Onze ans et des centaines de matches disputés dans six championnats et sur trois continents : telle a été la carrière de l’un des plus grands joueurs de l’histoire du football camerounais. A l’instar d’un Roger Milla, Patrick Mboma laissera une trace indélébile dans le cœur de bon nombre de supporters. De Yaoundé à Sunderland, en passant par Paris, Osaka, Cagliari ou Parme, ce buteur longiligne n’a laissé que des bons souvenirs.
Vainqueur d’une Coupe d’Afrique des Nations (2000) et d’un Tournoi olympique de football (2000), le Lion indomptable a décidé à 34 ans de cesser de rugir. En exclusivité pour FIFA.com, il revient sur les souvenirs qui ont jalonné sa carrière.
Patrick Mboma, il y a deux mois vous mettiez un terme à votre carrière. Quel regard portez-vous sur celle-ci ?
Je suis satisfait. Depuis deux ou trois ans déjà, je savais que quoi qu’il advienne encore, ma carrière me laisserait un bon souvenir. J’aurais pu faire mieux c’est sûr : je n’ai jamais été meilleur joueur du monde, je n’ai jamais gagné la Coupe du Monde… Mais je ne rêvais sans doute pas non plus d’une carrière aussi remplie. Je ne pensais pas que la chance me sourirait autant. Je suis fier des titres que j’ai gagnés, mais aussi de tous les témoignages d’affection que j’ai reçus.
Vous avez grandi en région parisienne. Rêviez-vous à cette époque de jouer au Paris Saint-Germain ?
Bien sûr ! Pour un jeune, il y a forcément cette envie de rester près de ses proches. Alors ça été fabuleux pour moi de jouer pour le PSG. D’autant que ce club n’est pas très réputé pour sa formation, et la confiance qu’il accorde aux jeunes.
Ensuite il a fallu s’y imposer et c’est là que les difficultés sont apparues…
Ma joie était déjà grande d’être parvenu à y signer, de bénéficier de bonnes conditions de travail, de progresser aux côtés de grands joueurs… Mais c’est vrai que je ne peux pas dire que mon bilan au PSG a été très positif. J’ai fait ce que je pouvais. Je n’ai pas reçu la confiance nécessaire de la part de mes entraîneurs successifs. Mais je ne pouvais rien faire d’autre que donner le meilleur de moi-même. C’est aussi ça le football : il faut faire avec les choix de chacun, la chance, les blessures…
Après un prêt à Châteauroux vous revenez un an au PSG avant de rejoindre Metz et y remporter votre deuxième Coupe de la Ligue consécutive…
C’est vrai que je suis le premier à avoir fait le doublé sous deux maillots différents. Je n’avais pas beaucoup joué la première année avec Paris, mais la seconde je ne rate la finale que sur blessure. J’ai aussi gagné une Coupe de France en 95 avec le Paris Saint-Germain.
Parmi tous les clubs où vous êtes passé, quel est celui auquel vous êtes le plus attaché ?
Le Gamba Osaka. Au Japon, j’ai aussi bien progressé sportivement, que personnellement. J’y ai vraiment pris confiance en moi, je me suis senti fort. En plus d’avoir survolé le championnat japonais, j’en avais profité pour m’imposer en sélection. J’ai vécu la gloire à Osaka. Les gens me couraient après, je n’arrêtais pas de donner des interviews, les enfants avaient mon poster, j’étais souvent invité à la télévision… Les supporters étaient exceptionnels avec moi. C’est la première fois que je voyais autant de drapeaux du Cameroun dans des stades aussi loin de mon pays. Je ne quitte ce club que pour des raisons sportives. Je me disais que je devais profiter de la confiance que j’avais en moi pour revenir dans un meilleur championnat. Je ne pensais plus à la France, je me suis même permis de refuser une offre du Paris Saint-Germain. Je rêvais d’Espagne, d’Angleterre ou même d’Italie.
Justement vous atterrissez à Cagliari, puis à Parme. Avec ce club vous allez marquer un doublé face au Milan AC. Quel souvenir gardez-vous de cette rencontre ?
Le contexte n’avait rien de particulier. Cela faisait plus de deux ans que je jouais en Italie. J’avais déjà rencontré et marqué contre le Milan AC. Parme jouait ouvertement le titre et un match face à Milan n’est rien d’autre qu’une étape dans notre saison. En revanche l’été d’avant, j’avais remporté les Jeux olympiques, marqué contre la France en amical : j’avais conscience d’être un bon joueur. Je ne me prends pas pour Weah ou Shevchenko, mais je sais que je ne fais pas tâche dans ce match. Et puis je marque ces deux buts et change un peu d’image aux yeux de certains.
