On ne le présente plus. Ancien gardien des Lions indomptables qui a participé à la conquête de la première Coupe d’Afrique des nations du Cameroun en 1984, Joseph Antoine Bell, aujourd’hui en retraite, est consultant de plusieurs médias audiovisuels européens. Il analyse donc pour les lecteurs de Camfoot.com la préparation et les chances du Cameroun à la 20ème édition de la Coupe d’Afrique des nations.
A chaque étape son analyse, le footballeur a tenu à faire la différence entre Bell le consultant et Bell le Camerounais. L’entretien à bâton rompu s’est déroulé en deux phases : dans l’esplanade de la cathédrale St Pierre et Paul de Douala (en face du stade Mbappé Leppé où il s’entraîne souvent) et dans son imposant domicile, « la résidence Fely, » au quartier Kumasi dans la capitale économique. Le mur du balcon où il accueille ses visiteurs est tapissé des photos où il fait les « unes » des journaux prestigieux : « Onze mondial », Afrique football », « France football », etc. Dans un coin du balcon, des trophées et fanions témoignent que le propriétaire des lieux qui a un tableau de chasse aussi riche, est forcément capé pour analyser le football dans son ensemble.
Entretien avec un homme perspicace, vif, et dont les prises de position divisent régulièrement l’opinion nationale.
Camfoot.com: Que pensez-vous de la préparation des Lions indomptables ?
Joseph Antoine Bell : Je trouve que c’est une préparation très chahutée et approximative. Et ce n’est pas forcément la faute de ceux qui sont là aujourd’hui et c’est ce que j’ai toujours reproché à mon pays le Cameroun.
Camfoot.com: A qui la faute donc ?
Joseph Antoine Bell : Mais aux responsables ! Nous manquons cruellement de dessein dans ce pays. Vous aussi, n’allez pas écrire dessin comme un jeune homme (journaliste) à qui j’ai dis ça récemment. Je dis bien dessein, D.E.S.S.E.I.N (gros éclats de rires).
Donc, il n’y a pas de programmation, pas de visibilité, pas d’anticipation, nous vivons au jour le jour comme dans nos villages. Si ce climat ne change pas, chaque fois que les joueurs quitteront leur club pour venir à l’équipe nationale, ils auront du chagrin, de l’anxiété et seront rarement dans leur assiette. Ce qui malheureusement les pousseront à être moins performants qu’ils ne sont en club. Les gens qui peuvent, précisément, tirer leur épingle parmi les Lions sont ceux qui sont moins bien dans leur club.
Camfoot.com: Comment cela est-il possible ?
Joseph Antoine Bell : Parce qu’étant moins bien dans leur club, ils arrivent chez les Lions et ne sont pas dépaysés par l’environnement. Chez les Lions, ils viennent retrouver leur compatriote et peuvent paradoxalement passer certaines imperfections. Ceux qui sont bien dans leur club, lorsqu’ils arrivent chez les Lions, les imperfections leur sautent aux yeux, les agressent, et ils sont moins bien que dans leur club. Voilà un peu l’environnement des Lions.
Camfoot.com: Parlons du staff technique …
Joseph Antoine Bell : Le Cameroun n’avait pas d’entraîneur depuis le mois de Janvier 2007. Nous nous sommes qualifiés pour la CAN en septembre 2007. Et ce n’est qu’en octobre à moins de trois mois de la CAN qu’on choisit un entraîneur dans les conditions que l’on sait.
Pourquoi avions nous mis un temps si fou pour trouver un entraîneur ? Au-delà de juger s’il est compétent ou pas et c’est une autre affaire, de l’avoir mis en place comme cela s’est passé ne nous honore pas.
