Qui n’a jamais entendu cette antienne proférée par la plupart des Camerounais (à peu près seize millions) qui savent voir et lire le football « Eto’o n’a pas le même jeu en équipe nationale et au Barça» ? Y aurait-il donc un Mister Samuel chez les lions et un Doctor Eto’o au Barça ? Ce garçon, nonobstant ses qualités de joueur et d’homme, serait-il victime du syndrome dit du dédoublement de la personnalité ?
On aura compris, l’hypothèse ci-dessus étant évidemment fictive, que cette question ne vise qu’à servir ma rhétorique. Car les seize millions de personnes dont je parlais plus haut savent bien que la différence des conditions de jeu est la vraie raison de ce changement que chacun peut constater dans le jeu de notre goléador, selon qu’il joue avec son club ou avec l’équipe nationale.
Cela m’est revenu à l’esprit en visionnant, à quelques jours de distance, les matches La Corogne-Barcelone et Ghana-Cameroun. Entre les deux, il faut bien reconnaître qu’il y a quelques années-lumières en matière de technique et de maîtrise du jeu.
Autant le Barça cultive un football extrêmement technique, autant les équipes camerounaises (à l’exception du TKC en son temps) mettent l’accent sur la condition physique des joueurs. « Il faut bétonner », tel était le mot d’ordre au temps où nous hantions les terrains poussiéreux au pays.
Et que l’on n’essaie pas d’ignorer qu’il s’agit d’une culture, c’est-à-dire de la vision fondamentale que nous avons, au Cameroun, du football. Adolescents, nous avons tous tapé dans le ballon, dans nos conditions à nous. Il fallait tous se mettre au milieu du terrain, et les deux gardiens appelaient à tour de rôle un joueur, jusqu’à épuisement du stock. Et chacun sait que le choix des joueurs sur les terrains vagues se faisait, d’abord et avant toute autre considération, sur la taille, la condition physique (la fameuse « condè », qui désignait en fait la masse musculaire), et l’aptitude à « aller au choc. »
Ainsi, des joueurs comme Milla, Abega, et aujourd’hui Eto’o, sont atypiques du point de vue de la culture footballistique camerounaise.
Ce vieux fonds mental explique aussi pourquoi, pendant des années, les Lions Indomptables ont été une équipe notoirement défensive, dont le but était avant tout de ne pas encaisser de but. Ceci explique aussi que nous ayons pu produire des joueurs qui figurent parmi les meilleurs gardiens et défenseurs et milieux défensifs du continent, voire de la planète. Ceci explique enfin que nous ayons pu gagner la CAN 98 au Maroc en ayant marqué en tout et pour tout quatre buts.
Pour m’en revenir à mon sujet, Eto’o, aujourd’hui, est l’un des meilleurs joueurs au monde. Son rendement chez les Lions, malgré qu’il soit souvent obligé de s’adapter au « kick and rush » camerounais, est le meilleur en équipe nationale.
Or, le jour où les Lions Indomptables seront capables de pratiquer un jeu en mouvement, chacun pouvant montrer une vraie maîtrise du ballon, une vraie vision du jeu et une technique footballistique acceptable, Docteur Samuel et monsieur Eto’o finiront par ne faire qu’un. Et Samuel Eto’o marquera au moins deux buts à chaque match.
J’en prends le pari.
Mais je suis tranquille, car cela n’arrivera jamais.
La culture, vous dis-je.