L’exercice du privilège que j’ai de commenter l’actualité du football sur cette page est redoutable dans la plupart des cas. Jouer les Arlésienne ici comporte invariablement le risque de se prendre au sérieux, de jouer au censeur, de donner des leçons, en étant bien caché et protégé de la réplique populaire. Mais au-delà de l’image que projette le chroniqueur, il y a le doute qui paralyse, qu’on traîne comme un arrière-faix, parce qu’on veut convaincre et qu’on n’est jamais vraiment sûr d’y arriver à tous les coups.
Heureusement que l’évolution de l’actualité est parfois tellement favorable, tellement limpide, que le poids du doute fait place à la jubilation d’avoir prévu juste, à l’envie de crier aux lecteurs : « qu’est-ce que je vous avais dit ? » C’est un bonheur permanent d’écrire alors, de fermer la bouche au lecteur avec toute la douceur du monde, mais d’une plume ferme.
Prenons le cas de Achille Emana, footballeur à Toulouse et accessoirement membre démissionnaire des Lions indomptables. Première chose, et qu’on en reparle plus : son départ avec fracas des Lions est un épiphénomène. Le poids de ce garçon au sein des Lions a été quasi inexistant : quatre entraîneurs l’ont pratiquement ignoré. On peut ergoter sur d’autres points, mais le fait demeure qu’on peut difficilement écarter du revers de la main le verdict de quatre techniciens différents. Personnellement, je n’ai jamais pensé que Emana méritait une place permanente au sein des Lions. Évidemment, comparé à certains autres qui y ont pris racine, on peut discuter.
Le départ de ce gentil garçon est aussi un drame parce que son échec au sein des Lions ne semble s’expliquer que par l’incapacité des différents sélectionneurs de le faire jouer avec la même verve qu’il étale à Toulouse. Comment expliquer que le maître à jouer d’un championnat européen important perde ses marques à tous les coups une fois appelé à l’équipe nationale ? De mémoire d’observateur des Lions, il n’est jamais arrivé auparavant qu’un grand joueur reconnu ne réussisse pas à s’imposer en équipe nationale.
Laissons donc Achille Emana partir et souhaitons-lui tout le bien de la terre car après tout, il a fait ce qu’il a pu, et nous ne lui tenons pas rigueur pour les mots qui nous ont blessés.
Je me rappelle un certain nombre d’impressions sur les joueurs et sur l’équipe nationale comme institution que j’avais commencé à vous livrer au cours de la CAN tunisienne. J’ai émis des doutes sur la qualité d’un certain nombre de joueurs présents à Sousse et j’avais émis l’idée, que j’espère de plus en plus de lecteurs acceptent maintenant, à savoir que la réserve, la mine, le filon qui produisait bon an mal an des footballeurs de grand talent semblait gravement appauvri. On n’a tout simplement pas assez de joueurs de talent. Il faut le reconnaître.
J’avais été frappé par la mauvaise volonté et le manque d’enthousiasme de Mbami et de Djemba Djemba, qui étaient traités comme des dieux et sur lesquels les Camerounais fondaient des espoirs d’hégémonie footballistique inconsidérément grands. Mbami est revenu clopin-clopant, et Djemba Djemba est devenu commis-voyageur. Le cas Mettomo ou Djemba Djemba a-t-il vraiment changé quelque chose dans la conception de l’institution que doivent être les Lions indomptables du Cameroun ?
Sans doute non. D’abord parce que, comme nous l’avons déjà dit à plusieurs reprises, nous ne produisons tout simplement plus autant de joueurs de talent que nous voulons le croire. Ensuite, parce que nous n’avons jamais vraiment réfléchi à la question suivante : qui doit être appelé au sein des Lions ?
Une institution qui prospère est une institution protégée à tous les prix. Le premier niveau de protection, l’accès physique parmi les élus, est, d’après moi, le nœud du problème. C’est une folie que d’ouvrir l’accès à l’équipe au premier footballeur de n’importe quelle ligue qui a marqué un but par ici, qui a réussi un coup de tête par là, qui a un agent bien introduit. Il y a actuellement au sein de l’équipe au moins cinq joueurs qui ne devraient jamais y être, quel que soit le critère objectif établi.
Si l’accès aux Lions était verrouillé par un critère universellement reconnu, le problème Emana, Mbami ou Djemba Djemba ne se poserait sans doute pas. Ces garçons auraient gagné le droit d’être là ou n’auraient jamais osé prétendre y entrer. Et cette difficulté d’accès fondée sur la prééminence du seul mérite aurait pour effet de créer un club sélect de privilégiés auquel les jeunes aspireraient d’atteindre.
On le voit bien maintenant : tous les enfants de parents camerounais qui grandissent en Europe, notre vrai espoir pour le moment, boudent les Lions à chaque instant. Comment les attirer, s’ils ne sont pas assurés d’accéder à un club fermé où seuls les meilleurs entrent ?
Notre problème n’est ni Emana, ni Mbami, ni Feutchine, ni Ateba, tous et beaucoup d’autres des footballeurs honnêtes au mieux. Notre problème, c’est de faire croire à tous qu’ils méritent de faire partie des Lions, c’est d’accepter et, pis encore, de faire la cour au premier venu. C’est une folie qui va à terme réduire le rayonnement des Lions et, partant, sa capacité d’attraction. Une institution qui ne fait pas rêver perd de son lustre. Je vous l’aurai dit.