Logiquement lorsque vous choisissez un staff technique, il faut au moins que le staff administratif et politique donne au moins l’impression de s’être mis d’accord. Ce type là (Otto Pfister) va travailler pour tout le monde. Or, si vous le mettez en place dans des tiraillements et presque de la haine publique, vous aurez des séquelles. Le staff technique n’est pas serein. Le staff administratif passe le temps à se guetter et se tirer dessus à la moindre occasion. Et puis je ne comprends pas pourquoi ils se comportent de la sorte ! Le ministre des sports ne sera pas ministre à vie et le président de la Fécafoot ne sera pas président à vie ! Les deux sont en plus du même parti politique (le Rdpc), pourquoi ne servent-ils pas normalement le Cameroun comme ils sont supposés le faire ? Et de l’autre côté, le staff technique est là pour vous servir. C’est un comportement irresponsable que de montrer à l’extérieur qu’on n’est pas d’accord. C’est comme si un entraîneur adjoint disait qu’il n’était pas content des choix de l’entraîneur principal. L’entraîneur adjoint n’a rien à dire car s’il y a des comptes à demander, c’est au principal qu’on les réclamera.
Camfoot.com: Malgré ce climat malsain, avant de partir pour le stage au Burkina Faso le 6 janvier dernier, le capitaine Rigobert Song déclarait que dix jours de stage, c’est suffisant pour préparer la CAN…
Joseph Antoine Bell : Je le félicite pour ça. Que ce soit par ignorance qu’il l’ai dit ou par calcul, c’est une bonne chose qu’il l’ait dit. En tant que capitaine, ce n’est pas à lui de mettre sur la place publique les problèmes que traversent les Lions, même en off, il ne doit pas le faire car il ne faut pas qu’il rajoute son grain de sel. Je le félicite d’avoir dit cela. En tant que camerounais, je suis content de l’entendre dire cela. Mais en tant que consultant, je dirais autre chose là où je travaille.
Camfoot.com: Que leur diriez-vous ?
Joseph Antoine Bell : Mais vous aussi vous travaillez pour les camerounais. Dans ce cas, je préfère émettre un souhait comme tous les camerounais, c’est-à-dire de voir l’équipe nationale gagner la CAN 2008.
Camfoot.com: Et que dira alors Bell, le consultant ?
Joseph Antoine Bell : (Sourire). Le consultant ne dira pas la même chose. Car là-bas, je suis payé à l’efficacité, à la justesse de mes propos.
Camfoot.com: Et aux lecteurs de Camfoot.com, que leur diriez-vous ?
Joseph Antoine Bell : Mais je ne suis pas consultant à Camfoot (rires).
Camfoot.com: Lorsque vous étiez joueur de l’équipe nationale, que disiez-vous aux joueurs pour les motiver quand vous étiez dos au mur comme c’est le cas ?
Joseph Antoine Bell : En équipe nationale, j’utilisais à peu près ce discours : Quoi qu’il se soit passé avant, ce sera toujours le joueur qui sera sur le terrain et donc critiquable et critiqué.
Pour le cas du Cameroun, tout le monde décrie la gestion des dirigeants mais beaucoup de camerounais ne les connait pas. Tout le monde connaît tous les joueurs de l’équipe nationale, donc, le joueur qui ratera par exemple le penalty essuiera les foudres de la population alors que les causes de cet échec sont lointaines. Personne ne vous dira que pour rater un penalty, il y a un côté nerveux, psychique qui compte et qui est influencé par la forme. Et la forme vient de l’environnement dans lequel vous évoluez.
Camfoot.com: Moins deux semaines de préparation et aucun match amical d’envergure. Quelle prestation les Lions peuvent donner à la CAN ?
Joseph Antoine Bell : Si je dis les Lions vont gagner, tout le monde va entendre le Cameroun va gagner. Mais je dis les Lions ne vont pas gagner, tout le monde va entendre nos joueurs sont mauvais.
