Au Sénégal, la frontière entre le discours politique en matière de construction d’infrastructures sportives et leur réalisation est très mince. Selon une information officielle relayée par l’APS (Agence de Presse Sénégalaise), « le Sénégal et la République populaire de Chine ont convenu d’un accord de construction de 11 stades régionaux dont un de 70.000 places qui sera édifié dans les périphéries de la région de Dakar », a annoncé le ministre des Sports Daouda Faye, au cours d’une conférence de presse tenue mercredi dernier dans les locaux de son département.
Une information qui apparaît comme un camouflet pour le Cameroun, roi du football africain, qui évolue dans une indescriptible indigence infrastructurelle.
Selon les mêmes sources, le nouveau programme sera concrétisé la semaine prochaine (début avril 2006) avec l’arrivée »du ministre chinois des Affaires étrangères qui sera en visite au Sénégal devra être réalisé dans les plus brefs délais », à précisé le ministre. Avant d’ajouter : les travaux »devront être terminés au plus tard en fin 2008, puisque les Chinois travaillent très vite ». Très loquace sur ce projet, Daouda Faye précise que le programme sera suivi d’un autre »qui permettra l’érection de stades départementaux ». Très importants, ces 11 stades viendront s’ajouter aux autres aires de jeu de qualité appréciable que comptent déjà le Sénégal.
Loin de tomber en pâmoison devant l’efficacité de la diplomatie sénégalaise, ce véritable coup de poker interpelle le Cameroun à plus d’un titre. Question : comment expliquer que le pays de Roger Milla, quadruple champion d’Afrique, cinq participations à une phase finale de la coupe du monde, grenier des légendes du football (vivantes et anciennes gloires) ne compte… aucun stade à la hauteur de sa réputation mondiale, au point de ne pouvoir organiser aucun match amical international?
Etat des lieux
Le principal stade du Cameroun, le stade Ahmadou Ahidjo n’est que plus que l’ombre du joyau qui a accueilli la coupe d’Afrique des nations en 1972. Après plus de 30 ans de service, la cuvette de Mfandena a plusieurs fois échappé de justesse au courroux des experts de la Fifa qui ont très régulièrement brandi la menace d’une suspension à cause de sa désuétude (aire de jeu impraticable et les gradins ne garantissant pas la sécurité des spectateurs). Dos au mur, les autorités camerounaises ont très souvent rafistolé le stade Ahmadou Ahidjo. Et comme il fallait s’y attendre, la couche de vernis vole en lambeaux dès que les premières intempéries pointent à l’horizon. Résultat, Mfandena a déjà été ‘’restructuré » trois fois en moins de … six ans. Mais le ver est toujours dans le fruit.
Par contre, les autres stades de la République ne bénéficient pas de la même attention que la principale aire de jeu de Yaoundé. « La Réunification » à Douala est d’une déliquescence congénitale. Depuis son inauguration en 1972 à la veille de la Can organisée par le Cameroun, « le stade de la Réunification n’a jamais été restructuré ». Dixit Grebert Mandjeck, directeur dudit stade à l’occasion d’une visite de travail du ministre des Sports de l’époque Etame Massoma en 2004. Un comble pour la ville la plus peuplée d’Afrique Centrale avec ses 3 millions d’habitants (après Kinshasa). L’anecdote la plus retentissante et même la plus humiliante du stade de la Réunification remonte justement en 2004 où Sable de Batié accueillait en coupe de la Caf à Douala le club sud-africain Orlando Pirates. Interrompu un dimanche du mois d’août, le match sera reprogrammé le mardi d’après pour cause de pluie et d’aire de jeu complètement engloutie sous les eaux. Deux jours plus tard, les gazons étaient encore plongés dans la boue et les eaux. Le match sera finalement reprogrammé à Garoua, au Nord du pays, une semaine plus tard. Embarrassés par ces mésaventures, les Sud-africains rentreront au bercail, préférant perdre le match par un forfait. Sans commentaires.
Où est le Palais des sports ?
Le stade de Bafoussam dont le chantier a démarré au lendemain de la Can de 1972 organisée par le Cameroun ne sera jamais achevé. Construit à moitié, le chantier sera abandonné pour cause dilapidations des fonds alloués à ce projet. Une pratique très prisée au Cameroun, où l’esprit du bien commun a perdu toute valeur, en faveur de l’intérêt personnel. Aujourd’hui, le stade inachevé de Bafoussam est pratiquement dans la broussaille, abandonné aux rats et autres rongeurs qui viennent s’entraîner. De passage en 2005 dans ce chantier, symbole vivant de l’incurie des autorités camerounaises, l’actuel ministre de l’Éducation physique et des sports, Dieudonné Philippe Mbarga Mboa, avait promis envoyer une équipe d’experts évaluer le travail à finir. Jusqu’au jour d’aujourd’hui, on n’entend plus parler de cet autre projet. Un paradoxe quand on sait que la province de l’Ouest est le grenier du football camerounais avec 6 clubs sur les 16 qui évoluent en championnat D1, et, avec les stades le mieux garnis du championnat, malgré la vétusté des lieux.