Cela ne vous empêche pourtant pas de quitter Parme…
A cette époque les journalistes italiens me jugeaient « irremplaçable » ! Malgré une très bonne saison, j’ai senti que mon entraîneur et les dirigeants du club ne croyaient pas en moi comme je le faisais… Et c’est pour ça que je suis parti.
Le grand public en fait peu cas mais vous avez également évolué en Libye et en Angleterre. Quels souvenirs gardez-vous de ces deux expériences ?
Après un triplé (pied gauche, pied droit et tête) avec les Lions à Tripoli, je retiens l’attention du colonel Kadhafi et me retrouve là-bas. Ça a été mon pire cauchemar de footballeur. Si on en parle peu, c’est aussi parce que je ne veux pas.
Pour parler de Sunderland, j’y suis arrivé alors qu’il ne restait que 11 matches à jouer. J’ai droit à une standing-ovation devant 45 000 spectateurs pour mon deuxième match, et me blesse à la cheville dès le cinquième face à Arsenal. J’ai donc fait un bref passage dans ce club. Hormis le fait que la vie et la météo à Sunderland n’étaient pas terribles, je regrette de n’y avoir fait que ces trois mois. Si j’y étais arrivé en début de saison, je pense que je n’aurais plus quitté le championnat d’Angleterre. Les supporters voulaient que je reste, mais cela dépendait du directeur sportif. Cette envie du public de m’avoir une année de plus dans leur club est un beau témoignage.
Vous avez donc joué dans six championnats différents. Lequel vous a le plus marqué ?
Sans conteste l’Italie. En quatre années passées là-bas, j’ai laissé mon nom gravé dans la tête de pas mal d’Italiens. J’ai croisé de grands joueurs, j’ai joué de beaux matches, j’ai été le deuxième joueur africain à avoir marqué un triplé dans le Calcio. J’ai aussi appris une nouvelle langue. C’est un championnat très astreignant, et je suis fier de m’y être imposé.
Attardons-nous sur votre relation avec les Lions indomptables. Pourquoi avoir refusé la sélection à vos débuts ?
Quand on m’appelle à la fin de la saison 93/94, je sors de nulle part et l’on me fait rêver de la Coupe du Monde. Henri Michel me teste, me trouve bon et m’ajoute à sa présélection. Nous partons en stage en Martinique et au moment de donner la liste officielle des sélectionnés à la FIFA, je suis écarté… Je me souviendrai toujours de ce 2 juin 1994… Il faut comprendre que pour un joueur de 23 ans c’est un sacré coup de massue !
Depuis, vous êtes vous expliqué avec Henri Michel ?
Mais ce n’est pas à lui que j’en veux dans cette histoire. Je ne sais pas exactement qui, mais je sais que ce n’est pas Henri Michel qui me retire de la sélection. Comment faire pour savoir ce qui se passe à Yaoundé quand je suis en Martinique ? Mais ça n’a plus d’importance aujourd’hui pour moi.
En 1996, vous refusez de disputer la CAN car vous jugez la sélection désorganisée. Le Cameroun y chute lourdement…
La débâcle du Cameroun en 96 était aussi prévisible que celle de la Coupe du monde 94. Les deux fois j’avais compris qu’il n’y avait pas grand chose à espérer. Je savais que j’avais le niveau pour apporter quelque chose, mais les conditions de travail devaient être meilleures. Ensuite j’ai décidé d’être de ceux qui vont essayer d’améliorer les choses. Un jour je me suis dis : « On oublie et on y retourne ! »
Puis vous devenez le héros de tout un peuple en qualifiant l’équipe pour la Coupe du Monde de la FIFA, France 98.
Je suis revenu à un moment où le Cameroun a besoin de retrouver une fibre. J’étais en pleine confiance, je jouais libéré, et c’est ainsi que j’ai inscrit deux buts au Zimbabwe en août 97 pour qualifier mon pays. Je l’ai peut-être compris un peu tard, mais c’est une chance que de pouvoir être un Lion indomptable.