L’encadrement technique ne fera malheureusement que son rôle. Vu tout ce qui s’est passé, on arrivera difficilement à ce que tout le Cameroun attend à savoir gagner la CAN. L’équipe en ce moment a besoin d’un plus. Il faut aborder d’autres domaines que du technique. Lorsque vous voyez ce qui s’est passé en Espagne (match amical Vigo) le 27 décembre dernier, on ne peut pas dire que c’est rien. Les camerounais ont abaissé leur valeur au point où lorsqu’on siffle l’hymne camerounais, cela ne semble choquer personne ou encore personne ne cherche les causes. Si c’est l’ignorance du siffleur, ça ne gène pas beaucoup, mais si c’est justifié, alors là, il faut se regarder dans les yeux et voir ce qui n’a pas marché. Je ne fais malheureusement pas à moi tout seul le Cameroun et je supporte mal qu’on ait sifflé mon hymne car ma chanson préférée, c’est l’hymne national. Qu’on siffle l’hymne du Cameroun, cela me touche beaucoup et m’écoeure.
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Camfoot.com: À votre avis, qu’est-ce que l’encadrement technique a bien pu faire en deux semaines ?
Joseph Antoine Bell : On essaye de construire, d’harmoniser, mettre en place les stratégies, et surtout créer la convivialité et une ambiance positive. Après, ça permet aux techniciens de réfléchir aux différentes tactiques. D’ailleurs ce n’est pas le moment de parler forcément de tactiques car cela dépend de l’équipe que vous avez. Si vous avez une équipe suffisamment forte pour imposer son jeu alors vous travaillez tactiquement et techniquement pour asseoir votre manière de jouer que vous pensez pouvoir imposer aux adversaires. Si vous êtes intrinsèquement moins bons que vos adversaires, vous préparez des morceaux d’exercices que vous allez recoller à la veille de chaque match puisque vous n’allez pas faire exactement la même chose pour chacun des adversaires. Ce n’est pas forcément le plus fort qui gagne un match. En plus, l’un des points faibles des africains et des camerounais en particuliers c’est de refuser de reconnaître la force de l’adversaire.
Camfoot.com: Un litige a opposé récemment la fédération au Fc Barcelone qui ne voulait pas libérer Samuel Eto’o pour le dernier stage des Lions indomptables…
Joseph Antoine Bell : C’est vous qui me faites sourire. Vous ne pouvez pas avoir une équipe à deux semaines d’une grande compétition et que les joueurs ne sont pas complets, et que le capitaine dise que deux semaines c’est suffisant. Cela veut dire qu’ils n’ont pas deux semaines car ils ne sont pas encore au complet. Je crois que la fédération encore une fois, a été défaillante.
Camfoot.com: A quel niveau ?
Joseph Antoine Bell : Vous ne pouvez pas à la date exigible négocier avec le club de Samuel Eto’o. S’il y a un joueur que vous savez que vous avez besoin, c’est bien Samuel Eto’o. Pour être plus technique dans mon propos, je dis qu’on ne bâtit pas une équipe en prenant les équipiers, vous prenez d’abord les piliers. Donc, s’il y a un joueur dont le cas aurait dû être réglé depuis longtemps, c’est bien Samuel Eto’o. Je trouve ça grotesque. C’est preuve de légèreté qui ne permet de construire l’un des facteurs de réussite finale qu’on appelle la sérénité.
Camfoot.com: Si c’était un joueur français par exemple, le Barça aurait-il réagit de la même manière ?
Joseph Antoine Bell : Mais ça je n’en sais rien. Moi, je n’ai pas appelé le Barça, c’est à la fédération de régler ce problème. Mais je suis sûr d’une chose : personnellement, je n’aurais pas connu un cas pareil. On n’a pas avancé la date de la CAN à ce que je sache pour qu’on prenne le prétexte que nous avons été surpris. Vous savez, Samuel Eto’o ne retourne pas discutez de son salaire chaque semaine avec le Barça. C’est quelque chose arrêté depuis longtemps. C’est écrit et signé. Et il n’a pas besoin de passer au bureau du club pour ça, sauf pour retirer une enveloppe dans laquelle il y a sa fiche de paie car l’argent est déjà viré dans son compte. Pour cela, il n’a pas besoin de donner son numéro de compte tous les mois.