Dans cette mare d’indigence en infrastructures sportives, seul le stade Roumdé-Adjia de Garoua garde le museau hors des eaux. Pour de nombreux sportifs, c’est la meilleure pelouse de l’heure au pays. Mais qui risque connaître le même sort que les autres, si elle n’est pas entretenue. La énième fermeture du stade de Yaoundé annoncée pour le mois de mai-juin pour des travaux « japonais » (6 mois), pourrait forcer les Lions Indomptables à évoluer à Garoua lors des premiers matchs des éliminatoires pour la Can2008 qui démarrent en septembre prochain; le stade de Douala étant hors-jeu et sans espoir de réfection.
Au finish, le bilan est lugubre. Le Cameroun manque-t-il des gestionnaires, d’intellectuels ou de responsables politiques ou non, capables de ficeler un projet solide ou des partenariats pouvant aboutir à la construction d’autres stades et d’entretenir ceux qui existent? Que non !
Au contraire, on trouve au pays de Samuel Eto’o, des projets à la pelle. Mais jamais concrétisés. Du moins pour l’instant. Pendant les éliminatoires Can/Mondial 2006, les Allemands avaient prospecté le stade Ahmadou Ahidjo avant de promettre de revenir. Pour l’heure, les Chinois sont sur le point d’ausculter le grand malade. Avec quel résultat ? Personne ne peut se risquer à le dire. On ne compte plus les projets de construction d’infrastructures sportives au Cameroun. En 2004, les Chinois, encore eux, avaient promis construire un Palais de sport au lieu dit ‘’carrefour Warda » à Yaoundé. Jusqu’aujourd’hui, le projet est bloqué pour des problèmes de litige foncier entre autres. La Confédération africaine de football (Caf) dans sa stratégie de développement de football a promis construire cinq stades dans 5 régions d’Afrique. C’est Yaoundé qui va abriter le stade de l’Afrique centrale. À ce jour, cet ambitieux projet tarde à décoller.
Le Sénégal montre la voie
Plusieurs footballeurs au rang desquels Samuel Eto’o Fils et certaines anciennes gloires du football ont promis, à travers leurs partenaires, construire des stades au Cameroun. Tous ces projets tardent à pousser du sol. Les amateurs du ballon rond n’arrivent pas à comprendre toutes ces lourdeurs administratives. Selon certains experts, les différentes participations du Cameroun à cinq coupes du monde ont rapporté (inclus frais de préparation, de participation et de performance offert par la Fifa) au bas mot une bagatelle de 20 milliards francs Cfa. Pourquoi n’a-t-il pas de stade alors qu’il est parmi les meilleures nations du monde. Construire un stade de football relève-t-il finalement d’un projet titanesque ? Une chose est sûre, il faut une réelle volonté politique, comme on peut en voir dans la majorité des pays africains comme le Mali, le Burkina, le Sénégal, le Ghana, etc, qui ont récemment organisé une Can et qui en veulent encore. Le Cameroun depuis 34 ans n’a pas plus organisé de Coupe d’Afrique des Nations, même pas dans la catégorie des Juniors, ni soumis une candidature dans ce sens, malgré son rang sur le toit du continent.
Interrogé en 2004 à l’occasion de la pose de la première pierre du Palais de sport de Yaoundé sur le motif de la désuétude et la non-construction des infrastructures au Cameroun, Peter Mafany Musonge, alors premier ministre, a eu cette phrase diplomatique : « il y a plusieurs priorités au Cameroun. Les stades seront construits au moment opportun. De plus, un stade, ça coûte près de 50 milliards de francs Cfa pour sa construction. » C’est à y rien comprendre quand on sait que le Mali a construit des stades avec un budget d’environ deux milliards de FCFA pour chaque aire de jeu lorsqu’il abrita la Can en 2002. Surtout, on comprend que le gouvernement camerounais n’a pas encore saisi l’importance de l’apport du football dans l’économie locale. Un secteur financièrement en croissance exponentielle dans le monde, où le pays de Paul Biya pourrait facilement tirer de gros bénéfices, car disposant d’une belle matière première. Adidas, Puma, Nike et autres, en font la démonstration ces derniers temps à Yaoundé.
A l’heure où le sport camerounais bat de l’aille dans tous ses compartiments, le premier pallier de sa restructuration, pensons-nous, consiste à la construction des infrastructures. L’exemple qui vient du pays d’Abdoulaye Wade montre à l’envi qu’on peut construire des stades au Cameroun avec des partenariats bien ficelés. Afin que nul n’en ignore, un collaborateur du ministre des Sports sénégalais ajoute un détail qui mérite d’être souligné à grand trait. Tout cela a été »entièrement négocié par le Président de la République ».
Éric Roland KONGOU, à Douala