S’il est connu des footballeurs amateurs du pays grassois pour sa gentillesse, son insoumission et son implication, Paul Bahoken est l’auteur d’un parcours dont peu mesurent l’ampleur. Et pourtant, avec quinze ans de professionnalisme et une expérience internationale hors du commun, cet homme peut s’enorgueillir d’avoir écrit une des plus belles pages du football camerounais
« Le football m’a tout donné, je ne vois pas ce que je pourrais encore attendre de lui ! En entraînant chez les amateurs, j’essaie seulement de transmettre car c’est très important pour moi qui suis de culture africaine. J’ai réalisé une carrière de joueur professionnel et international car des gens m’ont aidé, maintenant je veux rendre la monnaie. C’est ce que j’essaie de faire depuis plus de dix ans… » Ces quelques mots sont ceux de Paul Bahoken, éducateur à l’US Plan-de-Grasse, après des passages à l’ASPTT Grasse, au SC Mouans-Sartoux ou encore au RC Grasse. Intégré depuis de nombreuses années dans le monde du football amateur azuréen, l’homme s’attelle à faire passer son message, sa promotion en faveur du football. Paul Bahoken est un entraîneur comme tant d’autres. C’est au nom de la passion qu’il donne de son temps pour apporter sa pierre à l’édifice. Un entraîneur comme tant d’autres ? Pas tout à fait. Car si son nom ne vous dit toujours rien, sachez que l’homme peut s’enorgueillir de plus de quatre-vingt sélections sous le maillot Camerounais de 1973 à 1987, avec au passage, un brillant parcours lors de la Coupe du Monde 1982 et une participation aux Jeux Olympiques de Los Angelès en 1984 ! Accessoirement, sachez également que cet ailier droit a porté les couleurs du plus grand club camerounais, le Tonnerre de Yaoundé, avant de poursuivre sa carrière professionnelle en France, à Reims, Troyes, Cannes, Valenciennes et Alès. Un parcours dont peut être fier aujourd’hui ce Lion Indomptable qui a su demeurer indompté. Effectivement, doté d’un caractère en acier trempé, il a su construire une carrière, improbable à seize ans quand il disputait avec ferveur ces traditionnels matchs de quartier bien typiques au football africain.
Le parrain Milla
C’est à Douala, en décembre 1956, que Paul voit le jour. Son père, contremaître dans une usine de fabrication de bière, et sa mère, femme au foyer, lui donneront ensuite une sœur, aujourd’hui institutrice, et un frère, devenu expert-comptable. Doté d’un physique et d’un toucher de balle avantageux, Paul va quant à lui rapidement faire du football son activité favorite. C’est donc avec fierté qu’il représente le quartier de Bali et réalise ses premiers exploits sur le sable sec des terrains de Douala. Bien lui en prend puisqu’à l’occasion d’une rencontre inter-quartiers, il tape dans l’œil d’un de ses aînés, lui-même joueur à l’Éclair de Douala, un certain Roger Milla… « Roger est plus vieux que moi de trois ans et quand il m’a vu jouer au quartier, il était déjà connu pour son talent bien au-delà des limites de la ville. Il était issu du quartier de Bonenjo et je le connaissais de vue depuis quelque temps déjà car son père était chef de gare. Ce jour-là, il m’a demandé si je voulais faire un essai avec l’Éclair, et bien sûr j’ai accepté. Il a donc parlé de moi à l’entraîneur et cela s’est fait très rapidement. Le seul problème c’était mon père. Il supportait les Caïmans de Douala et rêvait de me voir porter le maillot de cette équipe qu’il aimait par-dessus tout. Mais moi je préférais aller dans un autre club et quand j’ai choisi de rejoindre l’Éclair, il a vraiment eu du mal à l’accepter ! » Paul n’évite donc pas les reproches paternels, mais ne tarde pas à faire parler de lui aux quatre coins du pays, à tout juste dix-sept ans. Entre-temps Milla a rejoint la capitale pour porter les couleurs du Tonnerre et après une première saison en 1re Division, Paul rejoint les rangs du Stade de Douala avec qui il parvient jusqu’en quart de finale de la Coupe du Cameroun contre le Canon de Yaoundé. Pour cette rencontre, des émissaires du Tonnerre sont présents, ainsi que le sélectionneur yougoslave des Lions Indomptables, Vladimir Beara. Auteur d’une excellente performance malgré la défaite de son équipe, Paul tape dans l’œil de tous les observateurs. Il n’a pas encore dix-neuf ans et s’il ne