Camfoot.com: Sur le plan technique, quelles sont les forces et les faiblesses de l’équipe du Cameroun qui va à la CAN ?
Joseph Antoine Bell : Je préfère parler des généralités car je ne vais rentrer sur le plan technique. Sinon, les gens recommenceront à dire Bell fait de la polémique comme d’habitude. Je préfère parler des généralités. En ce qui concerne le Cameroun, on ne peut regretter que l’environnement qui a conduit à la formation de cette équipe et je ne peux émettre que le souhait de les voir aller plus loin.
Camfoot.com: Jusqu’ici, aucun joueur n’a dit, on va gagner la CAN. Beaucoup disent : « nous allons aller le plus loin possible ». Avons-nous les moyens de notre politique ?
Joseph Antoine Bell : C’est vous qui remarquez qu’aucun Lion n’a dit aller pour la gagne et ils savent pourquoi ils ne l’ont pas fait. Il n’y a pas de raisons qu’aujourd’hui, on essaye de changer les règles du jeu même si au Cameroun, on est capable de dire qu’on ne connaissait pas les règles du jeu après la compétition. Mais les règles habituelles consistent à former un groupe de favoris et un groupe des outsiders. Et estimer quel le vainqueur sortirait du premier groupe et avec un peu de chance probablement du second groupe. Si on vous demandait de faire un groupe de favoris, vous mettriez qui dans les favoris ?
Camfoot.com: Justement, essayons donc de le faire …
Joseph Antoine Bell : Non ! On ne va pas essayer de le faire. Je vous ai fait le reproche. Vous savez pourquoi vous ne l’avez pas fait ?
Camfoot.com: …
Joseph Antoine Bell : Parce qu’inconsciemment pour vous aussi, vous ne classez pas le Cameroun parmi les favoris. Et du coup, ça ne vous pousse pas à désigner les favoris. Or, à l’étranger, ça se fait. Et le Cameroun ne fait pas partie des favoris. De la même manière, de voir notre hymne siffler à Vigo (Espagne) ne nous a pas choqué, de ne pas être tête de liste lors du tirage au sort de la CAN ne nous a pas choqué non plus. Et aujourd’hui, ne pas être parmi les favoris ne semblent pas plus nous choquer. Et c’est ça malheureusement le football camerounais.
Nous ne percevons jamais les signaux d’alarme et comprendre que quelque chose a changé dans le mauvais sens pour qu’on redresse la barre. Nous avons été éliminé en 2004, en quart de finale. Nous étions éliminé en 2006 à la Can en quart de finale. Nous ne sommes pas qualifiés pour la coupe du monde 2006, nous avons été battus aux éliminatoires de la CAN par la Guinée Equatoriale, tout cela ne nous pas choqué non plus. Aujourd’hui, tous vos confrères étrangers dans leurs analyses, ne mettent pas le Cameroun parmi les favoris, mais chez nous au pays, on continue de chanter que nous sommes les plus beaux, les plus forts et que nous allons remporter la CAN.
