Les accusations de dénigrement obsessionnel des Lions qui pleuvent à l’occasion sur moi me semblent généralement injustes. Il me semble que lorsqu’on observe les Lions sous le prisme du football mondial de haut niveau, on doit nécessairement jouer les Cassandre au lieu de se ranger parmi les « ravis » prompts à lancer des youyous comme des cheerleaders sans tête. Ceux qui continuent de croire, encouragés par le lamentable landerneau médiatique du pays, que le socle de la réputation et du rang des Lions est d’un marbre inaltérable, sont évidemment des jobards et des béats. Ce socle, il est en argile ou, au mieux, en stuc.
Laissons donc les béats à leurs tranquillisants. M. Pfister a compris et on peut dire, après le match de dimanche dernier, qu’il a fini son éducation camerounaise. Ce type que j’ai brocardé, ce presque grabataire que je continue de croire indigne des Lions, est en passe de s’affirmer comme le coach le plus perspicace et clairvoyant que nous aurons eu ces dernières années.
Que n’ai-je pas entendu les éternels aveugles se plaindre, rappeler l’ère Lechantre avec des trémolos, tancer ouvertement M. Pfister et son équipe à quatre demis défensifs ! Comme si, bien sûr, nous avions les gens qu’il faut pour danser le tempo toque à la colombienne aux avants postes, un Redondo ou un Xavi à l’entre-jeu, un Mackay finisseur, un Maldini peut-être à l’arrière ? Quatre demis et vous vous plaignez quand il en faudrait onze ?
La jauge footballistique ne ment pas. Nous n’avons pas, nous n’aurons pas dans les dix ans qui viennent, le personnel qu’il faut pour cultiver la manière. M. Pfister a bien compris que pour maintenir les Lions sur un piédestal branlant, très fortement soumis aux coups de boutoir de sélections sérieuses et ambitieuses d’autres pays, il n’a d’autre solution crédible à court terme que de résister. M. Pfister s’est attelé à la construction d’une citadelle dotée de deux ou trois meurtrières d’où sortiront les projectiles. Que ceux qui veulent battre le Cameroun se préparent à un siège éprouvant.
Bétonner, militariser, faire pleurer le ballon au milieu du terrain, c’est là la feuille de route de notre coach, et ce n’est pas si bête. Vous devez vous rappeler les trois ou quatre derniers matchs des Lions. Deux victoires extraordinaires au Ghana, un vol presque réussi, et tout cela au crédit du coach. Ni Schaefer, ni Nyongha ni Jorge n’auraient gagné notre match contre le Ghana ou la Tunisie.
M. Pfister l’a fait et mérite ainsi qu’on l’écoute et qu’on le laisse faire. Nous aurons donc, et là est le salut, une équipe de comptables, c’est-à-dire de gens compétents qui n’entendent ni à rire ni à plaire. Inscrivez donc pas de chance pour Songo’o ou Chedjou ; on sent une graine d’artiste en eux, on n’en fera jamais de petits soldats. Emana, un éclair de génie par match. Dur ; je sens que le coach hésite. Mbia, bien sûr : il est méchant et teigneux ; Binya va s’adapter, c’est un bon produit pour le coach. Geremi, Rigobert, Mbami, Webo, Kameni resteront jusqu’à l’heure du fauteuil roulant, et c’est rassurant. Que Eto’o, le neveu de Rigobert ou Makoun fassent ce qu’ils veulent sur le terrain. Ils ont gagné le droit d’être là. L’équipe des Lions est déjà faite, et je ne la déteste pas.