le sait pas encore, il sera bientôt l’une des stars du Tonnerre et de la sélection. Et la saison terminée, sa seconde au plus haut niveau camerounais, il prend tout naturellement la direction de Yaoundé, toujours parrainé par son ami Roger dont la renommée dépasse maintenant les frontières du pays. Quelques mois plus tard, son nom est attendu dans la liste du sélectionneur et c’est avec impatience que ses supporters appréhendent sa première cape. « En 1975, l’équipe nationale devait partir effectuer un stage de quarante-cinq jours en Chine. Dix-sept joueurs étaient convoqués et j’étais fortement pressenti pour en faire partie. Quand la liste est sortie, j’écoutais donc la radio et le speaker égrainait les noms des joueurs sélectionnés. Quand il est arrivé au seizième, je me suis dit que c’était raté pour moi et à ma grande surprise, j’étais le dix-septième sur la liste. Quand mon nom est sorti, c’était la folie. En trente minutes, ma maison était pleine d’amis qui étaient venus me féliciter. J’ai donc fait la tournée, et à notre retour, nous avons affronté l’AS St-Étienne en amical. Après ce match, je ne suis plus jamais sorti de la sélection jusqu’à ma retraite sportive. »
Coup de cœur pour Cannes
Si pour beaucoup de joueurs africains, Roger Milla a ouvert la voie, il l’a d’autant plus fait pour Paul Bahoken. Le grand Roger parti pour Valenciennes, Paul ne va pas tarder à l’imiter en prenant la direction de l’Hexagone pour tenter à son tour l’aventure européenne. C’est donc au Stade de Reims de Pierre Flamion qu’il débarque en 1977 avec la ferme intention de s’imposer. Un contretemps vient pourtant gâcher ses débuts français car les négociations sur son transfert entre le Stade et le Tonnerre traînent en longueur. Et quand enfin les deux clubs s’accordent, le championnat est commencé et Reims possède déjà son quota de joueurs étrangers. Le club champenois ne le laisse pas tomber pour autant, et Paul s’engage avec Troyes où il est prêté pour une saison. Rapidement, il prend la mesure de la 2e Division, les premiers mois sont satisfaisants sur tous les points, mais l’hiver arrivé, il éprouve beaucoup de difficultés à s’adapter au rude climat de l’Aube. « J’ai eu une adaptation très, très difficile à Troyes ! Je ne connaissais pas le froid et encore moins la neige alors là, j’étais servi ! Un jour, j’ouvre la porte de chez moi, et je vois du blanc partout. Il avait neigé ! Je n’ai pas cherché à comprendre, j’ai fermé la porte et je suis resté chez moi toute la journée ! Je n’avais qu’une envie, c’était de rentrer au Cameroun ! Heureusement, le Toulonnais Diallo, que j’avais connu au pays, m’a beaucoup soutenu. Je l’avais souvent au téléphone et il me disait que lui aussi il avait connu ça et qu’il s’était accroché… » C’est donc ce que fait Paul pour cette première année et cela paye car à l’aube de la saison 78/79, Reims veut le récupérer, mais Strasbourg et Cannes ont également son nom sur leurs tablettes. Trois solutions s’offrent donc à lui, deux en D1 et une en D2, mais Paul ne base pas son choix sur les critères sportifs. « Avec Troyes, j’avais eu l’occasion de venir jouer à Cannes. Je me rappelle encore quand nous étions dans l’avion au-dessus de l’aéroport de Nice, j’ai demandé à mon voisin si l’on était encore en France en voyant la mer et les palmiers. Bien sûr, lui m’a répondu que oui, alors je me suis dit que cet endroit était pour fait moi. Quand on a joué le match, je me suis donné à fond pour que les dirigeants cannois me remarquent, et apparemment cela a marché puisque quelques mois plus tard ils m’ont sollicité. Reims et Strasbourg évoluaient en 1re Division, c’était alléchant, mais je ne me voyais pas retrouver le « Pôle Nord », alors j’ai décidé de venir sur la Croisette. » Un contrat de cinq ans en poche, l’international camerounais débarque donc à Coubertin alors que Robert Domergue mène la barque cannoise. Le soleil, l’ambiance méditerranéenne, Paul se sent comme chez lui sur la Côte et cela se voit sur le terrain. En 1982, il sera pourtant transféré à Valenciennes, où il passera six mois avant que le club ne soit en proie à de sérieux problèmes financiers. Il portera aussi les couleurs d’Alès dans la foulée, mais à jamais son cœur sera azuréen.
Le Cameroun champion du monde !