Dans cette euphorie, lorsqu’une personne a la lucidité de dire attention, ça ne va pas, on dit qu’il n’est pas patriote. Nous allons peut-être la gagner, mais à ce moment là, on va la gagner à la chance. De la même manière, lorsque nous avons gagné nos dernières CAN aux penalties, personne n’a eu la lucidité et l’honnêteté intellectuelle ou simplement sportive de le relever. Ayons la modestie de reconnaître que malgré toute notre force (ou plutôt celle que nous nous attribuions alors), nous avions gagné avec un peu de chance puisque nous les avons gagné aux penalties. Gagner aux penalties veut dire qu’avec un peu de chance, votre adversaire pouvait gagner. Et à ce moment là, nous aurions été forts pour dire que nous n’avons perdus qu’aux penalties. Autrement dit, en 2000 et 2002, voilà deux trophées de CAN que nous aurions pu ne pas gagner parce que les deux fois, c’était aux tirs au but. Traduction : notre suprématie n’était pas aussi grande et flatteur que les escrocs ont voulu nous faire avaler. On a gagné, mais on n’a pas été souverain. En 2000, le penalty d’Ikpeba (le nigérian) était bel et bien dans les filets et les officiels n’ont pas vu…
Camfoot.com: Mais la chance fait quand même partie du jeu…
Joseph Antoine Bell : C’est vrai que les erreurs d’arbitrage aussi font partie du jeu. Mais un bon entraîneur, un bon président, lorsqu’il arrive chez lui, il doit faire la bonne analyse. Je me souviens un jour à Bordeaux, les Girondins avaient gagné un match 3-0, le président est arrivé dans les vestiaires, et a engueulé tout le monde proprement. Motif ? Joseph Antoine Bell, notre gardien, était l’homme du match. Donc, le 3-0 ne doit pas vous tromper car on n’a pas été si bons que le dit le score. Donc au delà de la satisfaction générale, ceux qui s’occupent du football doivent avoir la lucidité de voir ce qui n’a pas marché.
Camfoot.com: Vous dites que le Cameroun n’est pas favori, on est quand même surpris de constater qu’à la couverture du magazine français « Onze mondial » de janvier 2008, c’est un camerounais, en l’occurrence Samuel Eto’o, qui est à la Une à la veille de la CAN…
Joseph Antoine Bell : Je crois que vous n’arrivez pas à comprendre. Le football est un sport collectif. Si vous vous laissez abuser par la couverture du « Onze mondial » où vous retrouvez Samuel Eto’o, il y a aussi 11 Ivoiriens qui auraient dus être à la couverture de ce « Onze mondial » dont vous parlez. Je dois vous dire qu’on ne gagne pas un trophée avec la couverture de « Onze mondial ». Cette couverture peut tromper les gogos, mais pas Joseph Antoine Bell. Figurez-vous que moi aussi, j‘ai été à la couverture du « Onze mondial » et deux fois s’il vous plait ! Ça fait que je peux en parler. Ce n’est pas parce qu’un camerounais est à la couverture du « Onze mondial » à la veille de la CAN que le Cameroun est favori ! Ce n’est pas parce que l’image d’un camerounais est l’emblème de la Coupe du monde 2010 que le Cameroun va gagner la coupe du monde 2010. Je ne sais pas si vous avez fait exprès de poser la question mais tous les messieurs qui gèrent la fédération se laissent caresser par ce genre de choses (couverture « onze mondial ») qui ne valent rien. De la même manière, on s’est laissé caresser longtemps par le classement de la Fifa où le Cameroun est toujours numéro 1 en Afrique, même quand le Cameroun n’était pas en coupe du monde ! Personne en Afrique ne semble savoir comment se fait ce classement. Vous vous êtes laissé pièger par le classement Fifa et permettez-moi l’expression, c’est un classement bidon !
Camfoot.com: Ah bon ?
Joseph Antoine Bell : Comment pouvez-vous dans un classement mélanger les macabos, les taros, les bananes et les plantains. Vous ne pouvez pas, dans un même classement, mettre des équipes qui n’ont pas rencontrées les mêmes adversaires. Un classement, ça se fait avec les gens qui ont rencontré les mêmes adversaires donc qui ont eu les mêmes épreuves ! C’est un classement qui est là pour amuser la galerie exactement comme les couvertures de journaux. Les titres, en football, sont collectifs.
Camfoot.com: Vous parlez de collectif. Or, récemment sur une radio privée de Yaoundé, l’ambassadeur itinérant Roger Milla a dit que le Cameroun pouvait gagner cette Can grâce à des individualités. Partagez-vous cette opinion ?
