
La troisième évidence est que vous n’avez pas compris ou, pire, qu’on ne vous pas dit en quoi consistait votre mission. Face à M. Bruno Tagne, parlant de l’argent – le nerf de la guerre, n’est-ce pas ? – vous avez dit ceci : « Le gouvernement y a pensé. Si on veut mettre un football professionnel en place, je suppose qu’on a pensé qu’il faut de l’argent, notamment les subventions de l’État… ». Le gouvernement ? On ?
Mais il n’y a plus de « on », mon Général. On, c’est vous. C’est à vous de mettre en place une structure pérenne, de définir les contours d’une activité sur des bases professionnelles, d’offrir aux amateurs un produit de qualité. C’est maintenant à vous de penser pour nous tous. Et puis, vous devez comprendre une chose : l’État camerounais, qui peine à nous soigner, à créer de l’espoir pour les jeunes, à construire des routes décentes, à assurer la sécurité et à administrer la justice, n’a absolument pas pour vocation d’organiser une ligue de football professionnel ni de financer une telle activité qui ne profite qu’à un tout petit nombre de Camerounais.
Vous êtes maintenant au service d’une association privée chargée de faire fonctionner une activité sportive au Cameroun. Ce n’est pas le service public. Cette association, la Fécafoot, a pour rôle de trouver les financements, d’organiser les compétions et, accessoirement, de vous payer et de vous trouver des bureaux. Pas l’État camerounais. Cela, vous devez bien le comprendre, mon Général.
Vous avez été choisi, soit ! Il y a des choix pires qui auraient pu être faits. Je ne pense toutefois pas que vous ayez la moindre chance de réussir. La Fécafoot perd de sa crédibilité tous les jours et perdra à terme sa légitimité. Vous avez traversé les terribles années de la ZOPAC de Sanaga-Maritime et les meurtrières campagnes du général Max Briand (le « Viking », n’est-ce pas ?) en pays bamiléké. Vous en êtes sorti sans beaucoup de taches sur votre personne et sur votre réputation. Conservez ce crédit que vous avez auprès de vos compatriotes : n’y allez pas.