Parallèlement à cette carrière française bien remplie, Paul Bahoken n’a bien sûr jamais laissé tomber la sélection. « C’est un immense honneur pour un footballeur camerounais que de devenir international et faire partie des Lions Indomptables », affirme-t-il, la voix teintée de fierté. Malchanceux, il n’a jamais pris part à la phase finale de la Coupe d’Afrique des Nations, alors qu’il participa activement aux rencontres de qualification. Mais il a eu le bonheur d’écrire la première grande page du football camerounais, lors de la Coupe du Monde espagnole de 1982, puis deux ans plus tard à l’occasion des JO de 1984. « Pour la qualification au Mondial, nous avions affronté le Maroc de Merry Krimau devant plus de 120 000 personnes. C’était inoubliable, il y avait une queue de plusieurs centaines de mètres et les tribunes du stade étaient déjà garnies la veille du match. Nous avions gagné deux buts à un, et se qualifier c’était comme si nous avions déjà gagné le mondial ! De la compétition en elle-même, je me souviens de trois bons matchs où nous n’avions pu prendre l’avantage. On avait d’abord affronté la Pologne pour un nul vierge, puis l’Italie pour un nul un but partout et enfin le Pérou pour un nouveau nul vierge. En fin de compétition les Polonais étaient troisièmes et l’Italie sur la plus haute marche du podium, ce qui renforçait notre performance malgré l’élimination dès le premier tour. Quand nous sommes rentrés au pays, c’était fantastique. Un cortège nous a mené de l’aéroport jusqu’au palais présidentiel où nous avons été décorés. » Depuis, les Lions Indomptables ont écrit d’autres très belles pages du football camerounais, un quart de finale lors du « Mondiale » italien en 90, un prestigieux titre de champion olympique à Sydney en 2000, mais pour beaucoup, l’équipe de 82 reste la plus belle et ses joueurs sont de véritables icônes de Douala à Yaoundé. Souvent conviés à disputer des rencontres caritatives depuis leur départ en retraite, les héros de 82 ont régulièrement l’occasion de se retrouver et d’évoquer leurs exploits passés. C’est d’ailleurs pour l’une de ces rencontres que Paul a pu faire la connaissance du « docteur » Socrates, le légendaire milieu de terrain brésilien. « Parler football avec un grand monsieur comme lui est un honneur », dit-il sans révérence mais avec une flamme indescriptible dans le regard. Car Paul Bahoken a su s’enrichir au contact de ses coéquipiers, entraîneurs ou adversaires. Et cette richesse, il ne demande qu’à la partager, dans un message fort qui vient du fond du cœur.
Entre deux mondes
Oscillant entre sa vie française et sa vie africaine, Paul Bahoken est dans son élément. Il le dit lui-même : « Je me sens aussi bien à Douala qu’à Grasse. Je suis attaché à mes origines, mais j’ai quand même passé la moitié de ma vie ici et cela ne s’oublie pas. » Sur la lancée du succès des Lions de 82, il aurait pu glaner un poste au Ministère des Sports, mais comme son grand ami Joseph-Antoine Bell, il n’a jamais eu la vocation du démagogue… Et s’il retourne chaque année au pays pendant un mois et demi, c’est pour profiter des siens restés à Douala et aider son frère dans la gestion des affaires familiales. Sa vie française est quant à elle partagée entre son emploi de magasinier dans une grande usine de l’industrie aromatique, sa petite famille et bien sûr le football qui tient encore une part importante dans sa vie. « Je suis passé par pas mal de clubs dans la région grassoise et même en Gironde où j’ai entraîné une formation de PHA pendant deux ans, car mon désir est de communiquer ma passion à un maximum de personnes. Je possède un diplôme qui me permet d’entraîner des équipes de DH, mais je n’ai eu qu’une seule fois l’occasion d’exercer à ce niveau en tant qu’entraîneur. Je me suis souvent heurté à un système qui consiste à privilégier le « pistonnage » au lieu des considérations techniques. Mon caractère fait peut-être peur à certains, je n’ose pas dire que c’est ma couleur, mais les gens ne comprennent pas que quelqu’un veuille seulement inculquer de bonnes bases aux jeunes. Je ne veux pas refaire du football mon métier, je le répète, il m’a tout donné et je n’attends rien de lui. Je veux juste faire partager mon expérience qui n’est tout de même pas négligeable. Mais bon, il semble que certains ne comprennent pas ce message, comme à Cannes, mon ancien club. Il y a cinq ans, on m’a dit que je faisais partie des meubles, qu’on penserait à moi pour me confier une équipe de jeunes, mais heureusement que je n’ai jamais attendu car rien n’est venu depuis ! » Mais Paul n’est pas amer et fait toujours preuve de la même foi qu’au début. Stigmatisant les dérives du football professionnel actuel, il pointe le doigt sur les stéréotypes : « Avec la généralisation de la formation, on assiste à une uniformisation du footballeur. Je pense qu’il est très dangereux pour notre sport de fabriquer tous les joueurs dans le même moule. Je dis cela en pensant à Roger Milla qui est pour moi le plus grand joueur qu’il m’ait été donné de rencontrer. Roger avait un truc unique, il savait improviser et pouvait inventer des gestes improbables. Ce sont des joueurs comme lui qui font la magie du foot, il ne faut pas perdre ça de vue. » Son fils, Stéphane, marche aujourd’hui sur ses traces et Paul ne lui fait pas de cadeau : « Je ne lui dis jamais qu’il a été bon car il faut qu’il comprenne que l’on peut et l’on doit toujours progresser. Depuis qu’il joue on m’a souvent loué ses qualités, actuellement il est en benjamins et des clubs pros le suivent déjà. Mais il ne faut pas qu’il croit que tout est arrivé car ce n’est pas le cas. Aujourd’hui, il est encore plus difficile de réussir dans le foot… » Peut-être l’heure du petit Stéphane viendra-t-elle un jour et à ce moment-là Paul saura quel conseil lui donner. Ce qui est certain, c’est que « Bahoken junior » est à bonne école….