Joseph Antoine Bell : C’est normal qu’il le dise ! Que croyez-vous que Roger Milla exprès ou par ignorance va dire ? C’est bien qu’il le dise parce que ça galvanise les gens. Mais là où je ne suis pas d’accord avec lui, c’est que lorsqu’il fallait préparer la CAN, la vraie, il n’a rien dit contre les hésitations, les mauvais comportements, les mauvaises décisions. Et du coup, vous placez les gens dans une situation où ils sont condamnés à ne rien dire. Le jour où la compétition commence, il ne peut non plus rien dire sinon il va décourager les joueurs. Résultat, on ne dit jamais la vérité.
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Camfoot.com: C’était peut-être l’ambassadeur qui a parlé et non le footballeur Roger Milla ?
Joseph Antoine Bell : Ah, voilà, vous l’avez dit. Chez nous, on vous garde rancune parce que vous dites Ikpeba a marqué un but lors de la finale de l’an 2000 au Nigeria. Dans ce pays, on aime bien ceux qui nous flattent. Donc, autant je comprends ceux qui ont dit qu’on va gagner la CAN, autant je leur fait des reproches car pendant deux, trois, quatre ans, ils n’ont rien dit devant les organisations et gestions approximatives. Si au moins, ils ont eu l’attitude courageuse de dire des choses au moment opportun, j’allais comprendre qu’ils font leur travail. Le faire aujourd’hui, je suis tenté de dire qu’en réalité, ils montrent leurs limites. Le fait que les africains ne sachent pas reconnaître les forces de leurs adversaires, ne permet pas qu’on sache contourner les obstacles et nous ne saurons pas adopter la bonne tactique…
Camfoot.com: A vous entendre, le Cameroun est bien parti pour rater cette CAN ?
Joseph Antoine Bell : (Rires). Je ne distribue pas les trophées ! Je dis seulement mes certitudes et mes inquiétudes là où je n’ai pas de réponse.
Camfoot.com: Le reproche qu’on vous fait au Cameroun, ce que même en 2002 où nous avions la « dream team » (après la génération de 1990) qui allait en coupe du monde, vous avez dit que cette équipe n’était pas la meilleure, qu’on n’allait pas faire une bonne compétition…
Joseph Antoine Bell : Je n’ai jamais dit que cette équipe n’était pas la meilleure en 2002. Le problème du Cameroun, ce que vous êtes si chauvin que vous n’écoutez pas les autres. En 2000 au Ghana, dès le match d’ouverture qui était Cameroun-Ghana, à Rfi où on garde les archives, vous pouvez réécoutez. Vous m’entendrez dire que pour cette fois, le Cameroun tient le bon bout, il peut aller loin. Je m’en souviens comme si c’était hier. Ensuite, j’ai dit que dans ses équipes, il y a des travailleurs et un joueur doué, Samuel Eto’o en l’occurrence. Si j’en étais le responsable, j’allais bâtir l’équipe autour de Samuel Eto’o. Là, les camerounais ne retiennent pas. Vous retenez ce que vous voulez. En 2001, j’ai fait un fax que j’ai envoyé au ministre des sports Bidoung Mkpatt que je peux encore brandir aujourd’hui. Un fax que j’ai fait plus d’un an avant la coupe du monde pour lui dire, lorsqu’il faisait sa valse d’entraîneur (Akono Jean Paul, Pierre Lechantre), et (c’est lui qui me l’avait demandé), qu’il (le ministre) devait être plus intelligent que ses prédécesseurs. Et que nous devions nous occuper de nos enfants dès maintenant si on veut avoir quelque chose en coupe du monde.
Camfoot.com: Et vous lui avez donc suggéré un entraîneur; lequel ?
Joseph Antoine Bell : Je ne vous le dirais pas (sourire). Malheureusement, le ministre Bidoung a été rattrapé par les magouilleurs de la République et lui et moi on ne s’est plus revu depuis 2001 jusqu’à ce jour (7 janvier 2008). C’était pourtant, lui, le ministre des sports de l’époque qui m’avait chargé de le faire pour lui. Je suis venu au Cameroun expressément pour le rencontrer pour que nous en discutions. Mais jusqu’aujourd’hui, je ne l’ai pas vu. Et j’ai compris.