Un autre match a marqué votre carrière en sélection : en octobre 1997, vous affrontez l’Angleterre à Londres…
En plus du simple fait de rencontrer l’Angleterre, on jouait à Wembley ! J’ajoutais donc un stade mythique à mon palmarès. Wembley : tout footballeur rêve d’y jouer et d’y marquer. J’en garde vraiment un super souvenir. Je me souviens avoir échangé mon maillot avec Andy Cole. Mon frère était venu me voir jouer… J’étais aux anges.
Quel est votre meilleur souvenir de joueur ?
Avoir hurlé l’hymne national camerounais à Sydney en recevant la médaille d’or des Jeux olympiques 2000. Sur le moment c’est un sentiment égoïste. On se sent au sommet du monde, on donne au Cameroun une médaille olympique, une récompense à laquelle on ne rêve pas forcément en début de carrière. Pourtant nous avions joué avec une équipe amputée de bons éléments (Song, Foé, Olembé, etc…). Pour être honnête, j’avais acheté un appareil photo numérique en me disant que nous allions plus en Australie en touristes que pour ramener une médaille. La fierté d’avoir gagné, et la sensation d’avoir été réellement important pour l’équipe, c’est ça qui fait que je suis le footballeur le plus heureux au moment où l’hymne retentit. Quand Pierre Wome marque le tir au but décisif en finale, je lève la tête et vois de belles couleurs dans les tribunes. Et puis le drapeau du Cameroun qui est hissé… C’est de loin mon meilleur souvenir.
Et quel est le pire ?
Il y en a plusieurs… Déjà la défaite en quarts de finale de la CAN 98 contre la RD Congo. Voilà un adversaire largement à notre portée mais nous payons finalement une énième erreur d’organisation. Longtemps ce match a été ma plus grande déception. Ensuite il y a eu notre élimination contre l’Allemagne en 2002. J’étais persuadé que nous pouvions atteindre le dernier carré. Je ne l’avais pas crié très fort pour ne pas que l’on nous craigne de trop, mais j’en étais certain. Nous avons manqué là l’occasion de montrer que nous étions l’une des meilleures nations de football du monde.
Avez-vous le souvenir d’un défenseur qui vous ait particulièrement posé des problèmes ?
Je dirais Alessandro Nesta contre lequel j’avais joué lorsque j’évoluais à Cagliari. Je savais que je pouvais embêter beaucoup de défenseurs mais rien à faire, il avait réalisé un superbe match ce jour là. J’aimerais savoir si pour lui aussi ça a été un grand match dans sa carrière… C’est donc sûrement lui l’adversaire qui m’a donné le plus de fil à retordre, avec Fabio Cannavaro.
Quel est le meilleur joueur avec qui vous ayez joué ?
J’ai joué avec Georges Weah, Lilian Thuram, Gianluigi Buffon… C’est trop difficile pour moi de n’en ressortir qu’un.
Qui voyez-vous dans le rôle du prochain Patrick Mboma ?
Là je prends un joker ! En revanche je souhaite qu’il arrive vite pour le bien du Cameroun. Mais il devra viser encore plus haut que mon niveau : celui par exemple de Roger Milla ou de Samuel Eto’o. Il y a eu une période Milla, une autre Omam Biyik, puis Mboma, et aujourd’hui Eto’o. Vu ce que Samuel arrive à faire en club je ne vois pas comment il ne pourrait pas faire mieux pour le Cameroun que moi. Il a déjà deux titres de meilleur joueur africain. Certes, on attend encore plus de lui chez les Lions, mais je reste persuadé que c’est lui qui doit tenir l’équipe pendant encore de longues années.
Pour finir vous avez eu une carrière longue de onze ans, quel est le secret de cette longévité ?
Je ne pense pas que l’on puisse parler de longue carrière en ce qui me concerne. Tout à fait honnêtement, j’ai subi beaucoup de blessures sur la fin de mon parcours et c’est grâce à mon nom que j’ai pu continuer à jouer et renouveler mes contrats. Par ailleurs, je suis entré tard dans le cycle professionnel. Finalement entre un jeune qui commence à 17 ans et qui finit à 31, et moi qui commence à 20 ans et finis à 34, il n’y a pas une grande différence. Au moins j’étais plus mûr lorsque tout a commencé pour moi. Si mon genou me l’avait permis, j’aurais aimé continuer un ou deux ans, et même aussi avec les Lions. Mais c’est la vie…
Jean-Pierre ESSO (Camfoot.com) pour Fifa.com