C’est une sottise évidemment d’établir le niveau des Lions sur la base du classement de la FIFA ou en référence à un certain nombre d’accidents vertueux qui ont émaillé le parcours de nos fauves depuis 1982. Passe encore de jouer les jobards quant à la valeur des joueurs dont nous sommes toqués, mais se fermer résolument à une réalité qui se raffermit implacablement au fil des sorties de notre équipe, quelle folie ! Que n’entend-on pas dire : « Nous avons battu le Brésil, l’Argentine, la Côte d’ivoire, le Nigeria… ». Soit. Mais nous n’avons jamais battu la Jamaïque, ni Chypre, ni l’Italie, ni le Vanuatu… Alors ?
Alors, la question n’a jamais été là. Aucun observateur le moindrement éveillé ne saurait s’étonner outre mesure, maintenant, d’une victoire de Kiribati sur la Slovénie. Tout le monde peut battre tout le monde un jour donné. C’est une donnée solide. Il n’est donc pas raisonnable de vouloir construire une renommée sur quelques résultats heureux qui, du reste, s’amenuisent de plus en plus comme peau de chagrin. Il serait plutôt plus honnête de partir d’un constat à deux pôles : non seulement les Lions ne jouent pas bien du tout depuis au moins la mort de Foé, mais plus grave encore, le pendule ne semble pas pencher du côté d’un embellissement ni à court ni à moyen terme.
Des quinze sélections classées par la FIFA au-dessus du Cameroun, seuls la Grèce (14e) et le Mexique (11e) n’ont théoriquement aucune chance de gagner la prochaine Coupe du monde. Toutes les autres ont des aspirations légitimes qui s’alimentent aux trois mamelles que sont la durée au hit-parade du foot, la tradition et la compétence des hommes chargés de l’intendance.
Le socle de la notoriété au football est là. Ces grandes nations qui font peur ont tablé sur la durée et sur le sérieux du travail pour établir ce que tous les révolutionnaires du monde ont appelé un « rapport de forces ». Ne cherchez pas ailleurs d’où viennent la morgue des Brésiliens, la hargne des Anglais, le m’as-tu-vu des Argentins, la « gueule » des Français : ils sont convaincus qu’ils sont nettement meilleurs que leurs adversaires, et ils peuvent donner des preuves.
La timide apparition des Lions sur la scène mondiale en 1982 n’a pas donné le branle à un sérieux mouvement de conquête et de colonisation. À peine arrivés que nous disparaissions pour ne réapparaître que beaucoup plus tard, à la faveur de quelques coups de génie d’une de nos valeurs vieillissantes. Cette année 1990, peu importe la joie et la fierté qu’elle a apportées à un peuple assommé par des difficultés économiques terribles, a été un véritable guêpier. Le résultat inespéré réalisé par les Lions a eu le malheur de donner à penser que le travail, l’investissement, la préparation, le sérieux dans l’effort n’étaient rien. Du jour au lendemain, aiguillonnés par les vivats venant des quatre coins du monde, les Camerounais ont placé sur un sublime autel la paresse et l’incompétence. À quoi servait-il donc de travailler, de planter, de semer, si on pouvait récolter sans rien faire ? Cette année a été, je le crois toujours, une calamité pour le football camerounais et explique en partie la recherche de la facilité à laquelle nous nous livrons en permanence.
Mais nous n’avons pas compris car, les mains vides, nous continuons, toujours bercés par l’illusion de 1990, de croire que nous occupons une place légitime sur le front du football mondial. Hors la détermination et ce petit quelque chose de camerounais, nous n’avons pas grand’chose à offrir à la face du monde, que ce soit du côté de l’intendance ou du côté de la pratique active du football. Est-il donc si difficile de reconnaître que nous n’avons pas de lieux adéquats pour pratiquer le foot, que nous ne disposons pas d’hommes fiables à la tête de notre sport et que, oui, depuis au moins cinq ans, nous avons sur le terrain un joueur exceptionnel et au mieux deux ou trois joueurs compétents ? Et que, à l’horizon, ne pointe pas d’espoir convaincant ?
Alors, les Lions : moyens, très moyens, largement moyens ? Vous avez le choix. Ils sont peut-être, à votre avis, mieux que moyens. Je ne parie jamais contre des Camerounais dans une compétition parce que je crains toujours qu’ils trouvent des ressources insoupçonnées quelque part. Mais je vous rappelle que les Lions perdent tous leurs matchs importants depuis quelque temps, et que la défaite est une machine infernale qui s’autoalimente. Mais si par bonheur cette machine s’enrayait à terme, le surplomb de l’amateurisme, de la négligence et de la paresse au sommet du football camerounais finirait, je le pense, par ancrer solidement les Lions à l’étiage.