Vous avez vu comment 2002 s’est passé. Je tiens à préciser que Joseph Antoine Bell analyse les faits. Je regrette que les camerounais n’arrivent pas à comprendre qu’il y a les standards internationaux. Vous pouvez battre le Tchad et le Rwanda mais pour gagner la coupe du monde, il faut rencontrer de gros calibres.
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Camfoot.com: Revenons maintenant à l’analyse de la CAN proprement dite. Dans la poule A, il y a le Ghana, la Namibie, la Guinée et le Maroc. Qui sont les favoris ?
Joseph Antoine Bell : C’est une poule difficile. Mais a priori, la Ghana et le Maroc devraient se qualifier dans ce groupe. La Guinée (Conakry) est un trouble fête. La Namibie ne peut pas se mêler à ce combat. Pour ce pays, ils devraient aller à la CAN avec le souci d’apprendre et non et venir avec des déclarations du genre, on va gagner. Je prends l’exemple de nos frères gabonais, qui à la CAN 98, avait viré leur entraîneur sans être revenu à la maison. Comme si le Gabon était appelé à gagner la CAN dès cette édition là. Et depuis, ils ne sont même pas revenus. Il y a des règles qui font qu’on ne doit pas fixer des objectifs au-delà de vos capacités. Même si on vous parie dix millions de francs.
Camfoot.com: Il y a la poule B, le groupe de la mort où on retrouve le Nigeria, la Côte d’Ivoire, le Mali et le Bénin…
Joseph Antoine Bell : Là aussi, je crois que le Bénin qui fait de gros efforts devraient se ménager des objectifs. Par contre, pour les trois autres, c’est effectivement la mort parce qu’il faut qu’il y ait un qui sorte par la fenêtre. A la précédente CAN, c’était Egypte, Côte d’Ivoire, Maroc qui étaient dans une telle poule. Malheureusement, le Maroc était éliminé de la compétition sans avoir démérité. Le Mali, la Côte d’Ivoire et le Nigeria, chacune de ces équipes devraient se concentrer totalement sur son premier tour et je dirais même sur son premier match. Car malheur à celui qui perd son premier match.
Camfoot.com: Dans la poule du Cameroun, il y a l’Egypte, la Zambie et le Soudan. Qui sont les favoris de ce groupe C ?
Joseph Antoine Bell : : L’Egypte et le Cameroun sont les favoris, c’est clair. Je ne vais pas pousser jusqu’à croire que le Cameroun ne va pas passer le premier tour, ce serait bien dramatique quoi que ce soit quelque chose qui peut arriver. Mais je crois que le Cameroun devrait se qualifier dans sa poule. Ensuite selon sa position, on verra ce qui va lui arriver en ¼ de finale. En 2008, encore une fois, et c’est un souhait parce que je suis camerounais, on devrait passer le premier tour. Avant de remporter la CAN, on devrait savoir qu’une compétition, c’est par palier. Si j’étais à votre place, je me préoccuperai d’abord de ce premier tour.
Camfoot.com: En 2006 par exemple le Cameroun a survolé le premier tour. Avant qu’on ne soit éliminé au ¼ de finale, vous aviez dit : le Cameroun avait l’Eto’odépendance…
Joseph Antoine Bell : Oui ! J’utilise les mots français qui sont simples. J’ai cru comprendre que beaucoup avaient mal pris cette appréciation à commencer par l’intéressé lui-même. Je ne vois pas ce que j’avais dit de mal ou de pas vrai. L’Eto’odépendance ce que le Cameroun dépendait trop d’Eto’o qui était en très grande forme. Je vous ai dis tantôt que mon président à Bordeaux avait mal réagit parce que son club avait…
Camfoot.com: une « Belldépendance » !
Joseph Antoine Bell : Exact ! Donc, une équipe n’a pas intérêt à compter seulement sur un très bon joueur.
Camfoot.com: L’on s’achemine visiblement encore vers une Eto’odépendance en 2008 !
Joseph Antoine Bell : On ne sait pas encore parce qu’ils n’ont pas encore joué. Il ne faut pas se fier aux apparences. Eto’o va venir d’un club où tout est bien organisé et va rentrer dans un environnement où il y a trop d’obstacles. Vous savez, un sportif de haut niveau est une mécanique de haute précision. La moindre petite chose peut la dérégler. C’est pour cela qu’il aussi travailler le psychisme, la psychologie et l’influx nerveux. Un joueur peut être costaud physiquement mais sur le plan psychique, il n’est pas au point. Comme Eto’o est en train de revenir rejoindre les Lions, personne ne peut dire quel est son état d’esprit. Donc, je ne peux me prononcer. Mais je l’ai beaucoup aimé depuis qu’il est revenu de sa blessure. Je l’ai trouvé bon, très bon et très promoteur même. Pour la suite, ça dépend de beaucoup d’autres paramètres que je ne maîtrise pas.
Camfoot.com: Enfin, il y a la poule D où l’on trouve la Tunisie, l’Angola, le Sénégal, et l’Afrique du Sud…
Joseph Antoine Bell : C’est une poule équilibrée. Tous se valent bien. Ils sont tous des mondialistes et sont pratiquement au même niveau mais avec des équipes qui sont en phase ascendante et d’autre en phase descendante. A ce moment là, on ne peut pas dire qui va vraiment gagner. D’un côté, on peut penser que l’avantage est au nouveau venu qui est en ascendance (Angola) car il est dans la dynamique de la progression, de la réussite. On pourrait aussi dire des anciens (Tunisie, Sénégal) qu’ils ne veulent pas mourir ou tomber. L’Afrique du Sud est en pleine reconstruction, une coupe d’Afrique désastreuse en 2006. L’Angola est en pleine progression mais il n’a pas encore atteint son plein régime, et ne vaut pas encore les meilleurs. J’ai vu des Angolais perdre à Yaoundé il y a dix ou quinze ans. Mais j’ai dit que lorsqu’on connaît bien le foot on voit bien qu’il y a du travail derrière cette équipe. En 2006, ils se sont qualifiés pour la Can et la Coupe du monde où ils n’ont pas démérités et je pense qu’ils ne se sont pas sabordés comme d’autres pays africains.
Camfoot.com: Au delà de ces quatre poules, qui sont les grands favoris ?
Joseph Antoine Bell : Il y a le Ghana, le pays organisateur, le Maroc, la Côte d’Ivoire évidement, vous avez peut-être l’Egypte. On verra au premier match de l’Egypte qui l’oppose au Cameroun, là aussi, malheur au vaincu. Mais les grands favoris, c’est le Ghana, le Maroc, et la Côte d’Ivoire. Dans un second chapeau, vous avez le Mali, le Nigeria, Egypte, Cameroun et à un degré moindre le Sénégal. Ceux là sont des outsiders.
Camfoot.com: Votre analyse rejoint celle de l’ex international ivoirien Gadji Celi qui lors d’un récent passage au Cameroun nous a confié que les Lions indomptables peuvent gagner la CAN à condition de se révolter…
Joseph Antoine Bell : Oui, sauf que la révolte se fait sur la base d’un groupe organisé. Et non individuellement. C’est vrai qu’elle peut être menée par quelqu’un qui entraîne le reste. Mais personnellement, je ne crois que pas beaucoup à la révolte.
Camfoot.com: Parmi les trois grands favoris que vous venez de citer (ghana, Côte d’Ivoire et Maroc), qui a plus de chance de remporter cette 20ème édition de la CAN ?
Joseph Antoine Bell : Mais, je ne vais quand même pas aller plus loin que ça. Nous parlons de football et non de mathématique. Mais soyez certains que les matches de poules vont nous donner une idée de qui peut aller loi ou qui peut supporter la pression. Une chose est certaine, cette 20ème édition de la Can sera très disputée et donc moins de place à la chance.
Entretien mené par Eric Roland Kongou, à Douala